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Etait-ce bien utile ?

Par David Ruzié, professeur émérite des universités

lundi 14 mai 2012
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Un ouvrage publié récemment par Alain Michel (auquel on doit, notamment, précédemment, une histoire des Eclaireurs israélites de France pendant la seconde guerre mondiale (1984) et une étude sur « Les racines d’Israël » (éd. Autrement, 1998- réédition 2003) risque de faire quelque bruit, malgré la préface de Richard Prasquier, président du CRIF.
Nous voulons parler de « Vichy et la Shoah – Enquête sur le paradoxe français », CLD éditions, 2012, 407 p.

  • Voir la réponse d’Alain Michel [1]

En effet, on est en droit de se demander si l’auteur a eu raison de consacrer autant de temps et d’efforts à dépouiller des masses de documents et d’ouvrages pour dédouaner en quelque sorte, au moins partiellement, le régime de Vichy.

Certes, Alain Michel a le courage d’assumer le but qu’il a poursuivi, à savoir « abandonner une vision officielle et…se confronter aux faits et aux questions réelles » (p.375).

N’étant pas historien, nous n’avons, sans doute, aucune compétence pour mettre en doute l’analyse de ces faits, mais nous pensons pouvoir, modestement, mettre en doute sinon la conclusion de l’étude, à savoir que Vichy aurait bien tenté de sauver les Juifs de France, quitte à devoir sacrifier les Juifs étrangers, mais l’utilité de cette réhabilitation même partielle de la clique, qui gouverna la France pendant quatre ans.

Effectivement, comme l’auteur, le prévoit, d’ailleurs, nous faisons partie de ceux qui « reste(nt) choqué(s) par les faits et les conclusions apportés par ce livre (p. 382).

Nous tenons, dès l’abord, à préciser que nous ne mettons nullement en doute l’honnêteté de la pensée d’Alain Michel, qui nous semble avoir été aveuglé par son souci de vouloir, avant tout, démystifier ce qu’il appelle la « doxa » (ensemble de préjugés et de présuppositions) d’historiens bien connus (Paxton, Marrus, Klarsfeld, voire Kaspi) de cette tragique période, auxquels il reproche d’avoir fondé leurs analyses, au risque de commettre des erreurs d’interprétation, sur la responsabilité de Vichy dans la Solution finale.

En partant d’une analyse des chiffres, qui font apparaître que les pertes en vies humaines des Juifs français ont été, en gros, trois fois moins importantes en pourcentage (13% contre 37%) que les pertes en vies humaines des Juifs étrangers, Alain Michel, minimisant – sans pour autant l’ignorer – l’action des « Justes », explique cet écart par l’action des autorités de Vichy, soucieuses de vouloir, avant tout, sauver les Juifs de France.

Il faut dire que pour Alain Michel, qui reconnaît être issu d’une famille juive lorraine et alsacienne, dont les traces remontent au XVIIIème siècle (p.17), il exclut de la catégorie des Juifs français, comme tendait à le faire, dailleurs, Vichy, les enfants français de parents étrangers et les étrangers naturalisés français depuis 1927.

Ainsi sur environ 76 000 Juifs assassinés ou déportés, seuls 8 000 pouvaient être considérés, aux yeux de Vichy, comme Français, ce qu’admet Alain Michel.

Ainsi, si nous pouvons nous exprimer ainsi – bien que nous avons pu échapper aux rafles - nous n’avons pas eu de chance, car, Français de père apatride immigré et de mère naturalisée en 1929, nous avons perdu, en France, notre grand-mère, elle-même naturalisée la même année et déportée à 58 ans, en avril 1944.

Et contrairement à ce qu’écrit l’auteur qui, à l’appui des dates de certains convois de déportés (p. 51-52), soutient que les Juifs français arrêtés et déportés l’auraient été en liaison avec la politique d’otages pratiquée par l’occupant (avec toutefois le cas particulier des Juifs raflés à Marseille lors de la destruction du Vieux-Port), nous estimons qu’il y a eu, quand même, un certain nombre d’exceptions.

Alain Michel ne peut évidemment pas citer le cas de notre grand-mère, qui était propriétaire de la boucherie cachère de Périgueux, mais qui avait été naturalisée en 1929. Mais, il aurait dû citer, notamment, la déportation du président du Consistoire central Jacques Heilbronner en juillet 1943, alors qu’il avait rencontré à de nombreuses reprises Pétain, et celles de responsables de l’Union générale des Israélites de France (UGIF), créée par Vichy, tels André Baur (déporté avec femme et enfants…..) et Marcel Stora, la même année.

De fait il est incontestable que les trois quarts de la population juive a, heureusement, pu échapper à la mort, mais nous ne pensons pas que cela soit à mettre au crédit des autorités gouvernementales de l’époque.

A eux seuls les « Justes » n’ont, certes, pas pu sauver des dizaines de milliers de personnes, mais, par rapport à la Belgique (où 40% des Juifs ont été déportés) ou aux Pays-Bas (où la proportion a atteint 75%), la superficie et la topographie de la France ont permis à un grand nombre de Juifs d’échapper aux rafles, avec l’aide d’un certain nombre de Français, fonctionnaires subalternes ou simples citoyens, qui n’ont pas suivi les ordres de l’Administration, surtout après la « révolte » des autorités religieuses, après les rafles de l’été 1942.

Alain Michel, dont on ne peut mettre en doute les sentiments de révolte contre les persécutions dont furent victimes les Juifs en France en vient, cependant, à écrire que « si Vichy avait seulement été complice des nazis, beaucoup d’entre eux (les Juifs français et étrangers) n’auraient plus été là à une date aussi tardive » (au printemps 1943) (p.337). Il n’hésite pas à considérer que la Milice n’a pas été très active dans l’application de la Solution finale (p. 299), ce qui risque de faire oublier les atrocités auxquelles cette bande de nervis aux ordres de Vichy s’est livrée dans un certain nombre de cas.

De même, s’il peut s’appuyer sur des écrits d’hommes que l’on ne peut pas davantage suspecter de sympathies pour Vichy (tels Léon Poliakov, p. 205), on se permettra de douter qu’un homme qui souhaitait la victoire de l’Allemagne ait pu avoir quelque sympathie pour les Juifs….et pourtant Alain Michel « ne doute pas de…..l’absence d’antisémitisme chez Pierre Laval » (p. 357). Il doute même de sa collaboration (et de celle de Bousquet) dans les arrestations de Juifs (p. 251). Quant à Pétain, s’il reconnaît son « réel antisémitisme », il n’est pas sûr qu’il ait joué « un rôle plus actif » dans la politique d’abandon des Juifs apatrides pour protéger les Juifs français (p . 357).

On se demande vraiment alors pourquoi a-t-il signé – voire annoté – le statut des Juifs, dès octobre 1940.

Car il faut souligner le fait que l’exclusion des Juifs (même français) de la communauté nationale et, par la suite, les mesures d’aryanisation les privant très souvent de moyens d’existence rendirent leurs conditions de survie très difficiles.

Le refus de Vichy d’accepter l’extension à la zone sud du port de l’étoile jaune nous paraît relever davantage de la volonté d’affirmer la souveraineté des autorités françaises sur cette partie du territoire que du souci de ne pas pénaliser, également les Juifs français au même titre que la loi sur les dénaturalisations ne fut pas mise en œuvre complètement, du fait de certaines difficultés administratives et au refus de Vichy de se laisser imposer des conditions par l’Occupant, ce qui bénéficia à bon nombre de Juifs.

Ces quelques remarques faisant apparaître que tout n’était peut-être pas « noir et blanc » ne devraient pas chagriner Alain Michel, car dès son introduction il précise bien que son « livre est d’abord et avant tout une recherche » sur « le plus grand nombre » (p. 31).

Pour terminer, nous nous permettrons de ne pas partager ce que nous appellerons le « désintérêt » qu’Alain Michel porte à la question de savoir si « tel ou tel milieu va récupérer (ses) affirmations pour servir ses propres objectifs » (p.375).

Faut-il rappeler qu’en janvier 2005, Jean-Marie Le Pen avait déclaré que l’Occupation allemande n’avait pas été « particulièrement inhumaine ». Poursuivi pour contestation de crime contre l’humanité, l’ancien président du Front national avait été condamné par le tribunal correctionnel de Paris en 2008. Rejugé après un pourvoi en cassation, la Cour d’appel de Paris vient, seulement, il y a quelques semaines, de confirmer la peine de trois mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende qui lui avait été infligée. Il n’est pas sûr que l’affaire soit terminée pour autant.

Car, malheureusement, au nom de la liberté d’expression, la France a été sanctionnée, en 1998, par la Cour européenne des droits de l’homme, pour avoir poursuivi et fait condamner les responsables de l’ « Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain » (qui milite, d’ailleurs, pour la révision de son procès), qui avaient fait paraître, en 1984, sur une pleine page du quotidien Le Monde, une publicité constituée d’un long texte vantant les mérites de Philippe Pétain.

Après tout si cet homme a sauvé des Juifs français était-il condamnable ?

Tout cela pour dire – au risque de choquer certains collègues - que contrairement à Alain Michel (p. 373), nous ne pensons pas que l’historien peut et doit tout dire. sur cette période aussi cruelle que fut la Shoah.

Notes

[1reaction desinfos.com

le 16 mai 2012

Messieurs les censeurs, bonsoir – réponse à David Ruzié.

Le professeur Ruzié vient de publier sur le site Desinfos.com une réaction à la publication de mon livre « Vichy et la Shoa », réaction qui me paraît extrêmement problématique.

Je commencerai par quelques erreurs de faits qui déforment le contenu du livre et ne pouvant toutes les aborder, je ne m’attacherai qu’à un seul genre, celles qui concerne la chronologie. Tout d’abord, l’une des bases de mon ouvrage est de poser des différences sans lesquelles toute analyse de la Shoah en France est vouée, sur le plan historique, à l’échec. L’une des plus importantes consiste à différencier entre les périodes chronologiques (avant le printemps 42, date du début de la solution finale en France – et après septembre 1943, date à laquelle la Gestapo rompt l’accord passé avec Vichy début juillet 1942, et ne fait plus de distinction entre Juifs étrangers et Juifs français). Ce manque de discernement chronologique amène David Ruzié à télescoper deux questions qui n’ont rien à voir entre elles : l’interrogation que je pose sur l’implication de Pétain dans les décisions concernant la Solution finale (à partir du printemps 42) et le Statut des Juifs d’octobre 1940 qui, s’il est bien en rapport avec la politique antisémite de Vichy, n’est par contre pas du tout lié avec l’application de la Solution finale, presque deux ans plus tard. Autre déformation de la part de David Ruzié, je ne prétends nullement que tous les Juifs français déportés l’ont été en liaison avec la politique d’otage, mais que ceux déportés avant septembre 1943 l’ont été en général dans le cadre de la politique d’otage. Enfin, troisième exemple d’erreur chronologique, Jacques Helbronner n’a pas été arrêté et déporté en juillet 1943, mais en octobre, soit après la rupture de l’accord par la Gestapo. Il n’a pas été arrêté par la police de Vichy mais directement par la Gestapo et, semble-t-il, sur un ordre direct de Berlin, d’après le témoignage de son successeur Léon Meiss (voir mon livre « L’étoile et la francisque », p. 195). Il en est de même de toutes les personnalités que cite David Ruzié, toutes arrêtées par la Gestapo et déportées sans aucune implication de Vichy.

Ces erreurs de David Ruzié (et il y en a bien d’autres dans ce court article) ne proviennent pas du fait qu’il n’est pas historien, comme il l’affirme, mais bien de la manière dont il aborde cette question, et j’en viens ici à l’essentiel de l’article, fort bien résumé par le titre « Etait-ce bien utile ? ». Pour David Ruzié, on ne doit pas aborder la Shoah en France comme un événement historique, mais comme un événement hors de l’histoire, quasiment sacré et relevant de l’ordre du religieux, dont le récit a été fixé une fois pour toute et qu’on ne peut remettre en cause. Nous quittons le domaine de la recherche et de la connaissance, pour entrer dans celui de la croyance et des idées reçues. De même que dans les années 1950, pour ne pas désespérer Billancourt, il fallait mentir sur l’existence des camps en Union Soviétique, en 2012, pour ne pas favoriser Le Pen, il faut s’abstenir de dire toute la vérité sur le gouvernement de Vichy. C’est pourquoi d’ailleurs David Ruzié ne remet pas en cause mon sérieux d’historien et mes compétences professionnelles. Il me déni le droit d’appliquer ces compétences à un domaine qui est pour lui sacré, et qu’il ne faut surtout pas toucher. C’est une censure intolérable de la part d’un universitaire et d’un intellectuel, et elle montre aussi l’aveuglement de tous ceux qui pensent que l’on peut combattre l’extrême droite en évitant de se confronter aux questions qui gênent. Comme l’avait dit Maurice Clavel, intellectuel non-conformiste et esprit libre, il y a bien longtemps : Messieurs les censeurs, bonsoir !


Alain Michel
Rabbin et Docteur en histoire, directeur des éditions Elkana
Guide en Pologne et conférencier.
Derniers ouvrages publiés comme auteur :
Vichy et la Shoah, enquête sur le paradoxe français. Editions CLD, diffusion Sodis.
Bobrek, un sous-camp d’Auschwitz. Editions Yad Vashem


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