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« Colonne de Nuée » : un écran de fumée ?
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 27 novembre 2012

L’opération israélienne « Pilier de défense » est profondément perturbante à de nombreux points de vue et à différents étages de la réalité. La déception d’une grande partie de la société israélienne est manifeste. L’opinion en ressort déconcertée du fait de la dissymétrie entre l’importante mobilisation en hommes et en esprit et les résultats obtenus. Le mythe de Netanyahou en ressort profondément ébranlé et sa position politique s’en ressentira. Le sentiment d’une opération brisée dans son élan est prégnant. Il faut faire le point.

Réussites et défaillances

Il y a bien sûr des succès. Avant tout, la guerre a été écartée avec son cortège de victimes probables. Peut-être aussi, en cette conjoncture précise (menaces israéliennes sur l’Iran, deuxième cadence d’Obama), Israël a-t-il évité un piège tendu par l’Iran très intéressé à l’enferrer dans une intrusion militaire à Gaza ? Il est sûr que le Hamas a été militairement affaibli, en tout cas pour un certain temps (c’est là le problème en fait). De même, le dispositif du « Dôme de fer » a fait une entrée fracassante dans l’arène des techniques de la défense : il minorise, sans l’éliminer totalement, la menace des missiles, au sud et au nord. Pour l’instant le cessez-le feu semble observé mais les négociations prévues entre le Hamas et Israël n’ont pas encore abouti au Caire. Nous verrons bien. Incertitude donc.

Le succès politique le plus important tient sans doute à la relative marginalisation de l’Iran et de l’axe shiite à Gaza au profit de l’axe sunnite (Egypte et Turquie, quoique uniquement sous pression américaine, malgré leur hostilité) et l’apparence d’une coopération Netanyahou-Obama, alors que l’on pouvait craindre le pire.

Les défaillances dans la gestion de la crise sont, cependant, multiples.

1) La sécurité d’Israël a été confiée à l’Egypte des frères Musulmans, en charge du contrôle du cessez-le-feu, ce qui peut lui fournir un moyen de pression politique et de chantage. Morsi, qui s’est transformé aussitôt en dictateur après avoir donné ce gage à Obama, est le grand vainqueur de l’opération Pilier de défense. Que le cessez le feu ait été obtenu via l’Egypte et la Turquie représente certes une prouesse diplomatique, dont tout le mérite revient à Obama, mais c’est aussi une réalité à double tranchant pour Israël, non seulement vis à vis de ces deux puissances mais aussi d’Obama. Les Américains réussiront-ils, par ailleurs, à éliminer les transferts d’armes dans le Sinaï ? C’est à voir, car ce type de dispositions n’a jamais marché dans le passé (à preuve l’échec de la force de l’ONU dans les terres du Hezbollah après la deuxième guerre du Liban).

2) Le Hamas sort politiquement renforcé de l’opération. Il a reçu le soutien de nombre de délégations arabes venues l’encourager sur son territoire, il a tenu 8 jours face à Israël en le bombardant de 1500 roquettes, atteint (symboliquement) Tel Aviv et Jérusalem et surtout obtenu la reconnaissance de facto d’Israël puisqu’Israël négocie avec lui. On peut ajouter que sur le plan de la symbolique arabe, le Hamas sort militairement vainqueur. Cette réussite signe peut-être le déclin de l’Autorité palestinienne. Le Hamas peut en effet prétendre auprès des Palestiniens avoir obtenu quelque chose d’Israël d’égal à égal. Mais peut-être aussi Israël veut-il qu’un Etat-Hamas séparé se crée effectivement à Gaza pour consacrer la rupture avec la Judée-Samarie et l’Autorité palestinienne et éviter une situation impossible dans laquelle l’Autorité Palestinienne pourrait couper Israël en deux pour établir un lien avec Gaza ?

3) Il est clair enfin que c’est du fait de la pression très « ferme » des Etats Unis que le gouvernement n’a pas donné l’ordre d’entrer à Gaza alors que 70 000 réservistes étaient sur le pied de guerre. Cette pression augure d’autres pressions. La couleur a été annoncée dès l’annonce du cessez le feu avec la nécessité maintenant d’une solution du conflit du Proche Orient. Israël pourra-t-il résister ultérieurement à l’imposition d’une « solution » américaine ?

Le vrai problème : le renoncement à une victoire

Tout cela contribue à planter le paysage de la réalité, néanmoins le cœur du problème que pose cette opération militaire est ailleurs : dans les symboles et l’esprit. « Pilier de défense » est la troisième opération de Tsahal qui finit en queue de poisson : obtention d’un calme limité mais suspension de la marche à une défaite claire de l’ennemi, ce qui occasionne une nouvelle opération. La guerre contre le Hezbollah au Liban inaugura ce modèle, puis Plomb Durci à Gaza et Pilier de défense. Cette dernière opération illustre rétroactivement l’échec à long terme de Plomb durci qui laisse aussi augurer d’une deuxième confrontation avec le Hezbollah et sans doute une troisième à Gaza. Entre temps, Israël a laissé s’installer à ses portes deux terribles ennemis en leur offrant une pré-emption sur la population civile israélienne. Jamais avant Oslo cela n’aurait été toléré par le gouvernement israélien.

On peut penser très clairement qu’Israël n’a pas voulu vaincre son ennemi dans ces 3 opérations, ce qui tranche en effet sur ce que fut sa doctrine stratégique jusqu’alors. D’où le malaise. Pouvait-il l’éliminer ? C’est là la question. Un nouveau type de guerre s’est en effet installé, dite « asymétrique », une guérilla disposant d’armes importantes qui utilise les civils comme bouclier et vise sauvagement les civils ennemis. Ce type de guerre n’engage pas des armées des deux côtés. Du temps d’Olmert, l’opération contre le Hezbollah fut la première du genre. Pour l’observateur, ce fut un cauchemar désespérant car on eut l’impression d’une improvisation totale, d’absence d’objectifs clairs, allant jusqu’à la débandade : on découvrit avec stupéfaction que l’intendance ne suivait pas, abandonnant les soldats engagés à leur triste sort, tandis que les villes israéliennes se retrouvaient sous les missiles iraniens. L’indécision, l’atermoiement du gouvernement Olmert dans la conduite de ces opérations dont l’ambition se voulait limitée s’accompagna de pressions occidentales pour empêcher Israël de gagner la bataille. C’est là une récurrence dans ce conflit : l’Occident vient toujours au dernier moment pour sauver les ennemis d’Israël d’une défaite annoncée, ce qui fait de lui le principal et démoniaque artisan de ce conflit qui n’en finit pas. C’est bien ce qui s’est passé dans ces 3 opérations.

Je mets aussi en rapport ces 3 opérations avec la doctrine stratégique de Ehud Barak. Elle est sans doute liée aussi à son credo politique dans le sillage des « Accords d’Oslo », un tournant qui a changé la donne stratégique pour Israël, notamment sur le plan de la vision des choses israélienne et des illusions tenaces envers un pseudo « partenaire de paix »… Les Israéliens jouent naïvement, ou formellement, ce jeu, sans doute poussés par les Occidentaux, mais il y a aussi de graves illusions qui l’obèrent. Toute une mentalité accompagne cet état de faits et c’est ce qui est le plus inquiétant quand nous le percevons à partir de l’Europe, car nous avons vu, depuis 12 ans, quelle était l’évolution inquiétante de l’Europe en regard des Juifs et avant tout d’Israël. Il a fallu des années aux Israéliens pour commencer seulement à y comprendre quelque chose. Le problème c’est que beaucoup d’entre eux ont oublié qu’ils étaient plus que des Israéliens et qu’ils restaient des Juifs, au regard de l’imaginaire séculaire des autres.

Le plus grave

Pour qui a suivi pendant des heures les débats organisés par la télévision israélienne, tout au long de l’opération, un fait est frappant. Dans une partie de l’opinion israélienne et en tout cas de la majeure partie des journalistes, le souci de la reconnaissance internationale, de la légitimité, de la justification de l’opération militaire auprès du tribunal occidental et de la pseudo « communauté internationale » est central. J’ai même entendu évoquer le Rapport Goldstone comme une menace juridique et morale très sérieuse sur laquelle Israël devrait se régler. C’est une donnée accablante quand on connaît la falsification qui inspire ce document et la très petite moralité des puissances occidentales et des organismes internationaux dont aucune n’est en position de faire la morale à qui que ce soit, surtout sur de semblables faits de guerre (la Libye, l’Irak, l’Afghanistan, l’Afrique noire, le Rwanda, pour les puissance occidentales, sans compter la corruption des pétrodollars arabes ; le Kurdistan pour les Turcs, les Coptes pour l’Egypte, etc).

Le plus grave est ailleurs car ces Israéliens croient profondément dans la validité normative d’un jugement qui n’est pas seulement l’expression d’acteurs, eux mêmes immoraux, mais d’acteurs qui ne leur veulent pas du bien, qui sont les porteurs de valise des Palestiniens et des Arabes et dont les entreprises visent uniquement et systématiquement à ce qu’il n’y ait jamais de victoire israélienne qui mette un terme à la guerre contre lui et permette d’installer un système international durable dans la région. On sait très bien, on l’a vu, qu’une telle victoire serait limitée du fait de la petitesse de la nation israélienne et de son caractère démocratique, alors qu’une victoire arabe verrait la destruction d’Israël.

Que les Israéliens se sentent dépendant dans leur sentiment de légitimité d’un tel aréopage est moralement et même « métaphysiquement » accablant. C’est un manque de réalisme qui entraîne nécessairement une analyse stratégique défaillante. Cela montre une aliénation fondamentale dans la conception de soi, une régression dans l’idée et le sentiment de souveraineté. C’est le signe qu’Israël n’est pas conscient de la perversité morale de cet environnement qui sous prétexte de compassion veut l’enferrer dans une impasse mortelle. J’ai eu l’occasion de l’étudier en profondeur dans Les frontières d’Auschwitz, le dérapage du devoir de mémoire  » (LP-Hachette).

Deux faits peuvent l’illustrer. Le plus manifeste est l’œuvre des Etats européens qui veulent interdire à Israël le droit à la légitime défense tout en se recommandant de la mémoire de la Shoah. La déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères lors de la récente crise est significative : tant qu’Israël ne pénètre pas à Gaza, il est légitime, mais il ne l’est plus si il y entre. Un fait stupéfiant illustre cette état d’esprit : pendant que le Hamas tirait 1500 roquettes sur Israël, Israël continuait de lui fournir, eau, électricité, nourriture et médicaments. On n’a vu une telle chose nulle part au monde. En somme, l’Europe lui demande de se laisser passivement trucider tandis que lui nourrit et renforce son ennemi. L’humanité d’Israël (sous le jour de la Shoah) n’est « reconnue » qu’à la condition de son statut victimaire. Les trésors d’ingéniosité déployés par Israël pour toucher le moins de civils possibles ont quelque chose de fascinant quand on les compare avec la brutalité du Hamas. C’est tout à son honneur quoique cela n’influe aucunement sur une quelconque « reconnaissance » d’Israël par les grands moralistes d’Occident qui exaltent toujours l’humanité souffrante d’organisations terroristes et réduisent Israël à une soldatesque anonyme. La « guerre chirurgicale », technocratique, technique, à distance ne réussira jamais à obtenir une victoire. « Messieurs les Anglais, tirez les premiers » ? Bien au contraire, c’est sa cruauté qui est fustigée, renforcée par la disparité des moyens.

La débilitation morale induite par ce scénario est immense et il envoie un signe mortifère à la nation israélienne et plus largement à l’esprit du peuple juif. Il y a quelque chose que les Juifs n’ont pas compris en politique : la légitimité d’un sujet ne vient pas de la reconnaissance des autres mais de l’affirmation de sa propre souveraineté. C’est ce qui a donné naissance à un Etat d’Israël !

A partir d’une chronique sur Radio J le vendredi 23 novembre 2012


vient de publier, en rapport avec cette analyse, La Nouvelle Idéologie Dominante, le Post-modernisme (Ed. Hermann) et annonce, pour janvier, Politique du Peuple Juif, les Juifs, lePeuple d’Israël et le Monde (ed. François Bourin).



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