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Rachid Gannuchi et la fable d’une Constitution tunisienne « respectueuse des droits de l’homme », pour qui le sionisme est ennemi de l’humanité
Hélène Keller-Lind
Article mis en ligne le 3 juin 2013

Le 31 mai l’Institut américain Brookings recevait Rachid Gannuchi, chef du parti Ennahda au pouvoir, considéré comme grand penseur musulman, homme de compromis, venu assurer que la Constitution tunisienne qui est sur le point d’être soumise à l’Assemblée constituante, garantira liberté de conscience et droits de l’homme. Pourtant le projet final dément ces affirmations, même si cela est fait de manière feutrée. Human Rights Watch liste ce qui contredit le satisfecit, comme le font d’autres voix. De plus, le sionisme est présenté comme « ennemi de l’humanité »...

Le Frère musulman et islamiste Rached Gannuchi reçu en démocrate par l’Institut Brookings

Certes, comme le rappelait l’ancien ambassadeur Martin Indyk, vice-Président de l’Institut Brookings et directeur de son Département de politique étrangère, en l’accueillant, Rachid Gannuchi est considéré comme « un grand penseur musulman » qui a influencé la pensée dans le monde arabe et a reçu maint prix décerné notamment pour « avoir réconcilié islam et démocratie dans la Tunisie connaissant une transition démocratique ». Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il appartient également aux Frères musulmans, fait partie des quinze personnes au cœur de la Confrérie, ce que montrait récemment Michaël Prazan dans son documentaire programmé récemment sur France 3 : « La Confrérie, enquête sur les Frères musulmans » D’ailleurs Rached Gannuchi lui-même se décrit comme « islamiste ».

La raison de l’invitation faite le 31 mai 2013 au cofondateur du parti Ennahda, dont il est le chef aujourd’hui, était la nouvelle Constitution tunisienne qui en est à son troisième et dernier projet et est sur le point d’être soumis par la Commission l’ayant rédigée au vote de l’Assemblée constituante. Sa rédaction aura pris un an et demie. Commentaire d’un Tunisien à ce propos : « chaque ligne en aura coûté 250.000 € », alors que Rachid Gannuchi, lui-même, reconnaissait dans sa prise de parole que l’économie reste un des défis majeurs pour le pays. En dépit de ce qu’il présentait comme des améliorations dans ce domaine réalisées par le gouvernement actuel. L’autre défi qu’il évoquait lors de sa prise de parole étant la sécurité, « un problème complexe requérant des solutions complexes ». Il faisait une distinction entre « les salafistes non violents et ceux qui le sont », ces derniers devant être persuadés de renoncer à la violence « comme ils le font en Égypte ». Faute de quoi « ils seront traités avec sévérité », dit-il. Tous les maux de la Tunisie étant dus, selon lui, aux années Ben-Ali et Bourguiba.

Le salafisme ayant été encouragé selon lui par deux facteurs. D’une part l’influence de chaînes de télévision extérieures ayant eu le champ libre à cause de « l’interdiction de la mosquée Zeitouna »décidée par Habib Bourguiba lors de l’indépendance du pays. Décision prise, dit-il, à cause de l’influence nocive de la laïcité à la française qui, selon lui combat les religions, ce qui est un contresens. Il se livre là à une réécriture de l’histoire et des réalités car ce n’est que l’université au sein de la mosquée Zeitouna qui fut fermé, Habib Bourguiba estimant que l’enseignement devait être civil, basé sur des critères scientifiques et pédagogiques. La religion continuant toutefois,bien entendu, à être enseignée par ailleurs. L’autre facteur, dit-il, fut le fait que les Salafistes étaient emprisonnés par le pouvoir précédent et ont été relâchés avec tous les prisonniers lors de sa chute. Et parmi eux des Salafistes violents.

La fable d’une Constitution modèle et démocratique

Quant à la nouvelle Constitution tunisienne, objet principal de cette invitation, Rached Gannuchi la présentait comme un modèle du genre, un « modèle qui pourra influencer les autres régimes en cours de transition démocratique » dans la région. Qui enverra ce message : le pays « est pour tous », ne se contentant pas « d’une simple majorité mais d’un large consensus ». Ajoutant, en préambule, que « des islamistes modérés et des laïques modérés peuvent et doivent travailler ensemble pour trouver des compromis...et des concessions... ». Il parlait coexistence et liberté. Ne voyant « aucune contradiction entre islam et démocratie », les islamistes ne devant pas être considérés comme des ennemis de l’État, les laïques ne devant pas être écartés du pouvoir ». Le rôle de l’État n’étant pas « d’imposer un mode de vie », bien que, soulignait-il « les islamistes sont les plus populaires dans le pays. « Une alliance entre laïques et islamistes est importante pour établir la démocratie », leur antagonisme ayant été utilisé, selon lui, par le passé par des dictatures pour contrôler leur pays.

Il donne en exemple de ce type d’alliance ce qui fut établi à l’époque « par le Prophète lui-même dans le premier État islamiste ». « Une Constitution pour le peuple tunisien dans son ensemble », affirmait-il. Les points épineux ayant donné lieu à des débats se déroulant pendant cinq semaines, portaient, ce qui est d’ailleurs significatif, sur « la charia et l’universalité des droits de l’homme ». « La Constitution devant avoir l’accord de tous, elle n’inclut pas la Charia » annonçait-il, et « les valeurs de l’islam, de la modernité et de la démocratie ont été réunies ». Il mentionnait l’égalité des sexes et la séparation des pouvoirs, annonçant la tenue d’élections libres et justes cette année, avec la participation des différents partis, appelant les « nombreux amis à aller les observer et contrôler ». Ce qui « prouvera que les Arabes peuvent également vivre en démocratie » et sera gage de « bonnes relations entre le monde arabe et le reste du monde ».

Enfin « l’islam et les droits de l’homme sont compatibles », selon lui, ce qui sera démontré par le « dialogue et des élections libres ». Car l’islam, dit-il, ne cherche que le bonheur de l’humanité et l’application de liberté et de la justice.

Un discours qui avait de quoi ravir ses auditeurs.

Petit bémol, toutefois, lorsque des questions furent posées après sa prestation. Notamment à propos d’Amina, membre de Femen, arrêtée récemment. Rached Gannuchi faisait état de ce qui seraient ses troubles psychologiques et ajoutant que son comportement est contraire à la tradition tunisienne et que quiconque va à l’encontre de la tradition doit s’attendre à rencontrer des problèmes. Un membre de l’Assemblée Constituante l’accompagnant annonçait d’ailleurs qu’elle n’avait été condamnée qu’à une amende.

Mais cette notion de respect obligatoire des traditions a néanmoins de quoi inquiéter... surtout dans des sociétés très conservatrices.

Une Constitution qui présente le sionisme en ennemi principal de l’humanité

Ce que ne dit pas Rached Gannuchi à Washington, bien sûr, c’est qu’en préambule cette Constitution se trouve ceci : « en agissant pour édifier l’unité maghrébine, un pas pour la réalisation l’unité arabe et vers la complémentarité avec les peuples musulmans et les peuples africains et l’entraide entre les peuples du monde, pour le triomphe des victimes dans tous lieux, pour le droit des peuples de décider de leurs destins, pour les mouvements de libération justes, en premier lieu le mouvement de libération palestinien, pour lutter contre toutes les formes de discrimination et de racisme, ennemis de l’humanité, et à leur tête le sionisme  ».

Voilà comment les membres de la Commission de rédaction de cette Constitution ont introduit le plus hypocritement du monde la notion de criminalisation des liens avec Israël, notion qui avait été fortement décriée à l’étranger lorsqu’elle avait été annoncée et donc abandonnée dans ce projet. Ce qui est un exemple magistral de duplicité, le mot « criminalisation » n’étant pas employé, mais le sionisme devenant l’ennemi public n°1. Et l’opprobre ne se limite pas qu’au seul État d’Israël mais à tous ceux qui soutiennent le sionisme, dont un certain nombre de Juifs.

Ce qui est d’autant plus grave que l’Article 138 pose que « Le préambule de la présente constitution, est une partie indissociable de celle-ci ». Indissociable ne veut pas dire révocable pour partie. Mais qui peut sérieusement envisager comment une quelconque procédure forcément lourde serait engagée dans ce sens ?

Des droits de l’homme revus à la sauce des spécificités tunisiennes et de l’identité arabo-musulmane

Par ailleurs, l’analyse détaillée faite par divers experts concernant ce projet de Constitution, disponible en arabe et en français ou sa simple lecture ne concorde pas tout à fait avec le discours lénifiant de Rached Gannuchi. Même s’il est rédigé de manière très prudente, les droits de l’homme ne sont pas pleinement reconnus, comme le souligne Human Rights Watch, étant donné que ces droits universels sont assortis de cette précision : ils « s’articulent avec les spécificités culturelles du peuple tunisien...nos mouvements correctifs éclairés qui se rapportent aux caractéristiques de l’identité arabo-musulmane ». Voilà qui laisse bien peu de place aux non-musulmans tunisiens et qui ne semble pas compatible avec un « universalisme » digne de ce nom...

D’autant que l’on trouve également dans le préambule de ce projet de Constitution : « l’homme est un être honoré, en renforcement de notre affiliation culturelle et à la civilisation de la nation arabe et musulmane, à partir de l’unité nationale fondée sur la citoyenneté, la fraternité, la solidarité et la justice sociale, en agissant pour édifier l’unité maghrébine, un pas pour la réalisation l’unité arabe ».

Human Rights Watch – HRW- critique par ailleurs l’article 21 « Les conventions internationales approuvées par l’Assemblée des représentants du peuple sont au plus haut degré des lois et du plus bas de la constitution ». Car « il risque d’être utilisé pour annuler ou réduire la protection offerte par des droits de l’homme fondamentaux inscrits dans des traités signés par la Tunisie ».

L’Article 5 stipule que « l’État garantit la liberté de croyance et le libre exercice du culte » or, souligne HRW, il « ne mentionne pas la liberté de pensée et de conscience, y compris le droit de changer de religion ou d’être athée », alors que « les droits de l’homme seraient mieux protégés avec des garanties explicites ». Et si, dans plusieurs Articles, la liberté d’expression, de réunion sont garanties, elles peuvent être réduites par des lois, sans qu’aucune précision soit donnée.

Démocratie ? un Président musulman pour un État dont la religion est l’islam

Bien que selon l’Article 6 « tous les citoyens sont égaux devant la loi en droits et obligations, sans discrimination », HRW souligne qu’il y a en fait discrimination dès lors que le Président de la République, doit être musulman. En effet, l’article 72 est clair sur ce point : « La candidature à la présidence de la République est un droit pour toute électrice et pour tout électeur portant la seule nationalité tunisienne, de naissance, sans aucune autre. Sa religion c’est l’islam ».

L’Article 136 affirme que « l’Islam est considéré la religion de l’État », souligne également HRW. Qui conclut : ce projet de Constitution doit être revu.

Critiques internes

Des voix nombreuses se sont élevés en Tunisie même dès que le projet final a été connu. Ainsi, le Professeur Sadok Belaïd, expert en droit constitutionnel, a-t-il présenté « des remarques partagées par le Conseil du Dialogue National, se rapportant essentiellement aux droits et libertés et à la répartition des pouvoirs ». Mais « il y a aussi l’article 136 qui concerne les modalités d’amendement de la constitution ». Amendements rendus impossibles sur ces points : l’Islam comme la religion de l’État, la langue arabe, langue officielle ou encore le nombre des cycles présidentiels et leur prolongation en surplus .

Autre critique intérieure : celle du professeur de droit constitutionnel, Kaïs Saïed, qui dénonçait « l’aspect inachevé et controversé de ce projet ». Le média le citant ajoute que : « pour l’éminent spécialiste, une constitution qui ne sert qu’à légitimer un pouvoir ne sert pas à grand chose. La vraie constitution, selon lui, c’est les slogans que des jeunes ont marqués sur les murs de leurs villes, lors de la révolution ». De plus, il « a relevé quelques anomalies à revoir dans le projet final et a noté que la ratification de celui-ci n’a aucune valeur juridique »=

Par ailleurs,deux experts en Droit, Fadhel Moussa et Amor Chetoui, n’ont pas assisté à la présentation de ce projet le 1er juin « pour manifester leur mécontentement » la qualifiant de « construction anarchique sans autorisation et sans suivi » ou « d’acte prématuré », entre autres critiques= .

Bien évidemment ce qui est connu à ce jour est un projet, même s’il s’agit du projet final qui doit être soumis au vote et dont Rached Gannuchi disait à Washington qu’il n’y aura que très peu de changements portant sur « de très petits détails ». L’affaire est donc à suivre.



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