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Puis vint l’ère de la banalisation
Par Guy Millière © Metula News Agency
Article mis en ligne le 19 décembre 2004
dernière modification le 18 décembre 2004

Et si le Sida avait été conçu par les Juifs aux fins de détruire les Noirs ? Cela demande débat, non ?

La chaîne du Hezbollah, Al Manar, a, comme on le sait, reçu une autorisation de diffusion du CSA avant que, quelques jours plus tard, sur demande du même CSA, le Conseil d’Etat décide d’interdire la chaîne. Cette décision ne changera strictement rien pour Al Manar, dès lors qu’il suffira de réorienter sa parabole, pour continuer à la recevoir dans toutes les banlieues de l’islam. Pour faire passer la pilule amère de son acceptation de la chaîne terroriste dans le PAF, le CSA avait parlé d’une Al Manar « light » et de conditions de diffusion très strictes. En entendant cela, je me suis dit qu’une Al Manar light ne pouvait être qu’une Al Manar dépouillée d’images et de son ; que les seules conditions sensées que l’on pouvait imaginer étaient que l’écran de quiconque cherche à capter Al Manar en France reste noir et que le téléviseur émette un son si désagréable qu’on ait envie de zapper immédiatement. Quoi ? On pouvait toujours fantasmer une seconde, juste pour se détendre dans une atmosphère peu propice à la rêverie…

J’ai du constater, au contraire, que d’un bout à l’autre de « l’affaire Al Manar » l’organisation Hezbollah a été qualifiée de parti politique, de mouvement activiste ou de mouvement tout court, mais jamais, où que ce soit dans les médias de mon pays, d’organisation terroriste. J’ai remarqué aussi qu’on a accusé Al Manar d’incitation au racisme ou d’incitation à la violence, mais jamais d’incitation à l’antisémitisme ou à la haine des Juifs. J’ai remarqué, enfin, qu’à ma seule exception près, tous ceux qui se sont indignés de l’autorisation accordée à Al Manar et de la pitoyable et sinistre pitrerie qui s’en est suivie étaient des Juifs. Seuls des Juifs, et quelque dissident comme moi, peuvent vraiment se sentir mobilisés par des incitations directes à la haine des juifs dans la France d’aujourd’hui.

Et le lugubre Dieudonné, acteur noir tenté par le néo-nazisme, pour peu qu’il soit repeint aux couleurs du gauchisme, a été reçu par Thierry Ardisson qui, ô surprise heureuse, a critiqué ses excès de façon déterminée. Mais Dieudonné, le mal surnommé, a su profiter de son passage à « Tout le monde en parle » pour cracher son venin et distiller à ceux qui regardaient l’émission une idée parfaitement ignoble : et si le Sida avait été conçu par les Juifs aux fins de détruire les Noirs ? Je ne dis pas que c’est exact - a cru bon de préciser l’énergumène, dans un lancer de rumeur cathodique façon 2004 - mais cela demande débat, non ?

Il ne faut pas laisser cette question dans les airs sans lui consacrer, au moins, les remarques qu’elle mérite : disséminez une infamie absolue ; laissez infuser dans des esprits affaiblis par la dose quotidienne de désinformation made in France, et attendez le résultat. C’est exactement ainsi que l’on procédait sous Adolf dans l’Allemagne des années 1930.

Dieudonné n’a pas manqué non plus de raviver un parallèle particulièrement odieux : on parle tout le temps de la Shoah, a-t-il dit, mais qui parle du racisme subi par les arabes en Europe, qui parle de la souffrance des noirs, victimes d’un génocide autrement plus grave, celui résultant de la vente d’esclaves venus d’Afrique en direction des Amériques ? Thierry Ardisson aurait pu avoir l’à propos de rappeler à Dieudonné que les marchands d’esclaves en Afrique étaient africains ou arabes et que l’essentiel du trafic d’esclaves africains s’est fait en direction du monde musulman, ce pendant une période largement plus longue que l’esclavagisme euro-américain. On peut aussi légitimement penser, qu’en Mauritanie et au Soudan, ce commerce n’est pas terminé. La présence de minorités significatives d’Africains de couleur au sein de la société arabe, que ce soit en Arabie Saoudite ou parmi la population palestinienne, par exemple, apporte un témoignage suffisant de l’existence de ces pratiques jusqu’à une période relativement récente.

Je suis devenu chroniqueur des Grandes gueules de RMC, où je sévis désormais trois ou quatre fois par mois. Cette semaine, je me suis fait fort de rappeler le caractère à la fois abominable et unique de la Shoah. En présence d’un autre chroniqueur français, d’origine arabe musulmane, j’ai pu très vite constater que les arguments de Dieudonné n’étaient pas tombés dans l’oreille de sourds. Et mon interlocuteur, après avoir dit deux mots sur le génocide perpétré par les nazis à l’encontre des Juifs, est rapidement passé au sort que le monde occidental a fait subir aux noirs réduits en esclavage. Mon camarade, bien sûr, n’a pas pipé un seul mot sur le trafic d’esclaves en direction du monde arabe musulman. Il n’a pas dit, non plus, que si le monde occidental avait, pour un temps assez bref, utilisé l’esclavage pratiqué par d’autres, c’est aussi le monde occidental qui a initié l’abolition de l’esclavage.

Je m’attends à ce que, dans les mois à venir, la Shoah se trouve de plus en plus relativisée. Je m’attends à ce qu’on dise qu’il y en a assez d’entendre les Juifs parler de leur souffrance passée et qu’il y a d’autres populations sur la planète qui ont souffert autant, sinon davantage que les Juifs. Ce sera un négationnisme plus subtil que le négationnisme précédent. On ne dira plus qu’Auschwitz n’a pas existé ou que dans les chambres à gaz on ne gazait que les poux ; on dira : bien sûr, il y a eu Auschwitz, mais il y a eu plus abominable qu’Auschwitz, l’esclavage pratiqué par les Occidentaux à l’encontre des noirs, et les victimes, là, ont été autrement plus nombreuses. Elles furent des dizaines de millions, pendant des décennies, alors cessez de nous parler d’Auschwitz !

Je crains ce négationnisme par la « banalisation » d’Auschwitz bien davantage que le négationnisme ancien, précisément parce que, étant plus subtil, il est moins voyant, et qu’il permet de mieux faire passer, en direction des opinions française et sans doute européennes, l’idée que les Israéliens se comportent aujourd’hui comme des nazis vis-à-vis des Palestiniens. Dès lors qu’Auschwitz n’est qu’un épisode, pas plus saillant que d’autres, voire plutôt moins, dans la longue histoire des crimes de l’Occident, l’armée israélienne, en tant qu’armée occidentale, est capable de commettre des crimes aussi abominables que ceux du temps d’Auschwitz et cela n’aura rien d’étonnant.

Tout l’Occident est devenu coupable, en gros et en détail. L’Allemagne nazie, la France de Louis XV et de Louis XVI, la Grande-Bretagne de la Glorious Revolution, les Etats-Unis de Washington et Jefferson, donc ceux de Bush et Israël, de sa naissance à Ariel Sharon. Le fait que mon interlocuteur français d’origine arabe musulmane, sur RMC, ait été un président d’association « républicaine », donc quelqu’un qui a forcément l’habitude de réfléchir, m’a paru inquiétant. Si quelqu’un comme lui, qui ne cesse d’invoquer la république, banalise à ce point la Shoah, qu’en est-il pour les français d’origine arabe musulmane qui n’ont pas son niveau de culture ? Je n’ose y penser, étant quasiment certain de connaître la réponse.

Je penses sans enthousiasme non plus à ce qui est l’état mental de la jeunesse européenne aujourd’hui. Un sondage a été effectué récemment dans une dizaine de pays d’Europe, dans lequel on demandait à des jeunes gens âgés de 18 à 25 ans ce qu’était Auschwitz. Selon les pays, seuls vingt à vingt-cinq pour cent des jeunes gens répondaient de manière adéquate. Le reste, soit les trois-quarts des personnes sondées, semblait n’avoir jamais entendu parler de ce qui s’était vraiment passé à Auschwitz. Seulement soixante ans après ! Qu’en sera-t-il dans dix ans, dans vingt ans, au train où vont les choses ?

Un philosophe américain du début du vingtième siècle, George Santayana, a écrit que « quiconque n’étudie pas scrupuleusement les erreurs de l’histoire se condamne à les laisser se répéter ». Je préciserai, pour ce qui me concerne, que quiconque n’étudie pas scrupuleusement les crimes de l’histoire se condamne à les laisser se répéter. Quand je vois la façon dont, en France, on parle aujourd’hui du passé de l’Europe et de la Shoah, quand je vois comment, dans la foulée, on parle d’Israël, quand je vois que la mémoire s’efface, je m’inquiète et me dis que de nouveaux crimes se trouvent rendus très possibles.

Une seconde Shoah, prenant la forme de la destruction d’Israël et de ses habitants, est en voie de devenir environnementalement envisageable. Dans le contexte pesteux, qui est devenu le nôtre, l’holocauste d’Israël serait observé de loin, dans la passivité, et risquerait d’apparaître simplement comme un épisode parmi d’autres dans la fatalité du mal ; un aléas si banal sur la planète, et que l’Occident, dont Israël fait partie, mérite bien de subir…

Dans ces prolongements inévitables du complot de la Parenthèse, les Etats-Unis se dressent comme le rempart ultime de l’Occident, la puissance dont dépend sa survie, en ce que notre civilisation peut avoir de digne et d’émancipateur. La puissance de l’Oncle Sam, ultimement tributaire de la survie d’Israël, aussi, en sa qualité de fragment essentiel du même Occident.

Plus que jamais, je vis mal mes identités de Français et d’Européen. L’année qui va commencer bientôt nous dira, je pense, s’il y a un sursaut de rationalité à attendre, ou s’il est déjà temps de faire ses valises et de s’en aller. Et ce n’est pas ici l’expression d’un poète, ni celle d’un prédicateur mais celle d’un homme, qui essaie de vivre son époque difficile les yeux ouverts.



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