Bandeau
DESINFOS.COM
Slogan du site

Depuis Septembre 2000, DESINFOS.com est libre d’accès et gratuit
pour vous donner une véritable information indépendante sur Israël

Il faut ’Raison Garder’ pour ne pas perdre la raison.
Propos recueillis par Caroll Azoulay pour guysen
Article mis en ligne le 6 mai 2010

Raphaël Draï, Pierre-André Taguieff, Michèle Tribalat, et Shmuel Trigano, professeur de sociologie politique, et directeur de la revue « Controverses » sont à l’origine de ’Raison garder’ , une déclaration se démarquant de l’appel de J Call. Les deux objectifs de cette pétition selon Shmuel Trigano étant de « de récuser une démarche dont l’aboutissement ferait d’Israël un pays sous tutelle et de contester l’idée qu’il serait le principal obstacle à la paix ». Pour Shmuel Trigano, l’appel à la raison de J Call perd tout bonnement la raison. Interview.

Guysen : Etes vous d’accord avec le fait que J Call est une sœur jumelle du mouvement américain J Street ?

Shmuel Trigano : La naissance de J Call n’est pas très claire. Est ce qu’il s’agit vraiment d’une expression européenne de J Street ? c’est une question qu’il faut se poser. Sans aucun doute J Call tente de se calquer sur le profil de l’organisme américain, en avançant que l’opinion qu’elle défend est étouffée par les institutions juives en place tout comme J Street veut se démarquer de l’AIPAC.

L’appel de J Call à Obama est aussi très significatif, de ce point de vue. Il y a en effet une convergence entre la poltique d’Obama et l’attitude dubitative de J Street vis à vis du sionisme et d’Israël. L’entourage juif d’Obama se veut une garantie morale de sa politique dure envers Israël. Des institutions dissidentes comme J Street jouent son jeu dans la communauté juive. Mais, plus vraisemblablement, il semble que J call soit tout simplement une mutation de Shalom Arshav.

« Que l’on mesure justement la surface médiatique des uns et des autres et l’on verra où se trouve le secteur de l’opinion qui n’accède pas à l’expression sur la scène médiatique ».

Guysen : J Call part du principe que seulement 10 % des Juifs de France se rattacheraient aux institutions de la communauté et que le reste ne serait donc pas représenté, d’où la nécessité de faire entendre leur voix, via J Call notamment. Vous en pensez quoi ?

Shmuel Trigano : Eh bien justement, c’est à cette majorité, silencieuse et réduite au silence, que nous souhaitons donner voix. Notre déclaration recueille ce soir 6000 signatures.

La critique de J Call a cependant quelque chose de bizarre. Aucune institution ne peut « représenter » « tous » les juifs. Celà impliquerait que cette communauté serait un ghetto car, dans une société démocratique, les Juifs ne sont pas toujours « dans » la communauté. Appartenir à la communauté est un acte volontariste, mais le reste du temps, les gens vivent dans la société et c’est tout à fait normal.

Ce que nous voulons exprimer, c’est une opinion qui, depuis le début de la seconde Intifada, a été laminée, exclue, défigurée, caricaturée. Jusqu’à ce jour, on a pu remarquer que l’entreprise de J Call a eu accès à tous les médias qui ont bien répercuté son appel. Que l’on mesure la surface médiatique des uns et des autres et l’on verra où se trouve le secteur de l’opinion qui n’accède pas à l’expression sur la scène médiatique.

Guysen : Selon vous c ’est donc les médias qui ont ’fait’ J call ?

Shmuel Trigano : Ils laissent en tout cas entendre que J Call représente l’opinion éclairée de la conscience juive.J’en veux pour preuve la façon dont l’AFP a rendu compte de notre déclaration et qui a été reprise par toute la presse. Notre pétition aurait eu pour origine un site israélien en langue française et elle serait soutenue par l’UPJF (1)

Il s’est passé quelque chose depuis la seconde Intifada. Les médias ont donné un accès exclusif à un certain type de discours juifs en laissant croire que les conceptions qui ne correspondaient pas à l’idéologie dominante émargeaient au « tribalisme », à l’« intégrisme », au « communautarisme » .

La réaction massive récoltée par ’Raison garder’ témoigne aussi d’un phénomène de ras-le-bol. Ras-le-bol que la voix juive soit accaparée par des personnalités à la représentativité limitée. Ras-le-bol que les médias ne donnent la parole qu’à une seule opinion parmi toutes les opinions juives. Ras le bol que cette opinion soit toujours accusatrice. Nous avons simplement voulu revenir dans le débat d’opinion.

« Notre pétition ’Raison garder’ montre un phénomène de ras-le-bol. »

Guysen : Mais pourquoi avoir attendu J Call pour faire entendre ce que vous définissez comme une ’voix silencieuse’ ?

Shmuel Trigano : Nous n’avions aucune idée préconçue ni aucun projet, à part ce qui transparaît dans nos travaux et actes publics à chacun séparément mais face à une nouvelle donne qui allait encore une fois brouiller les cartes de l’enjeu réel - à savoir l’acceptation par le monde arabo-musulman et les Palestiniens en premier de la légitimité d’un Etat d’Israël - nous avons voulu manifester une position à ce moment précis. L’ambiance en France est déjà très déprimante.

Guysen : C’est-à-dire ?

Shmuel Trigano : L’atmosphère est pleine d’une hostilité profonde envers Israël . Elle n’est pas dirigée vers un gouvernement mais l’existence même d’un Etat juif. Cette hostilité est diffuse de toutes parts. Il devient alors dur de défendre une perspective contraire et de survivre dans une telle atmosphère sans éprouver un sentiment d’abandon. Israël est en effet un symbole qui retentit concrètement sur l’ensemble de l’existence juive. L’antisionisme est une variante de l’antisémitisme.

Guysen : Qu’entendez vous par ’abandon’ ?

Shmuel Trigano : L’Europe a abandonné Israël. Celà peut se mesurer concrètement. Sans évoquer ses intiatives diplomatiques défavorables à Israël, elle subventionne toute une pléïade d’ONG israéliennes et palestiniennes qui font office d’accusateurs permanents sous le couvert des « droits de l’homme » .

Guysen : Vous parlez de fonds considérables versée par l’Union Européenne, vous pesez vos mots ?

Shmuel Trigano : Les subsides sont détaillés par organisation.La morale dont ces ONG se recommandent n’est pas crédible. On a inventé le concept de GONG (Organisations non gouvernementales gouvernementales), pour définir des organisations qui se cachent derrière les droits de l’homme pour mettre en oeuvre du dedans de la société visée des procédures au service de la politique des puissances en question.

Il y a là un nouveau phénomène inquiétant pour la démocratie car ces ONG ne sont ni élues, ni controlées et pourtant elles ont l’ambition d’exercer un magistère moral. Ce sont des groupes de pression au service de puissances étatiques.

Guysen : Il existe aussi des ONG pro israéliennes..

Shmuel Trigano : Heureusement mais y- en a-t-il beaucoup ? Entendez vous parler de leurs actes en faveur d’Israël ? Interviennent –elles à la Cour Suprême ?

« Le fait de prendre à témoin l’Europe et l’occident contre l’Etat d’Israël n’est-ce pas un acte violent ? »

Guysen : Ne pensez vous pas que ce qui se passe aujourd’hui avec J Call et ’Raison garder’ va ouvrir une sorte de guerre des clans, ce d’autant que la dissension s’exprime à travers des pétitions ce qui pourrait entrainer des conséquences pour les signataires de chacun des deux appels ?

Shmuel Trigano : C’est une question qu’il faut poser aux concepteurs de J Call. Est-ce que le fait de défendre une opinion différente de la sienne représenterait une violence ? Cette scission, elle existe déjà.

J’ai écrit, il y a quelques mois et au vu de tout ce qui se passait, un blog sur ’ la guerre des Juifs’ (3). Lisez un journal très favorable à J Call comme Haaretz et vous prendrez la mesure de cette guerre.

Le fait de prendre à témoin l’Europe contre l’Etat d’Israël, ou contre une opinion divergente d’une position qui se croit incarner à elle seule la morale, la raison et l’honneur, n’est-ce pas un acte violent ?

Le fait de demander à des puissances tierces de faire pression sur l’autre partie de la société israélienne avec laquelle on n’est pas d’accord, n’est-ce pas un acte violent ? Et c’est justement cela que nous dénonçons. Il ne faudrait pas que ceux qui récusent cette scission soient accusés d’en être les responsables.

Guysen : N’est-ce pas l’unité du peuple juif qui est ici en danger ?


Shmuel Trigano : L’unité du peuple juif est un projet vers lequel nous tendons toujours mais le peuple juif est aussi une société qui comporte des courants d’opinions et des intérêts contradictoires. Il faut assumer cette réalité politique et démocratique. Pourquoi le peuple juif échapperait-il à cette dimension qui est celle de toute société ? Dans un parlement, il y a des partis concurrents.

Je pense au contraire que l’opinion que nous défendons est restée très longtemps silencieuse et sur la réserve, comme accablée par ce courant venu de ’l’autre côté’. Depuis les années 2000 lisez ce que tout un courant intellectuel a dit et écrit sur d’autres juifs.

Le fait que ce discours prenne à témoin l’univers matérialise la dissension courante dans le monde juif actuel, des versions différentes de l’être juif sont en lice. Ce qui est clair c’est qu’il n’est plus possible de laisser ces discours sans réponse.

Guysen : J Call a été inaugurée au Parlement européen, peut-on imaginer que ’Raison garder’ puisse aussi être inaugurée au même endroit ?

Shmuel Trigano : Nous n’avons pas le parrainage de Daniel Cohn Bendit et donc pas les mêmes entrées… mais le fait d’inaugurer ce mouvement au parlement européen illustre parfaitement ce que je viens de dire. Un bâtiment, de plus, n’a jamais fait la légitimité d’une opinion...

Guysen : Etes vous satisfait par le fait que de nombreuses institutions juives françaises vous ont emboité le pas ?

Shmuel Trigano : C’est évident, et j’appelle le plus grand nombre à nous rejoindre mais je tiens à le signaler : notre pétition est une initiative indépendante qui n’est motivée par aucune institution ni aucun pouvoir. Ce qui ne semble pas être le cas de J Call.

Je rappelle aussi qu’elle est ouverte aux non Juifs. Il est évident aujourd’hui que se prononcer sur Israël, c’est se prononcer sur un symbole qui draîne énormément d’autres questions, générales

« Ce que je conteste c’est cet excès propre à l’ambition d’incarner l’honneur, la morale et la raison en ne respectant pas la légitimité des avis divergents ».

Guysen : La présence de Bernard Henry Levy, et d’Alain Finkielkraut dans J Call vous a-t-elle surpris ?

Shmuel Trigano : Chacun est libre de penser ce qu’il veut. Les signataires de J Call comprennent des gens éminents et respectables et aucun de nous n’est animé par des inimitiés personnelles. Je suis un démocrate et je respecte l’opinion des signataires de J Call.

Ce que je conteste c’est cet excès propre à l’ambition d’incarner l’honneur, la morale et la raison en ne respectant pas la légitimité des avis divergents. La vision de J Street et de J Call fait partie de l’arc démocratique du monde juif. Par contre je ne suis pas sûr que ses concepteurs accepteraient que notre vision en fasse également partie . C’est là le problème. La démocratie, c’est toujours pour les mêmes et pas pour les autres...

Guysen : Dans l’appel de J Call et les différents articles afférents, on perçoit que c’est surtout le gouvernement israélien actuel qui est mis sur le banc des accusés et non pas Israël…

Shmuel Trigano : Il est évident que le gouvernement israélien peut faire des erreurs. La vie politique israélienne en est un écho puissant. C’est le critère du jugement de cette politique qui est discriminatoire car les « juges » en question ne l’appliquent qu’à Israël. Ils seraient crédibles s’ils condamnaient aussi les extraordinaires fautes des Palestiniens eux mêmes ou telle ou telle politique répréhensible d’autres gouvernements. Et quelle terrible amnésie ! Quelle propension à prendre le parti du camp hostile !

Toute cette mouvance assume une grave responsabilité historique en ayant entraîné le monde juif dans l’impasse actuelle : les accords d’Oslo ont conduit à un terrorisme sanguinaire, le retrait du Liban a conduit au Hezbollah, le retrait de Gaza a conduit au Hamas, cela ne suffit-il pas ? Nous passons un seuil maintenant avec les demandes qui psèsent sur Israël.

Pour quelle catastrophe à venir ? L’illusion est de croire que la faute est uniquement du côté d’Israël, qui, s’il se réformait, serait enfin accueilli dans la famille des nations. J’invite ceux qui ont de telles idées à relire 20 siècles d’histoire. L’hostilité envers les Juifs n’est pas uniquement motivée par les erreurs des Juifs...

Enfin ce concept de paix imposée contribue a saper les bases du sionisme dont le principe fondamental est l’existence d’une souveraineté du peuple juif dans son propre Etat.

Guysen : Pourquoi avoir choisi ’Raison garder’ comme titre de votre pétition ?

Shmuel Trigano : Pour répondre à un ’appel à la raison’ qui perd la raison. Raison garder c’est prendre en considération les faits environnants : le bellicisme palestinien, l’opposition du monde arabo-musulman à l’existence d’un Etat juif, la résurgence de l’antisémitisme, la mystification du rapport Golstone et tout un ensemble de faits documentés que nous pouvons démontrer par des milliers de déclarations, de citations et de faits historiques et politiques.

C’est ça la raison. Elle s’arc-boute sur la réalité et pas la mystique. La mystique de la paix ne peut que conduire à la guerre.



[1] « JSSNews.com, un webzine d’opinion israélien ayant pour langue principale le français, a lancé une campagne baptisée « Raison garder » pour « contrer J Call », relayée par l’Union des patrons et des professionnels juifs de France » (Dépêche AFP | 28.04.10 | 13h14).

[2] www.ngo-monitor.org

[3] Le 2 octobre 2009. http://www.controverses.fr/blog/blo...


Texte de la pétition ’Raison Garder’
[>http://www.dialexis.org/php/index.php]



Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 4.5.87
Hébergeur : OVH