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« Nous sommes confrontés à la pire des haines »
Propos d’Ariel Sharon recueillis par Jean-Marie Colombani et Gilles Paris pour Le Monde
Article mis en ligne le 27 juillet 2005

Ariel Sharon nous a reçus, en compagnie du cinéaste Claude Lanzmann, au sein du vaste complexe du ministère de la défense, à Tel-Aviv, dans une villa construite au XIXe siècle par des missionnaires allemands et occupée par David Ben Gourion pendant les heures les plus difficiles de la guerre d’indépendance, de 1948 à 1949.

Un portrait du fondateur de l’Etat moderne d’Israël orne la pièce voisine du bureau où a pris place M. Sharon. Il assure que le mobilier du lieu est resté inchangé et invite au passage les visiteurs à s’assurer de la solidité des sièges qui entourent la longue table de réunion. Réputé peu bigot, M. Sharon garde à portée de main un exemplaire de la Bible, dont il se saisit au cours de l’entretien à l’occasion de digressions historiques.

Comment caractériseriez-vous l'état de la société israélienne à la veille du retrait de Gaza, annoncé pour le 17 août ?
Ce projet constitue une épreuve très difficile pour Israël. Il a donné lieu à un débat national tumultueux. Il concerne des milliers de personnes, dont certaines en sont à la troisième génération installée au même endroit. Ces personnes ont été confrontées au terrorisme et ont pourtant réussi à construire dans ces circonstances des exploitations agricoles d'un niveau exceptionnel. Ce projet de retrait a évidemment créé des dissensions et des désaccords internes très forts. Il y a une véritable déchirure politique, mais je reste persuadé que ce projet est très important pour Israël, et il sera réalisé dans les délais prévus.

Il y a un débat en Israël à propos de vos motivations. Pourquoi ce retrait de Gaza ?
J'avais pensé qu'il fallait faire un très grand effort pour parvenir à un accord qui pourrait peut-être nous tirer de cette situation extrêmement dure, cette guerre permanente contre ce terrorisme arabe, palestinien, qui dure depuis cent vingt ans (date des premières installations juives). Malgré la volonté israélienne de parvenir à un accord, il n'y avait cependant pas d'interlocuteur [côté palestinien]. Tant qu'Arafat était vivant, sa stratégie était celle du terrorisme et du meurtre. On n'avait personne à qui parler. L'élection d'Abou Mazen (Mahmoud Abbas, élu en janvier, chef de l'Autorité palestinienne), a ouvert une possibilité. Je le connais depuis longtemps, et j'ai avec lui des relations personnelles très bonnes. Israël a obtenu un succès important avec l'accord que j'ai conclu [en 2004, en accompagnement du retrait de Gaza] avec le président Bush. De toutes les manières, dans tous les plans d'accord que je connais, on ne voit pas la bande de Gaza rester aux mains d'Israël. Il y a là 1,2 ou 1,3 million de Palestiniens, et 8 000 juifs qui vivent dans une situation sécuritaire très difficile, alors que cette zone ne revêt pas d'importance stratégique particulière.

Etait-ce alors une erreur de construire des colonies à Gaza ?
Non, je ne crois pas que cela a été une erreur. Cela a aussi contribué à amener les Palestiniens à comprendre qu'il fallait changer de politique. Cet accord auquel je suis parvenu avec le président Bush nous permet de conserver des zones qui ont une grande importance stratégique et des zones de peuplement dense, les grands blocs d'implantation. Car la situation a changé sur le terrain depuis quarante ans, à Maale Adoumim, à Ariel, et dans un certain nombre d'endroits. Les grands blocs et les zones qui comptent pour notre sécurité sont déjà de grands succès. Mais l'un des plus grands avantages est que, pour la première fois depuis la création d'Israël, un Etat qui n'est pas le moindre, les Etats-Unis, a reconnu que les réfugiés ou leurs descendants [palestiniens] ne retourneront pas en Israël, mais dans un Etat palestinien quand il verra le jour.

Vous considérez donc comme souhaitable l'existence d'un Etat palestinien ?
S'il s'agit d'un Etat démilitarisé, qui ne permet pas aux groupes terroristes d'exister, qui a démantelé les organisations terroristes, qui a confisqué leurs armes, qui a cessé totalement les activités de terreur, de violence et d'incitation [à la violence], alors je crois que c'est positif.

Cet Etat ne passe-t-il pas nécessairement par d'autres retraits en Cisjordanie ?
Un des points les plus importants de l'accord avec le président Bush est qu'il ne reconnaît qu'un seul plan de paix valable, la "feuille de route". Nous ne sommes pas encore dans la "feuille de route", mais dans une étape préliminaire. Pour entrer vraiment dans ce plan, il faut qu'il y ait un arrêt total du terrorisme, la confiscation des armes, le démantèlement des organisations terroristes. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de prochaines phases de retrait prévues. Il n'y a qu'une seule phase. Après cela, on passe à la "feuille de route", si les conditions que je viens d'évoquer sont remplies. J'étais prêt et je suis toujours prêt à faire des concessions très douloureuses en échange d'une véritable paix, mais je n'étais pas prêt et je ne suis pas prêt aujourd'hui ni ne le serai demain à faire la moindre concession concernant la sécurité des citoyens et de l'Etat d'Israël. Seul Israël peut déterminer quels sont ses besoins en matière de sécurité. Israël est un petit pays. C'est le seul endroit au monde où les juifs ont le droit et la force d'assurer eux-mêmes leur autodéfense. Je suis juif, et mon devoir est de tout faire pour préserver ce droit et cette capacité.

Qu'est-ce qui a changé dans votre vision d'Israël ? Est-ce la charge de premier ministre, la conscience de la responsabilité à la tête du pays ou le fait que vous avez un interlocuteur en la personne de M. Abbas ? Avez-vous l'idée d'être, à terme, l'homme de la paix dans cette région ?
Il y a un peu de tout cela. Je ne fais pas ce que je fais pour qu'on m'attribue un titre, ce n'est pas ce que je recherche. J'ai participé à toutes les guerres d'Israël depuis le grade de caporal jusqu'au rang de général. J'ai eu le privilège de commander les meilleures unités de l'armée. J'ai vu de mes yeux toutes les horreurs de la guerre. J'ai dû prendre des décisions de vie et de mort me concernant et en concernant d'autres. Ce qui fait que je comprends l'importance de la paix mieux que n'importe quel homme politique qui ne se serait jamais trouvé dans de telles situations. Pour moi, la paix doit amener la sécurité. Sinon, quel sens aurait-elle ? Je sais que les militaires sont toujours soupçonnés d'aimer la guerre, surtout moi, qui ai été décrit pendant des années comme un général qui cherchait la guerre, ce qui était faux, évidemment. J'ai pensé qu'il fallait que quelqu'un de notre génération, celle qui a vu Israël naître, qui a vu les plus grandes victoires et les plus grandes défaites, les luttes diplomatiques et politiques, que quelqu'un de cette génération fasse cet effort, cette démarche exceptionnelle pour la paix.

Pensez-vous qu'il existe aujourd'hui une réelle opportunité ?
Bien sûr, et j'y ai contribué, mais cela dépend en grande mesure aujourd'hui des Palestiniens. Si le calme ne revient pas, les Palestiniens ne pourront pas réaliser leur rêve national. Dans ce dossier, je suis le dos au mur. Avec Abou Mazen, nous avons un contact, il y a un contact entre mon bureau et le sien. Disons que c'est un contact quotidien. Mais je n'ai toujours pas vu d'action sérieuse de sa part contre le terrorisme. Il se contente d'agir un peu. C'est dommage. Vous vous souvenez du cas d'une jeune femme arabe grièvement brûlée et qui sortait presque tous les jours de la bande de Gaza pour se faire soigner dans un hôpital de Beer Sheva. On l'a utilisée et on lui a confié des explosifs [qui ont été découverts par les Israéliens au point de passage d'Erez]. Elle aurait dû se faire exploser parmi les médecins. Quand j'ai vu Abou Mazen après cela, il était un peu gêné. On lui avait donné longtemps auparavant le nom du commanditaire palestinien. Il m'a dit : "Dans quarante-huit heures, je vous annoncerai son arrestation." Mais ce commanditaire reste curieusement introuvable.

Il n'y a rien qu'Israël puisse faire pour aider Abou Mazen ?
Je connais Abou Mazen depuis des années maintenant. Quand nous nous sommes rencontrés à Charm el-Cheikh [le 8 février], je lui ai dit que j'étais prêt à l'aider. Nous avons relâché 900 terroristes, nous avons fait disparaître beaucoup de check-points et de barrages. Dans mon gouvernement, des ministres éminents, comme [le vice-premier ministre] Shimon Pérès, s'efforcent de collecter de l'argent à l'extérieur pour aider les Palestiniens. Je suis prêt à les aider, mais il y a une limite. Je ne veux pas sacrifier la vie d'un citoyen israélien pour renforcer Abou Mazen.

Israël construit une "clôture de sécurité" dans les territoires palestiniens. Est-ce la future frontière ?
La barrière est un facteur très important dans la lutte contre le terrorisme. Nous sommes parvenus à réduire significativement le nombre des terroristes qui atteignaient le centre d'Israël grâce à cette barrière. Les frontières seront définies, selon la "feuille de route", lors de la dernière étape des négociations. Le plus grand obstacle, c'est que le monde arabe, pas seulement les Palestiniens, n'a pas encore reconnu le droit des juifs à disposer d'un Etat indépendant et juif sur leur terre natale. Je ne veux pas dire qu'il faut attendre, parce que cela peut ne jamais arriver. Peut-être que cela prendra beaucoup de temps. On a pu obtenir des accords avec des responsables arabes, mais les peuples, les Arabes, n'ont jamais accepté Israël. En Egypte, vous ne trouverez aucune école avec une carte de la région où figure Israël. C'est la même chose en Jordanie, avec laquelle nous avons pourtant une coopération stratégique. Nous recevons les malades arabes gravement atteints pour les soigner, mais les organisations de médecins arabes boycottent Israël. Il faut avancer, mais il faut en même temps rester très prudent. Nous sommes confrontés à la pire des haines. C'est pourquoi je préfère un processus par étapes. Ici, dans cette région, les discours, les discussions, les promesses et même les accords signés n'ont aucune valeur, seules les actions comptent.

Diriez-vous à nouveau qu'il est urgent pour les juifs de France de venir en Israël pour fuir l'antisémitisme ?
Je tiens tout d'abord à dire que j'ai choisi de me rendre en France à l'invitation de Jacques Chirac, en dépit de la crise intérieure israélienne, car je pense qu'il s'agit d'un facteur important et que je veux évoquer avec lui des sujets de la région : l'Iran, la Syrie et le Hezbollah au Liban. J'apprécie sa compréhension de la région. Nos relations avec la France se renforcent, à tous les niveaux, notamment commercial. Le gouvernement français et M. Chirac ont déployé beaucoup d'efforts pour lutter contre l'antisémitisme, dont la montée en Europe nous inquiète et devrait inquiéter les Européens. Les mesures prises sont importantes. Ce qui a été fait en France peut servir d'exemple pour d'autres pays européens. Car il y a un changement dans l'antisémitisme. Les sentiments anti-israéliens servent de couverture au vieil antisémitisme. Pour ce qui concerne mon appel aux juifs, il faut savoir que l'un des principaux objectifs de ce gouvernement est de renforcer la présence juive en Israël avec l'objectif de faire venir un million de juifs, du monde entier, au cours des quinze prochaines années. Ceux qui sont encore dans l'ex-URSS, mais aussi des juifs des Etats-Unis, du Canada et d'Amérique latine. C'est notre principal effort. Je n'invite pas seulement les juifs de France à venir, mais les juifs du monde entier.



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