Le Dr Saad Ben Tefla, journaliste et ancien ministre de l’Information, est l’auteur d’un article intitulé : « Nous sommes tous Ben Laden », paru dans le quotidien londonien Al-Sharq Al-Awsat, où il critique la position unanime des pays musulmans concernant Oussama Ben Laden.

Voici quelques extraits de l’article :

Les versets sataniques

" [Le monde] se pose des questions sur notre position en tant que nation de façon générale et sur la position de l’islam politique et des partis religieux (…) concernant Ben Laden et le tort qu’il a causé aux musulmans (…) Il est attristant de comparer notre position vis-à-vis de Ben Laden à celle que nous avons eue vis-à-vis de Salman Rushdie.

Qui parmi nous se souvient de Salman Rushdie ? Salman Rushdie était un auteur britannique anonyme, d’origine indienne. En 1988, il a reçu un prix pour un roman insipide intitulé ’Les versets sataniques’. Je le qualifie d’insipide car jusqu’à ce jour, je n’ai pas réussi à le finir, et je ne comprends ni son contenu, ni ses intentions, bien que j’aie un doctorat d’Angleterre, en anglais. Cet auteur anonyme, stupide ou insipide, comme chacun choisira de le qualifier, est devenu une célébrité dont le nom est fréquemment apparu dans nos médias, les sermons de nos mosquées, dans nos journaux, dans nos clubs dikr (1) et dans nos centres où l’on récite le Coran.

" Nous avons fait entendre le bruit de tous nos sabres verbaux, que nous avons aiguisés, celui de nos décrets religieux [fatwas] ; nous avons [mis en état d’alerte] nos gardes, nos ports, nos aéroports et nos frontières pour empêcher que son livre ne pénètre [dans nos pays] et n’y circule, puisque ce dernier nuit à l’islam. Dans toutes les capitales du monde islamique, des protestations se sont élevées face aux ambassades britanniques ; des poupées de Salman Rushdie ont été brûlées, ainsi que des exemplaires de son livre. Dans l’une de ces manifestations au Pakistan, neuf protestataires ont été tués et d’[autres] blessés par la police pakistanaise (…)

Des décrets religieux ont été émis les uns à la suite des autres pour interdire le livre de Salman Rushdie et appeler à son élimination. L’Iran a destiné une récompense d’un million de dollars à quiconque appliquerait les fatwas de l’imam Khomeyni en tuant Salman Rushdie (2) Nos maisons d’éditions appauvries ont réagi en imprimant des ouvrages et des brochures niant le contenu [du livre], bien que ce dernier ait été interdit dans toutes les capitales du monde musulman. Certains ont lu ces réactions, ces réfutations, ces dénégations sans jamais avoir lu le livre ! Certains attendaient Salman Rushdie au tournant afin de le tuer, espérant se rapprocher d’Allah grâce au sang [de Rushdie ], ou par appât des millions de dollars promis par l’Iran. Les autorités britanniques ont élevé le niveau de sécurité autour de Salman Rushdie, devenu très célèbre grâce à la décision de l’assassiner de toute la nation.

Où sont les fatwas contre Ben Laden ?

Bien que Ben Laden ait tué des milliers d’innocents au nom de notre religion, et en dépit du tort qu’il a causé aux musulmans partout dans le monde, et en particulier aux musulmans innocents qui vivent en Occident - et dont la vie est bien meilleure que celle des musulmans en terres islamiques -, jusqu’à ce jour, pas une seule fatwa n’a été émise pour appeler à l’élimination de Ben Laden, sous prétexte que Ben Laden proclame qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah. [Mais] Napoléon n’a-il pas répété plusieurs fois la même chose lors de son attaque d’Al-Azhar ?

Mais mettons de côté le [sujet] de la fatwa. Des protestations se sont-elles élevées contre les agissements de Ben Laden dans une seule des capitales islamiques ? Certains ont peut-être manifesté en sa faveur. Les stations satellite [musulmanes] se sont battues entre elles pour la diffusion de ses sermons et fatwas, au lieu de chercher à l’empêcher, comme dans le cas de l’ouvrage de Salman Rushdie. Avons-nous promis une récompense à quiconque tuerait Ben Laden, comme nous l’avons fait pour Salman Rushdie, en raison de son livre ?

Avec notre position équivoque vis-à-vis de Ben Laden, nous avons, depuis le tout début, donné au monde l’impression que nous étions tous Ben Laden. "

[1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 30 août 2004.

[2] Les clubs Dikr dont des associations religieuses où l’on récite les noms d’Allah ; elles sont particulièrement répandues chez les soufis.

[3] En février 1989, le guide spirituel d’Iran, l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, a émis un décret religieux appelant les musulmans du monde entier à éliminer Salman Rushdie en raison de son livre, « Les versets sataniques ».

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