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La SNCF sous Pétain
Par Guy Millière © Metula News Agency
Article mis en ligne le 12 février 2005

« L’antisémitisme est inadmissible ; la France, sous Pétain, a commis des crimes dont elle doit se souvenir » : c’est ce qu’a annoncé récemment Jacques Chirac, Président de la République française.

Je ne veux pas douter de sa sincérité, bien que je ne puisse m’empêcher de m’étonner de sa faculté à déconnecter l’antisémitisme dont il parle de l’antisémitisme qui se répand aujourd’hui en France et en Europe, et à dissocier son philosémitisme affiché, de son hostilité résolue vis-à-vis de l’Etat d’Israël et de son amitié pour des dirigeants arabes, qui, eux, ne cachent guère leur antisémitisme. Sans doute cela vient-il de ce que je ne connais pas l’art subtil de la politique et que mes capacités intellectuelles ne me permettent pas de saisir toute la finesse des raisonnements à géométrie variable. On ne se refait pas, je continue donc à creuser les sillons que je creuse depuis quelques années déjà.

Je fais partie de ceux qui ne s’accommodent d’aucune forme d’antisémitisme. Je fais partie de ceux qui pensent que la France se porterait mieux si, au-delà des incantations et des discours, elle regardait plus souvent et de plus près les taches indélébiles qui maculent son passé. La Révolution Française, il faut le souligner, a été une révolution ratée, si on la compare aux révolutions anglaise ou américaine. Elle a vu se mettre en place un système de délation et de terreur qui a laissé des traces : la délation sous Pétain m’apparaît, quand j’y pense, comme la répétition d’un passé mal digéré. Les massacres de Vendée et l’utilisation frénétique de la guillotine sous Robespierre correspondent à des temps où tout un peuple s’est montré indifférent au malheur des autres. Ainsi, l’indifférence de tant de gens sous Pétain a, derrière elle, une longue généalogie, qui reste à analyser.

La collaboration, le gouvernement du maréchal Pétain, la milice, la police allemande, portant carte d’identité française, tout cela aussi attend d’être analysé. En son temps, le procès Papon m’a fait l’effet de l’arbre qui cache la forêt, le procès d’un collaborateur survenu alors que la plupart des collaborateurs, et nombre d’entre eux à un niveau plus élevé que Papon, étaient morts. Mais, le procès d’ensemble de la collaboration reste à faire.

Lorsque ce procès s’ouvrira, s’il s’ouvre un jour - ce dont il m’arrive de douter -, le dernier livre de Raphaël Delpard devra figurer dans le dossier d’accusation, comme pièce à conviction. Tout est dit dans le titre : Les convois de la honte : enquête sur la SNCF et la Déportation (1941-1945).

Delpard démontre qu’il y a eu, partant de nombreux points de France, des convois de déportation, bien organisés et effroyablement efficaces. Ces convois de la honte ont été un élément significatif dans le dispositif concentrationnaire et exterminationniste nazi. Or, cette honte, indélébilement attachée à la SNCF, à l’Etat et à la bureaucratie française de l’époque, reste occultée, non assumée et fait partie des ignominies que les Français refusent de voir.

Certes, des cheminots français furent résistants ; mais cela ne doit pas nous faire oublier que d’autres ont conduit des trains qui menaient aux camps de la mort, ont organisé la circulation de ces trains et les ont maintenu en bon état de marche. Les cheminots « collabos » semblent même avoir été plus nombreux que les cheminots résistants.

Bien sûr, selon Delpard, il est plus facile de consentir lâchement au pire que de faire preuve de courage et de risquer sa propre vie. Il est aussi plus facile de consentir au pire lorsqu’on peut se dire qu’on n’est qu’un rouage d’une grande machine et qu’on se contente de faire son travail (combien de nazis ont adopté cette ligne de défense !). Il est également plus facile de se dire qu’on est un rouage d’une grande machine lorsqu’on appartient à une grande machine : et justement, les cheminots « collabos » appartenaient à une grande machine. La SNCF, sous Pétain, était toute entière sous contrôle allemand et avait participé à l’effort de guerre nazi sans se poser de questions éthiques.

D’autres entreprises françaises de l’époque, et non des moindres, avaient fait de même, me direz-vous, mais les autres entreprises n’envoyaient pas directement des dizaines de milliers de gens vers les chambres à gaz… la nuance est de taille.

Il est plus facile, ajouterais-je, de se dire qu’on n’est qu’un rouage lorsqu’on vit dans une société qui consent au pire et avec zèle : les lois, promulguées le 3 juin 1940 sur le statut des juifs, ont immédiatement été mises en œuvre « sans aucune pression venue de Berlin ». La police française a exécuté, sans jamais rechigner, « les basses besognes de l’occupant ». Lors de la grande rafle de juin 1942, « pas un seul policier n’a été autorisé à prendre un congé. Les cours de l’école de police sont suspendus et les élèves participent à l’opération au titre de travaux pratiques ». L’opération s’est déroulée « dans une totale indifférence des Parisiens ». Et c’est, bien sûr, la « participation concrète de la compagnie ferroviaire » française et de ses employés, qui permettra l’envoi des juifs vers les camps d’extermination. Comble de l’abjection, au nom de « la continuité de l’Etat », « les factures présentées après la Libération ont été payées » par le gouvernement instauré sous l’égide du Général De Gaulle. Celui-ci, indéniablement, se faisait une « certaine idée de la France » !

Précisons encore que la SNCF fait l’objet d’une plainte aux Etats-Unis pour sa participation à l’entreprise génocidaire nazie, et l’instruction est en cours. En Allemagne, les dirigeants de la Reichsbahn ont été jugés et condamnés. La justice française, quant à elle, a renoncé à instruire, comme de bien entendu.

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Raphaël Delpard. - Les convois de la honte : enquête sur la SNCF et la déportation, Michel Lafont, 2005, 301 pages, 20€



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