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Stéphane Hessel : habileté contre inhibition
Daniel Sibony
Article mis en ligne le 20 février 2011

J’ai entendu à France-Culture (le 12/2/11), Stéphane Hessel se jouer très gentiment de ses deux interlocuteurs, A. Finkielkraut et F. Zimeray. Il a échappé à toutes leurs critiques et lorsqu’il leur en concédait une, c’était pour les ramener à lui, les inclure dans sa position, sur le mode : oui c’est vrai, il n’y a pas que Gaza, mais l’éditeur me demandait un exemple clair de lutte possible pour les droits de l’homme, bien sûr, je les défends partout où ils sont attaqués, je suis avec vous sur ce terrain, etc. De sorte que l’émission ne réfute ni les énoncés de Hessel ni son énonciation.

En fait, il avait devant lui deux personnes qui inhibaient leur indignation, sans doute pour jouer le jeu médiatique ; ou par un effet de miroir : « Indignez-vous ! -Non ! » Il les a donc mis dans son sac, sans même répondre sur le mensonge des « trois millions de Palestiniens expulsés par Israël en 48 ». C’est que ses deux interlocuteurs étaient d’abord dans une critique de l’indignation. Or l’indignation existe, c’est un moment essentiel des conduites humaines. Mais il y a un temps pour tout : un temps pour s’indigner et un temps pour réfléchir. Et ce que Hessel cherche, dans sa posture juvénile, c’est de faire que l’indignation absorbe le raisonnement. Ce fut le cas.

La critique de l’indignation, forcément partielle car tout le monde sait qu’il y a souvent à s’indigner, Hessel l’écarte d’un revers de main réaliste et calme : s’il y a de quoi s’indigner, pourquoi s’en empêcher ? Et il met ses interlocuteurs dans le camp des politiciens qui se demandent si c’est le moment, si c’est opportun, si cela ne va pas induire des gens en erreur, etc. Bref, il les enfonce dans leur fantasme de forger l’opinion, de la corriger, de l’orienter dans le bon sens. Et il garde pour lui la position claire et franche de s’indigner quand il y a lieu et que c’est utile.

Si Finkielkraut, qui s’indigne presque toujours sur ses thèmes favoris, avait accepté l’idée de l’indignation et sa réalité, il aurait pu opposer les quantités d’indignations qui ont eu lieu dans ce pays depuis 1945 - avec manifs, violences, changements de régime, de mode de vie ; jusqu’aux récentes indignations sur les Retraites qui ont rassemblé deux millions d’hommes - juste pour dire leur colère, puisque les calculs étant faits, la réforme devait passer. Que fait donc M. Hessel et qu’a-t-il fait des ces grandes indignations qui ont lieu ici même ? (Et comment lui-même s’est-il indigné depuis 1948, depuis qu’il a « rédigé » la Déclaration des Droits de l’homme ?)

Alors on aurait vu que s’indigner uniquement contre Israël, c’est surfer sur la vague la plus facile : la vague de soutien aux Palestiniens, qui en Europe déferle régulièrement sans mouiller personne. Leur Cause est tellement soutenue, sans aboutir, que certains vont commencer à se demander ce qu’elle a d’« insoutenable ». Peut-être qu’elle contient en elle-même des choses non-dites et peu soutenables dans le réel ? Peut-être aussi l’a-t-on greffée sur une culpabilité européenne qui, elle aussi, doit rester tue ? Des esprits plus curieux vont peut-être « s’interroger » : si cette Cause n’avance pas malgré tous ces soutiens, peut-être y a-t-il en elle quelque chose de cassé ? La cassure entre Gaza et Cisjordanie n’étant qu’un symptôme externe ? Quelque chose qui ne tient pas (et pas seulement au fait qu’il n’y a jamais eu d’Etat palestinien dans l’Histoire) et qui écume l’indignation où qu’elle se trouve dans le monde pour la pointer sur l’Etat juif, qu’on suppose expert en posture victimaire. Jusqu’au moment, peut-être où cette démarche apparaîtra dans sa vaine complaisance ?

Bref, Hessel ne dénonce qu’Israël parce que c’est le plus facile mais aussi le plus vain ; c’est sans doute aussi pour cela que c’est son exemple favori.

Là-dessus, il n’y a pas eu débat, là-dessus car tous les trois étaient d’accord qu’il faut dénoncer-Israël-mais-pas-seulement.

Quant à Israël, j’ai dit ailleurs, à la suite d’un voyage là-bas que les dirigeants israéliens, de droite ou de gauche, semblent vouloir la paix pour des raisons qui sont les leurs : pour pouvoir construire un Etat d’« excellence », un Etat fort et prospère, où le business, l’innovation, la techno, la formation, l’immobilier, le tourisme, l’éventail de toutes les consommations, se libèrent, se déchaînent et produisent une extase narcissique, un immense contentement de soi et de sa supériorité. De sa « distinction » historique, peut-être ? Mais si le peuple juif s’est distingué, ou s’est trouvé distingué au fil des siècles par sa façon de distinguer l’être-parlant, au fil des lettres dont il a hérité, ne serait-ce pas pour des visions plus lointaines ?

Daniel Sibony

Psychanalyste, écrivain. A publié récemment : MARRAKECH, LE DEPART, roman, et LES SENS DU RIRE ET DE L’HUMOUR, (Odile Jacob)



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