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Guillaume Dasquié, parlons-nous franchement (3ème et 4ème parties )
Interview par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Article mis en ligne le 17 juin 2004
dernière modification le 18 juin 2004

Stéphane Juffa Après une enquête très fouillée, comprenant des dizaines d’interviews aux Etats-Unis, nous sommes aujourd’hui en position d’affirmer qu’aucun des cas mentionnés par le rapport de la DEA n’avait le moindre rapport avec le renseignement, ni qu’aucune des personnes citées dans ce rapport n’a fait l’objet d’un interrogatoire par aucune des nombreuses officines américaines s’occupant d’espionnage et de contre-espionnage.

Maintenez-vous, de votre côté, qu’il y ait eu affaire d’espionnage et si affaire d’espionnage, en quoi était-elle caractérisée ?

GD Je comprends maintenant pourquoi vous insistiez sur cette question. Je n’ai jamais, jamais, posé les données que j’avais recueillies à l’époque dans ces termes-là. Aujourd’hui comme hier, je constate qu’il y a des faits extrêmement précis, relevés par plusieurs services administratifs américains…

SJ Pouvez-vous, Monsieur Dasquié, nous donner l’exemple d’un seul de ces faits ? Pourrait-on parler précisément de l’un de ces faits ou de l’un de ces cas ?

GD Il y a peut-être quelque chose de fondamental que je n’ai pas dit jusqu’à présent. Moi, par principe, les déclarations officielles de services de renseignements ou de services ayant des activités de renseignement ou de sécurité, je ne les considère pas comme des déclarations ayant la même valeur qu’une interview donnée par une personne publique dont on peut vérifier chacune des déclarations. C’est vrai, et c’est aussi valable en France et ça n’a rien à voir avec le pays, naturellement, les déclarations officielles de la CIA, qui par vocation est un service de renseignement, donc, de manipulation, je les écoute mais je ne les prends pas pour argent comptant.

SJ Mais dans le même souffle, vous continuez à considérer avec un infini sérieux les déclarations de deux inspecteurs d’une autre agence, tout aussi américaine - auxquels a priori on n’a pas de raison objective d’accorder plus de crédit qu’aux chefs du FBI, de la CIA et de l’IMS réunis -, d’où vous vient cette préférence ?

GD Sur le principe je crois que vous avez parfaitement raison. A l’époque, nous n’avons pas pris pour argent comptant le rapport de la DEA mais nous avons multiplié les enquêtes pour vérifier tout en partie ce qui y était mentionné. Aujourd’hui, je ne dis pas que les conclusions auxquelles parviennent ce rapport et ces fonctionnaires américains étaient exactes. Vous voyez, avec du recul, je suis loin de les cautionner. Simplement, entre les observateurs de cette affaire qui seraient tentés de la rejeter complètement, en disant « tout cela est imaginaire, rien, rien n’a pu exister, ces ressortissants israéliens n’étaient que des étudiants et tout ça c’est l’œuvre du hasard » et d’autres, qui disent « oh là là, oui, il y a eu une grosse affaire d’espionnage », mon point de vue de professionnel consiste simplement à dire qu’aujourd’hui, je n’ai aucune preuve, pour, de manière catégorique, abonder dans un sens ou dans l’autre. Désormais, contrairement à ce que j’ai pu, peut-être, écrire en mars 2002, je pense qu’on a suffisamment d’informations pour constater qu’à cette période-là, très précise, mars 2002, les services américains s’affrontaient dans des guerres de services absolument effroyables et redoublaient avec une extrême fébrilité sur toutes les affaires d’espionnage. A l’époque, ce qui a pu être dit dans un sens comme dans l’autre, à charge et à décharge, sur cette affaire et sur d’autres, doit être pris avec beaucoup plus de précautions ; parce qu’aujourd’hui on rencontre des gens qui à l’époque refusaient de nous parler parce qu’ils étaient encore en fonctions officielles et qu’entre temps, ils sont partis dans le secteur privé, par exemple, et qui nous disent : « Oui c’est vrai, cette affaire, à l’époque, elle a fait beaucoup de bruit, il s’est sûrement passé quelque chose mais c’était peut-être plus compliqué que ce que l’on pensait etc. » et ils nous ont apporté certaines informations en ce sens.

SJ Serait-il possible de connaître le nom, ne serait-ce que d’une seule personne qui pense de cette manière ?

GD Là vous m’embêtez… ça me pose un problème… je ne peux pas vous répondre. Aujourd’hui, comme ça, je ne peux pas vous répondre, il faudrait que je leur demande.

SJ Quant à moi, je peux vous communiquer les noms de cinq personnes, aux plus hauts postes de l’Etat, qui ont confirmé les résultats de nos enquêtes. Cela couvre de nombreuses affirmations du rapport de la DEA, comme, par exemple, que les adresses des étudiants israéliens qui y figuraient n’étaient pas exactes, que leur emploi du temps a été vérifié et démontre qu’ils ne se sont jamais occupés d’espionnage, que, de plus, on sait avec précision à quelles activités ils se vouaient, à la suite des enquêtes diligentées par l’IMS afin de juger s’ils pouvaient rester aux Etats-Unis ou s’ils devaient être reconduits à la frontière. Lors de cette procédure, le cas de chaque étudiant a été vérifié et ceux qui avaient des raisons légalement acceptables de demeurer aux USA y sont restés et les autres ont effectivement été expulsés.

Cela m’amène à une autre considération : Une affaire d’espionnage, c’est quelqu’un qui se rend quelque part afin d’y chercher une information secrète défendue par un pays…

GD Je peux vous répondre là-dessus. A l’époque, il n’y a pas que le Monde qui avait traité cette affaire, il y avait des médias américains, comme FOX News.

SJ Oui mais FOX News s’est publiquement rétractée, vous le savez bien.

Autre chose encore : Aujourd’hui, deux ans après cette affaire, comme il y a quatre ans, il y a sept ans et comme dans deux ans, il y a toujours le même nombre d’Israéliens entre 20 et 30 ans aux Etats-Unis, qui répondent précisément aux critères du rapport de la DEA. Ils répondent à une habitude sociologique qui veut qu’après trois ans d’armée, de nombreux jeunes se rendent aux USA pour y travailler et pour faire du tourisme, souvent munis de visas invalides. Faut-il conclure que l’espionnage continue ?

GD Je ne réponds pas à la question. Moi je n’ai jamais eu l’ambition de faire une thèse sur les relations existant entre les communautés du renseignement israélienne et américaine. Ce qui se passe dans l’histoire du renseignement entre deux pays est très complexe, moi je n’ai jamais eu la prétention de réaliser un travail exhaustif à ce sujet. Je préfère revenir sur votre question principale : Considérez-vous toujours, aujourd’hui, qu’ilse soit agi d’une affaire d’espionnage ? Aujourd’hui, je considère que parler d’une affaire d’espionnage à l’époque était un manque de prudence et j’en assume la responsabilité.

Mais de plus, il est indéniable que l’Office of Special programs de la DEA joue un rôle très important au sein de la communauté du renseignement. Cela a une raison historique, c’est que tout le renseignement des USA sur l’Amérique centrale est réalisé conjointement avec la DEA, parce que la DEA est le service responsable de cette région, eu égard au trafic de drogue qui en provient.

SJ Oui, il s’agit d’unités très spécifiques au sein de la DEA et très localisées, notamment sur la frontière mexicaine. Les deux personnes qui nous intéressent dans le cadre de notre discussion liée à l’affaire du Monde, quant à eux, n’ont pas participé de ces unités et ces unités ne se sont jamais intéressées aux activités des étudiants israéliens.

GD Notre travail ne consiste pas à établir des vérités immuables, celui qui fait notre travail et qui prétend écrire des vérités immuables devient instantanément dangereux. Je ne considère pas notre discussion comme une empoignade à propos du passé, d’ailleurs, si demain je m’aperçois qu’il n’y avait même pas le commencement d’une affaire de renseignement, c’est-à-dire que tout ça était effectivement une succession de paranoïas émanant de quelques éléments isolés à l’intérieur de l’appareil sécuritaire américain, c’est ma fierté et mon honneur que de l’écrire haut et fort. L’idée que je me fais de mon travail ne supporte pas qu’un jour on puisse avoir écrit une information, présenté une information, qui se révélera inexacte dans le futur. Je pense que nous travaillons sur une matière mouvante entre deux voies et que nous devons en permanence nous amender et nous critiquer. Ma réputation passe aussi par cela, de reconnaître qu’à un moment j’ai pu me tromper ou j’ai pu être un petit peu éloigné de la réalité. Aujourd’hui, je suis tenté d’incliner vers ce sens-là.

SJ Bien. Ce qui suit est un peu dérangeant, c’est que quelques mois plus tard, vous quittez Intelligence on line (il rit) et vous créez Géopolitique point com avec Marc Bauland.

GD C’est exact mais j’y suis seulement actionnaire majoritaire. A l’époque j’occupe déjà mes fonctions chez Flammarion et je n’assume pas le suivi éditorial quotidien du site. Je n’ai plus les mains dans le cambouis dans ce qui est produit par cet organe d’information.

SJ Parce que, oh surprise, Géopolitique.com est le seul média qui sort en gros titre : « Ottawa neutralise un réseau d’espions israéliens ! ». On est au mois d’octobre 2003. L’article se réfère à l’autre affaire américaine.

Stéphane Juffa Ce qui nous intéresse, c’est que les conditions sont exactement les mêmes dans les deux affaires : La caractérisation d’un acte d’espionnage qui n’existe pas. Géopolitique.com parle d’Israéliens se baladant aux abords du parlement canadien, alors que ce qui se passe dans ce parlement, tant au niveau des séances plénières que du travail des commissions, est retransmis à la télévision. Comme l’affaire Cypel, celle du Canada se termine au Département de l’immigration, exactement pour le même problème de séjours illégaux d’étudiants israéliens entre 20 et 30 ans, mais au Canada cette fois.

Guillaume Dasquié La question ?

SJ La question, c’est pensez-vous également qu’il y avait un problème de renseignement derrière cette seconde affaire ?

GD Non. Cet article est plus à mettre sur le compte d’un manque d’expérience des auteurs et du rédacteur en chef de l’époque qu’autre chose. Il est vrai que le rédacteur en chef savait que j’étais l’une des personnes qui avaient été à l’origine des premiers articles sur le dossier américain et quand le correspondant aux Etats-Unis, qui était exactement le même correspondant qui était à l’origine du dossier américain… (Guillaume Dasquié marque un temps d’arrêt)

SJ Si cela ne vous étonne pas, plus rien ne vous étonnera…

GD C’était un problème de ressources humaines. Par manque d’expérience le rédacteur en chef a fait une traduction quasi littérale de ce qu’avait fait le correspondant américain. C’était d’abord une erreur et il a diffusé tel quel. Moi je n’étais pas à Paris à ce moment-là et je ne l’ai appris que bien plus tard.

SJ Quelle différence voyez-vous, au sujet de la caractérisation de l’acte d’espionnage, entre l’affaire américaine et l’affaire canadienne ?

GD L’affaire américaine est quand même beaucoup plus dense.

SJ En quoi est-elle plus dense, Guillaume Dasquié ? C’est précisément les mêmes arguments qui figurent dans les deux articles ?

GD Non non non non, pardon…

SJ Si si si si, j’ai reçu les rapports du service de l’immigration d’Ottawa, ils contiennent exactement les mêmes charges et les mêmes considérants que ceux de l’IMS.

GD Moi je ne les ai pas eus… Pour moi, le dossier canadien… J’ai l’impression que vous faites tout pour montrer que j’ai travaillé de façon très légère et qu’il n’existe rien de rien de rien ?

SJ En général, je pose les questions mais là, je réponds à la vôtre : Effectivement, après de nombreux mois d’enquêtes au plus haut niveau professionnel, nous avons atteint, à la Ména, la certitude absolue qu’il n’existait rien dans ces affaires-là - puisqu’elles ont la même caractérisation, je prends la liberté d’en parler ensemble, et en plus, vous m’apprenez maintenant qu’elles proviennent du même bonhomme - qui ait trait à de l’espionnage. Ce qui nous inquiète, c’est que ces articles dénotent d’une situation journalistique anormale, que l’article de Cypel n’est pas un article normal, que la réaction du reste de la presse française par rapport à cet article anormal n’est pas une réaction normale et que ces anomalies se poursuivent jusqu’à ce jour. C’est pour cela que nous ne pouvons être d’accord.

GD Je vous saisis totalement. Mais j’espère que tout ce que je vous ai dit tout à l’heure, d’abord sur mon désaccord très clair, au fond, sur le rapprochement avec le 11 septembre et sur le fait que je pense aujourd’hui qu’il y a eu un manque de prudence dans le traitement de ces informations apparaîtra dans l’interview.

SJ Manque de prudence ? Qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Quels secrets stockés au parlement canadien pouvaient-ils bien intéresser les espions israéliens, à part que la neige est blanche, que la pluie mouille et qu’il gèle à zéro degrés ?

GD L’affaire canadienne est une bêtise humaine. Si j’avais été là ce jour-là, jamais cet article n’aurait paru.

SJ A moi de confesser à mon tour une erreur de la Ména : Les documentalistes qui ont aidé Guy Senbel à fournir les éléments factuels de son article du 9 mars 2003 font état de relations que vous auriez eues avec l’EGE, l’école de guerre économique. Brièvement, de nous confirmer que ça n’était pas le cas et secondement, si c’est possible, d’expliquer d’où provient l’erreur de nos documentalistes ?

GD L’erreur de vos documentalistes repose sur ma participation à une conférence sur les questions de guerre économique. Or, cette conférence avait été sponsorisée par l’EGE. Il se trouve qu’à l’époque j’avais écrit un livre sur la guerre économique « Secrètes affaires », paru en France aux éditions Flammarion, et les organisateurs m’avaient invité à m’exprimer lors de cette conférence. Le fait que l’EGE sponsorisait cette conférence a associé mon nom à cette institution, pourtant, je tiens à préciser que l’Ecole de Guerre Economique est un endroit où l’on enseigne la désinformation et l’art de la désinformation. Rien n’est plus éloigné, dans ma formation intellectuelle, universitaire, ainsi que dans ma carrière d’éditeur et de journaliste, que les gens et les idées qui circulent dans cette école.

SJ Le lien entre l’affaire américaine et le 11 septembre est pour le moins téméraire…

GD Moi j’irais même plus loin…

SJ Bon. J’avais appelé cela une « gigantesque imposture médiatique » et je maintiens cette appellation, bien naturellement. C’est indubitablement un acte irresponsable de la part du Monde que de publier des articles de ce genre. Ensuite, promouvoir l’auteur d’un tel acte au poste de rédacteur en chef reste pour moi quelque chose d’incompréhensible.

En tous cas, il y a quelque chose que je ne saisis pas au niveau de la presse française : Il n’y a qu’un seul média, parmi des milliers de titres et des dizaines d’agences de presse, qui relève la chose et c’est la Ména. Comment expliquez-vous cela, Guillaume Dasquié ?

GD Oh là ! Hélas par une raison très simple : La… (Dasquié réfléchit) médiocrité, mélangée à la paresse, qui se trouvent si fortement représentées dans les médias européens et singulièrement dans les médias français. Vous savez, Monsieur Juffa, dans les médias français, aujourd’hui, on a pris l’habitude de parler de journalistes d’investigation, en présentant ces personnages-là comme des exceptions ; ce sont simplement des journalistes qui vérifient, mènent des contre-enquêtes et vont sur le terrain regrouper des informations. Aujourd’hui, c’est devenu une espèce en voie d’extinction dans la presse française. Je ne veux pas épiloguer là-dessus, les raisons sont connues, la presse est devenue un enjeu de pouvoir tel qu’aujourd’hui, les journalistes sont des gens qui poursuivent des carrières et non pas des idéaux.

Si je vous ai envoyé un mail, en souhaitant que nous fassions cette interview ensemble, c’est que j’ai trouvé que votre façon de répondre à mon premier message était celle d’un journaliste extrêmement professionnel et comme je vous considère comme une espèce en voie de disparition, je pense qu’il est préférable, ensemble, de s’entendre, de communiquer, d’échanger, y compris et surtout, peut-être, sur nos propres faiblesses. Je trouve ainsi que cela va dans le bon sens de nous parler franchement et de nous dire tout ce que l’on peut penser de cette affaire et de m’engager, pour l’avenir, sur ce dossier-là en particulier.

SJ En l’état actuel des connaissances, suite aux articles de la Ména et malheureusement que de la Ména, pensez vous que le Monde devrait par souci déontologique rouvrir cette affaire et y apporter des corrections certaines ?

GD Je pense que le Monde aurait à gagner à procéder aujourd’hui à une contre-enquête. Oui !

SJ Monsieur Guillaume Dasquié, il me reste à vous remercier d’avoir participé à ce dialogue.

GD C’est moi qui vous remercie, Monsieur Juffa, c’est rare de prendre part à un débat de cette intensité et de cette profondeur.



Fin.



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