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Les coupables, ces victimes…
Par Guy Millière © Metula News Agency
Article mis en ligne le 12 janvier 2005

L’Allemagne m’inquiète. Parce qu’elle est aujourd’hui le pays le plus peuplé de l’Union Européenne et que le couple franco-allemand tente de devenir le moteur de l’Europe ; parce que l’évolution des mentalités allemandes semble se faire de façon douteuse.

Au cours des deux années passées, l’Allemagne a vu le succès de plusieurs livres, reprenant, à quelques variantes près, les élucubrations négationnistes du pitre français Thierry Meyssan : aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone à Washington, les attentats du onze septembre sont un élément du complot sioniste contre le monde musulman et autres stupidités glauques du même acabit.

En juin 2004, Schröder, lors des cérémonies de commémoration du débarquement, a commencé à tenir un nouveau discours concernant l’implication de l’Allemagne dans le second conflit mondial. Un discours qui a des allures de révision de l’histoire : « le 6 juin », a-t-il dit, « c’est aussi la libération du peuple allemand qui a commencé ». Pourquoi ? Parce que le peuple allemand était victime du nazisme, si l’on écoute Schröder ! La prochaine étape consistera à nous dire que le nazisme n’était pas une idéologie monstrueuse, implantée au cœur de l’Allemagne, mais le discours de quelques exaltés qui ont trompé les Allemands. On nous dira, vraisemblablement et dans la foulée, qu’il n’y avait pas un antisémitisme très répandu en Allemagne et en Europe à l’époque, et que personne, sinon les gardiens des camps, quelques soldats et les autorités supérieures du Troisième Reich, n’était au courant des camps de concentration ni de la mise en œuvre du programme d’extermination des juifs d’Europe.

Si vous pensez que j’exagère, c’est que vous n’avez pas vu le film allemand qui a été le succès de l’année 2004 outre Rhin : La chute.

Lors de sa sortie en salle, en France, voici quelques jours, les débats concernant le film ont tourné autour du fait de savoir s’il était légitime ou non de se concentrer sur les derniers jours d’Hitler et de son entourage dans leur bunker de Berlin. Mais ce qui est choquant, ce qui m’a révolté, ce qui inscrit ce film dans la grande réécriture de l’histoire à laquelle on participe en Allemagne, c’est qu’on y voit Hitler vociférer contre le peuple allemand, se déclarer prêt à voir disparaître tous les Allemands jusqu’au dernier, insulter les officiers supérieurs de son armée, mais ne proférer des paroles antisémites que deux reprises, et très brièvement. Ce qui est inadmissible, c’est que les seules victimes visibles dans le film, ce sont des Allemands, victimes des bombes alliées, tués sommairement par des SS, condamnés à fuir furtivement une valise à la main : comme si c’étaient les victimes essentielles du Troisième Reich !

Ce qui est absolument scandaleux, encore, c’ est que la « solution finale » n’est jamais évoquée, qu’on voit des fanatiques emportés au bout de leur mégalomanie, sans que soit soulignée la dimension génocidaire qui était au cœur de leurs monstrueux projets. Des dignitaires nazis y disent même que des émissaires américains leur ont laissé entrevoir la possibilité d’un armistice avec Eisenhower : en somme, sans la folie d’Hitler et de Goebbels, des « modérés » façon Himmler (?!) auraient pu limiter les dégâts. On nous montre une secrétaire particulière d’Hitler, toute heureuse d’être recrutée par le Führer, son idole, en 1942, fidèle jusqu’au bout, émue par le drame du suicide d’Adolf et d’Eva. La secrétaire personnelle de Hitler, qui n’a jamais vraiment su le sort que le régime qu’elle servait réservait aux juifs ou, comme elle le dit à la fin de la projection, « pas dans ces proportions tout de même ».

Le film se termine par des images indiquant au spectateur le nombre des victimes de la guerre : 50 millions de morts, dont, dit le panneau suivant, 6 millions de juifs. Juste un peu plus de 10% du total des morts. Absolument rien n’est dit sur la différence entre des soldats, morts au combat et des gens envoyés à la chambre à gaz à des fins de destruction systématique, hommes, femmes, enfants et vieillards. Trois secondes avant que les chiffres n’apparaissent sur l’écran, on voit la secrétaire partir à bicyclette en souriant : il fait beau, la page se tourne déjà. En mai 1945 !

Des nostalgiques du Reich, qui verront ce film, pourront se dire qu’Adolf était un visionnaire, que le monde s’est coalisé contre lui mais que la vision avait sa grandeur. Des Allemands, qui voudront se laver le cerveau et se refaire une mémoire vierge, pourront se dire que tout cela aurait pu mieux finir et que l’entêtement final d’Hitler a été une tragédie pour le peuple allemand. Dans la foulée, ils pourront dire que la Shoah, après tout, n’est qu’un « détail » dans l’histoire de la guerre, que, de toutes façons, personne ne détestait les juifs, en dehors peut-être de quelques monstres, et que personne ne pouvait rien faire parce que personne ne savait rien.

Avec ce cerveau lavé et cette mémoire vierge, les Allemands concernés pourront dire que tout cela c’est du passé, qu’il faut penser à l’avenir et éviter d’autres tragédies du même genre. Puisque la Shoah, ce n’était que cela et que ça avait pu se mettre en place dans l’ignorance, il faut être vigilant, sinon d’autres Shoah se mettront en place ailleurs : les Allemands, victimes du nazisme, pourront veiller à ce que d’autres peuples ne soient pas les proies d’un nouveau nazisme. Les Allemands auront ainsi le loisir de voir en Sharon une sorte d’Hitler juif et dans les Palestiniens, les victimes d’une nouvelle Shoah.

Jean-Claude Milner, dans un livre remarquable, avait souligné les tentations sordides de l’Europe qui se construit. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que les Allemands repeignent à neuf leur passé, s’exonèrent peu à peu d’un immense crime commis en commun, le relativisent, prétendant - dès lors qu’ils acquièrent le statut de « victimes » - donner aux autres des leçons de paix.

Il est clair que les jeunes générations allemandes ne sont pas coupables de la Shoah, mais il devrait être clair aussi que la Shoah a constitué un crime absolu, abominable et singulier, que nul ne peut banaliser et encore moins que d’autres, les Allemands. Il est clair qu’il y a eu adhésion de l’écrasante majorité du peuple allemand au nazisme et à l’antisémitisme qui en était partie intégrante. L’Allemagne ne pourra avancer vers le futur les yeux ouverts que si elle regarde son passé et si toute l’Europe contribue à l’y aider et à se demander : comment avons-nous pu commettre et laisser commettre l’immonde et l’innommable.

Pour le moment, l’Allemagne semble plutôt désireuse de fermer les yeux. Comme la France, à côté d’elle, ferme aussi les yeux, cela fait un couple franco-allemand qui vit en somnambule, dans les fantasmes, et qui peut songer à une paix perpétuelle qui s’opérerait en éliminant les fauteurs de trouble, les nouveaux « nazis » du monde : les Israéliens. L’Allemagne m’inquiète, assurément. L’Europe que veut construire le couple franco-allemand m’inquiète aussi. La solution finale, il y a soixante ans, avait pour but d’éliminer un peuple en trop, irréductible, « inquiétant », obstacle à la paix et à l’unité millénaire. Aujourd’hui, pour les Européens, il y a à nouveau un peuple en trop, obstacle à la paix et à l’unité millénaire. Aux yeux du couple franco-allemand, c’est le même qu’alors.

Officiellement, il y a soixante ans, ce fut une tragédie. « On ne savait pas », vous dit-on hypocritement. Il ne faut pas qu’une nouvelle tragédie se profile à nouveau, dont on pourrait dire hypocritement : « on ne savait pas ».

Il faut être vigilant. Les juifs et Israël peuvent heureusement désormais compter sur eux-mêmes et sur les Etats-Unis. Mais il faut plus que jamais rester méfiants face à l’Allemagne et au couple franco-allemand. Il faut dénoncer ce qui doit l’être, comme la chute, ce film malsain et dangereux. Surtout quand on sait quel est le climat qui règne en Allemagne et en France. Le 29 décembre dernier, l’abject Dieudonné a offert l’ultime spectacle d’une tournée triomphale au Zénith de Paris ; la haine anti-juive suintait de chacun de ses mots. Il a jeté à la vindicte de l’immense salle, pleine à craquer, une liste de noms. Divers comédiens sont montés sur scène à la fin du spectacle pour soutenir l’acteur.

Hitler attirait le même type de foules en son temps. Il y avait, à Munich, des comédiens comme Dieudonné. Non, donc, au bobard délirant qui voudrait prétendre qu’il n’existait pas de climat d’antisémitisme à l’époque ; il ressemble au bobard délirant qui consiste à affirmer qu’il n’y a pas de climat d’antisémitisme aujourd’hui. Et si cela continue, la révision de l’histoire sera si complète que nul ne se souviendra de ce qui s’est vraiment passé. C’est à ce moment-là, si nous laissons faire, que tout recommencera.



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