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Responsabilité de protéger : une nouvelle application en Syrie ?
Par David Ruzié, professeur des universités, spécialiste de droit international
Article mis en ligne le 8 mars 2012

Depuis plusieurs mois la situation dramatique d’une partie de la population syrienne émeut, à juste titre, l’opinion publique internationale. En plus des quelques milliers de morts civils et davantage de blessés, ce sont également 25.000 réfugiés, qui sont actuellement recensés par l’ONU dans les pays voisins de la Syrie et les violences ont déplacé entre 100.000 et 200.000 personnes à l’intérieur même du pays.

Chiffres quand même importants même s’ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population, estimée aux alentours de 20 millions de personnes, d’autant plus que les violences tendent à se multiplier dans diverses parties du pays.

De telle sorte que la situation résultant de ce qu’il faut bien considérer comme une guerre civile, qui se déroule dans le pays depuis un an, n’est plus cantonnée au plan purement politique, mais se déplace sur le plan humanitaire.

C’est ce qui explique l’arrivée, mercredi, à Damas – arrivée finalement autorisée par les autorités syriennes – de la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies, responsable des opérations humanitaires de l’ONU et coordonnatrice des secours d’urgence, Valérie Amos (de fait la baronne Amos, ressortissante du Royaume Uni, originaire de la Guyana et qui fut la première femme noire à siéger dans un gouvernement britannique à l’époque de Tony Blair).

Sa mission consistera à obtenir un accès humanitaire « sans entrave » aux populations touchées par les violences, notamment à Homs, où les autorités syriennes bloquent un convoi d‘aide d’urgence depuis six jours aux portes du quartier de Baba Amr, évacué par les « rebelles ».

Ainsi l’ONU reprend l’initiative, après l’échec, dû aux vetos russe et chinois, de l’adoption de résolutions du Conseil de sécurité condamnant le régime syrien et le menaçant de sanctions (une première fois en octobre 2011 et plus récemment début février). Un nouveau projet de résolution est actuellement à l’étude, avec le parrainage des Etats-Unis, mais, pour l’instant il n’a pas davantage de chance d’être adopté, même si aux yeux de plusieurs pays occidentaux on trouve ce texte très – voire trop – édulcoré.

Certes, par ailleurs, la mission de médiation, c’est à dire d’intermédiaire entre les parties (le pouvoir syrien et l’opposition) confiée, conjointement par l’ONU et l’Union africaine, à l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a fort peu de chance d’aboutir, non seulement à cause de l’entêtement de Bachar Al Assad, mais aussi, et surtout, à notre avis, en raison de la division de ses opposants.

Reste donc cette mission humanitaire, dont la réussite permettrait, au moins, d’atténuer, pour une population en grande partie démunie, les conséquences des troubles, qui secouent le pays depuis un an.

Mais, ce n’est pas encore partie gagnée, car on rencontre, à nouveau, le problème quasi-insoluble de la conciliation nécessaire entre la souveraineté de l’Etat syrien et ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « responsabilité de protéger ».

Un peu d’histoire s’impose.

L’idée d’ingérence humanitaire, apparue durant la « guerre » du Biafra (1967-1970), opposant la minorité chrétienne ibo à la majorité musulmane du Nigeria, donna naissance à l’émergence de ce que l’écrivain-philosophe français Jean-François Revel appela en 1979, le « droit d’ingérence », formule tout à fait excessive, même lorsqu’elle fut reprise par Bernard Kouchner, à la fin des années 80, sous l’influence de notre collègue Mario Bettati.

En effet, la notion de « droit » implique celle de règle ayant force contraignante, ce qui n’était pas le cas, à l’époque, et ne l’est pas davantage aujourd’hui.

La difficulté de concilier une notion morale (devoir d’ingérence) avec une notion juridique (droit d’intervenir) subsiste.

La résolution 43/131 du 8 décembre 1988 de l’Assemblée générale des Nations Unies a, dès cette époque, mis l’accent sur « l’importance de l’assistance humanitaire pour les victimes e catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre » (souligné par nous).

Mais cette même résolution, tout en soulignant « l’importante contribution à l’assistance humanitaire qu’apportent les organisations intergouvernementales et non gouvernementales agissant dans un but strictement humanitaire », n’oubliait pas l’impact de la souveraineté territoriale (pouvoir suprême et inconditionnée de la puissance étatique sur son territoire).

De telle sorte qu’elle invitait les Etats, qui ont besoin d’une telle assistance « Ã  faciliter la mise en oeuvre par ces organisations de l’assistance humanitaire » (souligné par nous).

Autrement dit, tout en lançant un appel « Ã  tous les Etats » pour qu’ils apportent leur appui à ces organisations dans leur action d’assistance humanitaire, l’ONU ménageait le respect de la souveraineté des Etats concernés.

Ce même souci de ménager la susceptibilité des Etats quant à l’étendue de leur souveraineté territoriale se retrouva dans la résolution 45/100 du 14 décembre 1990 de ce même organisme qui, insistant sur les moyens de faciliter les opérations d’assistance humanitaire, en particulier « sur la possibilité de créer, à titre temporaire, là où il est nécessaire et de manière concertée entre les gouvernements touchés et les gouvernements….intéressés des couloirs d’urgence » insistait bien, à nouveau, sur la nécessité de solliciter l’accord des gouvernements concernés (souligné par nous)

De telle sorte que, concrètement, dans les années 90, lorsque le Conseil de sécurité autorisa, à diverses reprises (en Irak, dans l’ex-Yougoslavie, en Somalie ou au Libéria) l’acheminement sur le territoire de ces Etats, grâce, notamment, à ces « couloirs humanitaires » une assistance humanitaire en provenance de l’étranger, il s’est avéré que les Etats en cause ont généralement accepté, sinon expressément, du moins tacitement, ces interventions.

La seule exception notable à ce consentement – exprès ou tacite – est constituée par la résolution 1973 (2011) du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité des Nations U nies, concernant la Libye, par laquelle cet organisme, après avoir rappelé « qu’il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé » - donc y compris au gouvernement libyen – « de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des civils », se déclare résolu « Ã  assurer l’acheminement sans obstacle ni contretemps de l’aide humanitaire » et prend une « décision », qui constitue un précédent dans l’histoire de l’Organisation mondiale.

En effet, le Conseil de sécurité autorise, notamment, les Etats membres de l’ONU à prendre toutes mesures nécessaires, y compris les livraisons d’armes, « pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque, » sauf le déploiement d’une force terrestre.

Ce qui a permis, non seulement de faire tomber le régime de Khadafi, mais, également, pour ce qui nous concerne, aujourd’hui à venir en aide, implicitement, aux populations civiles sur le plan humanitaire (seuls des vols humanitaires sont expressément mentionnés afin de les faire échapper à la zone d’exclusion aérienne mise en place par ailleurs).

C’est ce texte que la Russie et la Chine ont « laissé passer », ce qu’ils regrettent – hélas – aujourd’hui : les Libyens auront eu – pour l’instant – plus de chance que les Syriens.

Il faut en effet se rappeler que ces deux pays craignent, depuis longtemps, déjà qu’au travers des pouvoirs de décision, dont dispose le Conseil de sécurité, lorsque la paix et la sécurité internationales sont menacées, l’ONU autorise, éventuellement, des actions sur leur territoire.

Car, il faut bien admettre - qu’il s’agisse de la situation au Tibet ou dans certaines parties de la Fédération de Russie (Tchétchénie, Ossétie) - il y aurait beaucoup à dire et à faire au regard des objectifs des Nations Unies.

On peut, au moins espérer que sur le plan strictement humanitaire Bachar Al Assad finira par accepter une assistance internationale.

La mission de Valérie Amos servira de test à cet égard.



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