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Pas de répit dans la lutte contre le négationnisme
Par David Ruzié, professeur émérite des universités, spécialiste de droit international
Article mis en ligne le 1er mars 2012

Le Conseil constitutionnel français a, le 28 février dernier, à la demande d’une centaine de députés et sénateurs, issus tant de la majorité que de l’opposition (alors que la saisine d’une soixantaine de parlementaires aurait suffit), incontestablement, donné un coup d’arrêt aux lois dites mémorielles.

On sait que depuis quelques années, le Parlement français a été tenté d’adopter, sous forme de lois, des textes imposant, en quelque sorte, un point de vue officiel sur des événements historiques.

Pratiquement, le Parlement s’est arrogé le droit d’écrire l’histoire et même d’en sanctionner le non-respect.

Ainsi, en dernier lieu, le Parlement français avait adopté, fin janvier, une proposition de loi qui, modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, punissait d’une peine d’un an de prison et de 45 000 euros d‘amende ceux qui « ont contesté ou minimisé de façon outrancière….l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide…..reconnus comme tels par la loi française »..

Ce texte visait, pratiquement, la loi du 29 janvier 2001, par laquelle « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».

Et le texte adopté en janvier 2012 avait, donc, pour but de permettre de condamner pénalement le « négationnisme » du « génocide arménien », reconnu par la loi il y a 11 ans.

Le Conseil constitutionnel a considéré que le rôle de la loi étant d’avoir une « portée normative », c’est à dire de poser une règle de droit, il n’appartenait pas au Parlement de « reconnaître » par une loi un crime de génocide et par voie de conséquence de sanctionner pénalement le non-respect de cette loi.

Il a estimé qu’en agissant ainsi le Parlement avait porté une « atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté de communication et d’expression », proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Bien que le communiqué officiel diffusé par le secrétariat du Conseil constitutionnel ait pris soin de préciser que « le Conseil constitutionnel ne s’est….pas prononcé dans cette décision sur la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien », car cette loi ne lui était pas soumise et « a fortiori, (qu’)il n’a formulé aucune appréciation sur les faits en cause », il est évident qu’implicitement la reconnaissance législative du génocide arménien est mise en cause.

Mais, en revanche, il est vrai, aussi, que selon ce communiqué « le Conseil n’avait pas à connaître de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, qui ne réprime pas la contestation de crimes .

En effet, cette loi, couramment appelée loi Gayssot, du nom du député (communiste »), qui en prit l’initiative, permet de poursuivre pénalement « ceux qui auront contesté…..l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité », tels qu’ils sont définis par le statut du tribunal militaire international de Nuremberg (art. 24bis de la loi du 18 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Concrètement, c’est le statut de cette juridiction, qui a introduit, dans le droit international, la notion de « crime contre l’humanité », qui, à l’époque englobait ; également celle de « génocide », qui n’était pas encore officiellement consacrée (et qui ne le sera que par une convention internationale du 9 décembre 1948).

A l’heure actuelle, aussi, bien en droit interne (art. 211 et 212 du Code pénal français) qu’en droit international (art. 6 et 7 du statut de la Cour pénale internationale de 1998) ces deux crimes ont une existence autonome.

Ce qui fait qu’effectivement, on peut dire que la loi Gayssot réprime le délit de négationnisme du génocide des Juifs.

Mais ce génocide n’a pas été reconnu par la loi et, par conséquent, malgré les critiques, qui ont été adressées à ce texte, dans divers milieux, également, au nom de la liberté d’expression, à l’époque de son adoption, et encore périodiquement depuis, il n’y a aucune raison d’extrapoler à la loi Gayssot la condamnation récente du Conseil constitutionnel.

Celui-ci a condamné, avant sa promulgation, le texte adopté en janvier dernier, en considérant, implicitement, qu’il n’appartenait pas à la loi de « reconnaître », en 2001, le génocide arménien.

On peut, sans doute, penser que par l’examen d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité, introduite dans la Constitution française en 2008), le Conseil constitutionnel pourrait, également, à l’avenir déclarer inconstitutionnelle, non seulement, expressément, cette fois, la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, mais également la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité (dite loi Taubira ) ou encore la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, dans la mesure où son article 4 dispose que les programmes de recherche devaient accorder la place qu’elle mérite à l’histoire de la présence française outre-mer et que les programmes scolaires devaient en reconnaître le rôle positif.

Rien de tel s’agissant du génocide juif, dont la réalité a été constatée et sanctionnée, en 1946, par le Tribunal militaire international de Nuremberg, qui a condamné, pour ce crime plusieurs dirigeants nazis.

D’ailleurs, même si la décision du Conseil constitutionnel du 28 février ne se prononce pas sur ce point, il faut relever que tout en prônant la liberté d’expression, le Conseil a tenu à dire qu’il était loisible au législateur « d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers  » (souligné par nous).

Or, il ne faut pas perdre de vue que la loi Gayssot qui constitue, en quelque sorte, la première loi mémorielle a été adoptée dans un contexte de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson, qui remettait en cause le génocide des Juifs et de leur exploitation par l’extrême-droite. Son but était de lutter contre ce négationnisme et de reconnaître la douleur des survivants et des descendants des victimes face à ces remises en cause.

Or, précisément, le Conseil constitutionnel a reconnu le droit pour le législateur d’empêcher toute atteinte à l’ordre public et de veiller au respect des droits des tiers.

N’oublions pas qu’il y a encore des témoins, voire des victimes directes des crimes contre l’humanité commises par les nazis durant la seconde guerre mondiale.

Et, même à l’avenir, les ayants droits de ces victimes pourront prétendre au respect de la mémoire des disparus.



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