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Des rédacteurs en chef de journaux arabes basés à Londres réagissent à l’intervention française au Mali
MEMRI Middle East Media Research Institute
Article mis en ligne le 16 janvier 2013

Les rédacteurs en chef des principaux quotidiens arabes basés à Londres Al-Sharq Al-Awsat et Al-Quds Al-Arabi ont réagi à l’intervention militaire de la France au Mali, qui vise à libérer le nord du pays du contrôle des organisations djihadistes. Le rédacteur en chef d’Al-Sharq Al-Awsat, Tariq Alhomayed, a critiqué la France et la communauté internationale pour intervenir au Mali et non en Syrie.

En revanche, selon son homologue d’Al-Quds Al-Arabi, ‘Abd Al-Bari’ Atwan, les interventions occidentales dans les pays musulmans sont une nouvelle forme de colonialisme destinée à piller les richesses des musulmans. Il ajoute que ces actions ont généralement l’effet inverse que celui escompté : elles favorisent le chaos et la corruption et renforcent les terroristes. L’intervention au Mali, a averti ‘Atwan, est susceptible de renforcer les djihadistes là-bas, et peut réveiller des cellules dormantes d’Al-Qaïda en France, qui fomenteront des opérations terroristes sur le sol français.


Ci-dessous la traduction en français de l’article d’Alhomayed, tel qu’il apparaît dans l’édition anglaise d’Al-Sharq Al-Awsat, [1] et d’extraits de l’article d’Atwan, publié dans Al-Quds Al-Arab. [2]

Le rédacteur en chef d’ Al-Sharq Al-Awsat  : Pourquoi l’Occident se précipite-t-il à l’aide du Mali, alors qu’il ignore la Syrie ?
 
Tariq Alhomayed


Nous ne pouvons blâmer ceux qui sont surpris par la décision de la France d’intervenir militairement au Mali, après neuf mois durant lesquels les militants islamistes contrôlent certaines parties du pays, tandis que ces deux dernières années, le monde entier est resté aveugle devant le terrorisme de [Bachar] El-Assad, qui a tué jusque-là environ 50 000 Syriens, sans parler de la situation humanitaire catastrophique à laquelle sont confrontés le reste des citoyens du pays.


Selon son président, François Hollande, la France, à la demande du président du Mali, et en respect de la charte des Nations unies, s’est engagée hier à soutenir l’armée malienne contre l’agression terroriste qui menace toute l’Afrique occidentale. Pourtant, la question ici est : quel est ce règlement qui s’applique au Mali, mais ne s’applique pas aux crimes d’El-Assad contre les Syriens ? Si le président du Mali a demandé à la France seule de se mobiliser, avec la bénédiction de l’Occident, comment empêcher quelqu’un de dire que l’Iran, par exemple, pourrait intervenir pour protéger El-Assad, à la demande du « président syrien », qui a toujours affirmé que les rebelles sont des terroristes ?


C’est réellement une question inquiétante. Mon intention ici n’est pas de dévaluer la détresse du Mali et de ses citoyens, ou de minimiser leurs souffrances, mais l’histoire ignore la souffrance des Syriens, une situation qui ne peut être sanctionnée par aucune logique, loi ou religion. Il est étrange que François Hollande affirme que l’opération d’intervention au Mali durera « aussi longtemps que nécessaire », et que « la France sera toujours présente lorsque les droits d’un peuple, ceux du Mali, qui veut vivre libre et dans une démocratie, sont en cause. » La question ici est la suivante : n’est-ce pas aussi ce que veulent les Syriens, qui ont été confrontés aux pires formes de terrorisme perpétré par le régime d’El-Assad, au milieu d’un silence international, durant ces deux dernières années. Quand je parle d’un silence international, je ne veux pas dire [que] les Syriens ont besoin de paroles, mais plutôt d’actions. Il est inconcevable que les rebelles syriens ne reçoivent aucun soutien face à un régime criminel qui n’hésite pas à utiliser des avions et des missiles, grâce à une aide iranienne manifeste, tandis que l’Occident se précipite à la rescousse du Mali.


Pour le plaisir d’argumenter, certains peuvent mentionner la scène politique internationale difficile concernant la Syrie, et soutenir qu’une intervention extérieure ne ferait que compliquer les choses. Cependant, la réalité montre que les efforts diplomatiques, que ce soit au niveau des négociations avec les Russes ou par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, ne sont pas sérieux. Nous ne pouvons dire que tout le monde a fait tout son possible. Le monde, y compris notre région, est resté assis là, dans le vide créé par le président américain et ses priorités électorales ces deux dernières années, et tous attendent toujours une position américaine décisive. Pendant ce temps, El-Assad n’attend rien ; ses crimes contre les Syriens se poursuivent et il a même fait une apparition [et] proposé des initiatives à ses conditions.


Pour conclure, la justification fournie par les Français pour leur intervention militaire au Mali n’est rien moins qu’une [marque noire contre] France elle-même, et la communauté internationale, pour ne pas intervenir et soutenir les rebelles en Syrie, qui souffrent de crimes plus odieux que ceux au Mali. El-Assad ne représente pas seulement une menace pour les Syriens, mais aussi pour la région dans son ensemble et le [bassin] méditerranéen, qui a bien évidemment des répercussions sur la sécurité de la France et de l’Occident.

Le rédacteur en chef d’ Al-Quds Al-Arabi  : « N’est-il pas étrange que toutes les interventions de l’OTAN... visent des pays musulmans et dévastent des peuples musulmans...? »
 
’Abd Al-Bari’ Atwan

Hier, l’ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi a révélé que la France [avait] envoyé des avions pour bombarder des sites en Libye, avant même que la Résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU ne soit approuvée. Il a également affirmé que la France [avait] provoqué un différend local pour justifier son intervention. Aujourd’hui, les agences de presse internationales nous disent que des avions français ont bombardé des positions rebelles islamistes au Mali pendant [trois jours], et [ont] envoyé un renfort de troupes dans la capitale, Bamako, en attendant l’arrivée des États d’Afrique occidentale (CEDEAO) pour expulser les rebelles Al-Qaïda du nord du pays.


D’abord, l’Occident est intervenu en Afghanistan, le déchirant géographiquement et démographiquement et tuant des milliers de ses habitants. Ensuite, il a envahi l’Irak, le [plongeant] dans un conflit sectaire, dispersant des millions de ses résidents, et le transformant en l’un pays les plus corrompus du monde. Puis il a poursuivi dans cette voie avec des bombardements en Libye et au Yémen, et à présent, il soutient fermement le soulèvement en Syrie.


Ils nous ont dit que l’intervention militaire de l’OTAN en Libye [voulait] éviter un massacre, renverser un tyran, établir la stabilité, construire un Etat moderne et lutter contre la corruption. Nous leur disons que tous ces prétextes sont nuls et non avenus. La tyrannie était votre amie, et la corruption fut et sera toujours votre moyen de piller nos ressources naturelles et financières. Ce n’est pas un hasard si tous les pays dans lesquels vous êtes intervenus, à savoir l’Irak, l’Afghanistan, la Somalie, et la Libye, occupent les premières places dans la liste de Transparency International des pays les plus corrompus au monde. Votre intervention en Afghanistan [visait] à lutter contre Al-Qaïda et détruire ses racines, mais elle n’a fait [que] gagner en puissance avec votre invasion de l’Irak. Bombarder la Libye et renverser son régime a ouvert les portes de son arsenal aux mouvements djihadistes qui contrôlent désormais l’Afrique subsaharienne et du nord du Mali avec la participation active d’AQPA [Al-Qaïda dans la péninsule arabique].


N’est-il pas étrange que toutes les interventions de l’OTAN et ses invasions militaires visent les pays musulmans et dévastent des populations musulmanes, qui sont assassinées, déplacées et touchées par la famine - de la Somalie, en passant par l’Afghanistan, puis l’Irak et, enfin, le Mali. Ils justifient cette intervention armée sanglante au Mali en disant qu’elle [vise] à lutter contre Al-Qaïda, mais Al-Qaïda ne se trouvait pas en Libye ou en Irak avant l’invasion. Elle n’y est entrée qu’après l’intervention. Ce qui se passe actuellement est un retour au vieux colonialisme, mais avec des causes et des noms différents, parfois [sous la bannière du] changement des régimes dictatoriaux, et d’autres fois sous la bannière de la justice, de la liberté et des droits de l’Homme...

« La France va subir le même sort [que] l’Amérique en Irak et en Afghanistan »


Le pétrole est la principale raison qui se cache derrière toutes les interventions militaires occidentales dans les pays musulmans, et le Mali ne fera pas exception. Certes, le Mali n’est pas un Etat riche en pétrole, mais il est adjacent aux plus grands champs de pétrole et de gaz en Afrique, [ceux d’]Algérie et du Nigeria, et son territoire renferme un grand stock d’uranium et d’autres métaux précieux...


L’Amérique, en concurrence féroce avec la Chine pour contrôler l’Afrique, a créé un commandement militaire spécial du nom d’« Africom » et s’est empressée de soutenir l’intervention militaire française au Mali. Bientôt, nous verrons des dizaines de drones américains chasser des combattants et non-combattants islamistes, tout comme en Afghanistan et au Yémen.


La France va subir le même sort [que] l’Amérique en Irak et en Afghanistan, peut-être même pire, parce les interventions militaires occidentales au 21e siècle ne sont plus guère faciles et sont lourdes de risques. La région africaine du Sahel va sombrer dans le chaos, étant donné que les groupes djihadistes qui évoluent dans les recoins de ses déserts sont armés jusqu’aux dents, grâce à l’intervention militaire occidentale en Libye, qui a permis à ces groupes de se procurer des armes dont ils n’auraient jamais rêvé. La France s’est rendue au Mali sous prétexte d’éliminer Al-Qaïda et de l’empêcher d’implanter une base à proximité de ses côtes. L’intervention peut conduire ces organisations djihadistes à accomplir ce que la France cherche à éviter. Plus dangereusement, elle pourrait réveiller certaines de ses cellules inactives au sein de la France qui perpétraient des opérations terroristes comme celle de Mohamed Merah dans l’École juive française de Toulouse.


La question est : combien de temps encore les riches territoires arabes et musulmans affronteront-ils des interventions militaires et dominations occidentales sous un prétexte quelconque ? Aujourd’hui, l’Occident mène une guerre contre les organisations djihadistes au Mali et dans la région du Sahara. Ce même scénario se répétera-t-il bientôt en Syrie, sous l’enseigne d’une lutte contre le front Al-Nusra djihadiste et autres ? Rappelez-vous ces mots. 

Notes :

 [1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 15 janvier 2013. Les deux articles ont été légèrement modifiés par souci de clarté.
 [2] Bariatwan.com/anglais, le 14 janvier 2013. Pour lire l’article en arabe, voir Al-Qods Al-Arabi (Londres), le 14 janvier 2013.



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