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Sombre période, mais les chemins du possible sont ouverts
par Nissim Zvili - Le Monde
Article mis en ligne le 20 novembre 2004

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-387856,0.html
Le Proche-Orient se trouve aujourd’hui à un tournant. Il est possible de secouer le marasme dans lequel la région se trouve depuis quelques générations, d’entrouvrir des portes et laisser se profiler de nouvelles perspectives d’avenir.

Les décisions politiques prises en Israël par Ariel Sharon ont souvent été minimisées en Europe, non appréciées à leur juste valeur, voire totalement dépréciées. Les préjugés ont masqué la réalité d’un premier ministre qui a su prendre des virages déterminants, en rupture avec ses convictions d’antan et même avec son propre parti.

Le plan de désengagement de la bande de Gaza et du nord de la Samarie représente un véritable changement stratégique dans la politique israélienne, une profonde redéfinition des intérêts d’Israël et de ses frontières. Une telle décision, qui a dû affronter une opposition virulente, ne se prend pas sans être accompagnée de grandes tensions dans la société israélienne, sans la mise au jour de déchirures qui laisseront des traces sans doute pour longtemps. Ariel Sharon a agi en chef de gouvernement qui oriente la politique et qui résiste à la facilité de l’immobilisme.

De l’autre côté, Yasser Arafat a occupé le leadership palestinien pendant quarante-cinq ans et, quoi qu’il ait fait, il n’a pas voulu sortir son peuple de la confrontation et du conflit. Dans la première moitié des années 1990, après notamment s’être décrédibilisé, y compris dans le monde arabe, en soutenant Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe, il avait tenté de changer. Après les accords d’Oslo, dont la discussion avait commencé en 1993, il a donné l’impression qu’il avait troqué la tenue militaire pour l’habit de chef politique. Mais une barrière psychologique trop grande l’a empêché d’opérer véritablement cette mutation. Depuis Oslo, depuis son retour dans les territoires, la souffrance des Palestiniens n’a fait qu’augmenter, les intimidations se sont multipliées, l’esprit de clan a repris le dessus, la radicalisation et la pauvreté se sont accrues.

La seconde moitié de cette dernière décennie du XXe siècle a été marquée par une recrudescence radicale des actes terroristes (le premier attentat-suicide de ces années Oslo se produisant en avril 1994), venant entacher tous les accords successifs qui ont jalonné le processus d’Oslo. Et puis, à l’été 2000, en pleine dynamique politique de négociations, Yasser Arafat n’a pas « raté l’occasion de rater l’occasion », selon l’expression désormais bien connue d’Abba Eban. Le chef de mouvement révolutionnaire n’a pas opéré sa mue en chef d’Etat. Deux mois plus tard éclatait la deuxième Intifada. Elle ne fut pas seulement une décision stratégique de l’Autorité palestinienne, un processus bien plus maîtrisé qu’il n’y paraît à première vue, mais aussi un déchaînement terroriste sans pareil contre la population civile israélienne.

La disparition de Yasser Arafat laisse la population palestinienne dans un immense désarroi. Aujourd’hui, la nécessité de prendre des décisions pour l’avenir est cruciale. Qui prendra en main la destinée palestinienne ? Les forces à l’œuvre sont inégales. Le courant extrémiste est composé de mouvements qui ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël et dont la branche armée du Fatah fait partie. Ce courant prône la lutte armée exclusive pour affaiblir l’Etat juif et en venir à bout.

Le courant des modérés reconnaît Israël, recherche la fin du conflit dans le cadre d’un accord politique et a abandonné la revendication du droit au retour. Ce courant est majoritaire, mais il a encore du mal à faire entendre sa voix, étouffé par les démonstrations populistes et bruyantes des extrémistes, qui n’hésitent pas à recourir à la loi des armes pour réduire au silence ceux qui veulent un Etat palestinien à côté de l’Etat juif, non à sa place.

La démocratie, appelée de tous leurs vœux par les modérés, devra encore prendre racine dans la société palestinienne pour qu’elle accepte les valeurs du compromis, du partage, des négociations, et non la loi du plus fort. Il faudra à la société palestinienne un leadership d’un certain niveau de maturité et de pragmatisme pour faire passer la politique avant la guerre. C’est peut-être là que se trouve, à court terme, la clé de la dernière chance pour résoudre le conflit israélo-palestinien.

A la croisée des chemins, la société israélienne est secouée par de violents spasmes. Malgré une démocratie solidement enracinée en Israël, une démocratie consubstantielle à sa renaissance politique, il ne faut surtout pas minimiser les provocations d’un groupuscule menaçant la vie du premier ministre israélien ou appelant à la désobéissance. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait qu’une minorité importante de la population israélienne est hostile au plan de désengagement d’Ariel Sharon adopté par la Knesset. L’état d’esprit qui plane en ce moment en Israël nous rappelle la douloureuse période de l’assassinat d’Itzhak Rabin.

Les temps qui s’ouvrent seront durs, les obstacles ne feront pas défaut, l’application du plan de désengagement sera complexe et difficile. Mais Israël est un Etat de droit, les décisions adoptées démocratiquement seront respectées et l’Etat juif sera au bout du compte capable de surmonter cette crise. A l’heure des grandes décisions, Israël sera au rendez-vous autour de la coalition droite-centre-gauche constituée par Ariel Sharon.

Le plan de désengagement libérera 40 % des habitants de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie de la présence israélienne. Il peut être appliqué dans le cadre de négociations bilatérales avec les Palestiniens, dans le cadre aussi d’un accord qui comprendrait la communauté internationale, ou bien seulement par la mise en œuvre israélienne. Car il n’est pas encore sûr que des partenaires palestiniens veuillent ou puissent exercer les responsabilités qui leur incombent.

Cela ne change rien à la volonté d’Ariel Sharon de se retirer de la bande de Gaza, mais, dans tous les cas, le soutien de la communauté internationale sera indispensable pour la réussite de ce désengagement, pour éviter que les Palestiniens ne soient livrés à l’anarchie et à la guerre des gangs.

Cela, les Etats-Unis l’ont compris. L’Union européenne s’est au contraire permis d’être très sceptique et méfiante quant aux intentions d’Ariel Sharon, comme si tout n’était que manigance et ruse. Il faudra cependant que l’UE se souvienne qu’elle avait salué le plan israélien comme une application de la « feuille de route » ; qu’elle ait à l’esprit que, si Ariel Sharon a adopté une approche unilatérale, c’est qu’il n’y avait aucun partenaire en face pour mettre en œuvre un accord signé par les deux parties.

Si la donne change, ce programme sera tout à fait applicable en coordination avec un partenaire palestinien capable d’assurer la stabilité et la sécurité dans la région. Il faudra aussi que l’UE n’oublie pas qu’elle a été le moteur de la « feuille de route », proposant comme première étape, comme préalable non négociable, la lutte contre le terrorisme, la fin de l’incitation à tuer, le démantèlement des mouvements terroristes.

La participation de l’UE au plan de désengagement est souhaitable, mais pas indispensable. Par contre, l’Autorité palestinienne doit engager sa responsabilité pour que la « feuille de route » puisse enfin coïncider avec la création d’un Etat palestinien pacifique. Force est de constater qu’aujourd’hui le seul plan opérationnel est le plan israélien de désengagement. Un plan qui ne se réduit pas à un bout de papier, mais qui réunit les conditions pratiques pour sortir de l’impasse.

Aujourd’hui, malgré la période sombre qui s’annonce, les chemins du possible sont ouverts. Les périodes de changement sont souvent précédées de tumultes, de phases douloureuses de réorganisation du réel. Il faut de l’espoir, de la ténacité, du courage politique, et pour que la paix ne soit pas un vain mot, il faut aussi un projet de société partagé par nos voisins, incluant la possibilité de vivre à côté l’un de l’autre, dans la reconstruction de la confiance, du respect et de l’avenir.

Nissim Zvili est ambassadeur d’Israël en France.



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