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Liberté et identité. Entretien exclusif avec le Président de l’Agence Juive et ancien dissident soviétique Natan Sharansky
Par David Brinn - Jerusalem Post | Adaptation française de Sentinelle 5770
Article mis en ligne le 5 avril 2010

Face au bureau du Président de l’Agence Juive Natan Sharansky, à l’entrée de la salle de conférence de l’organisation, à son siège dans la Jérusalem profonde, il y a deux portraits de grande dimension – l’un figurant le père du sionisme moderne, Théodore Herzl, et l’autre le premier Président de l’Etat d’Israël, Chaïm Weizmann. Mais celle que Sharansky voit de son fauteuil derrière son bureau bien rangé, qu’il occupe depuis sa nomination à la présidence de l’Agence en juin dernier par Zeev Bielski, c’est une photo d’Andreï Sakharov, le dernier fondateur du mouvement des droits de l’homme et dissident en Union Soviétique.

Ces trois figures ont joué un rôle éminent pour façonner la personnalité de Sharansky et faire monter en flèche le jeune spécialiste en ordinateur russe vers le prodige sur la photo dans la lutte pour la communauté juive soviétique et sa victoire finale sur les puissances obscures des autorités soviétiques, Herzl et Weizmann représentant la quête d’un Etat juif – réalisation ultime de l’identité juive – et le mentor de Sharansky représentant la lutta pour la liberté.

Et c’est la même base solide que Sharansky, âgé de 62 ans, a portée avec lui à l’agence Juive, le plus récent ancrage de l’immigrant célébré qui est devenu en Israël un héros instantané en 1986, et qui poursuivit en créant son propre Parti politique, ‘Yisrael Ba’aliya’, puis servit comme ministre dans trois gouvernements.

Mais c’est ici, comme LE responsable de la relation d’Israël avec le monde juif, que Sharansky se trouve en définitive le plus à son aise – et le plus concentré.

« J’ai fait le choix de quitter le gouvernement, et de venir ici », dit Sharansky, affable, dans une conversation avec le ‘Jerusalem Post’ avant Pessah’.

« Je sens qu’ici se situe une poursuite très logique des sujets dont j’ai traités tout au long de la vie – l’identité juive, et la liaison entre les luttes pour nos intérêts et comment faire du monde un lieu meilleur. Je sens qu’ici, je peux mieux influer sur le cours de l’histoire juive ».

Lors d’une réunion du bureau des gouverneurs de l’Agence Juive à Jérusalem en février, Sharansky ébouriffa quelques plumes quand il dit : « Faire venir plus de Juifs en Israël ne peut être notre seul objectif ». Avant l’Aliya doit se poser une forte identité juive, et avec une résolution inébranlable, Sharansky chercha à déterminer comment invoquer et renforcer au mieux un sens à l’identité juive là où elle était dormante.

C’est un travail austère, mais Sharansky a été confronté à des obstacles bien plus durs. En étant assis à côté de lui, il est facile d’oublier que ce personnage à la forte carrure, aux manières douces, habillé simplement, a enduré les sévères rudesses d’une prison soviétique pour des accusations mensongères de trahison et d’espionnage pendant huit ans, jusqu’à ce qu’une campagne internationale menée par sa femme, Avital, culminant en 1986, parvînt à sa libération. Il arriva en Israël dans la même nuit.

Dans sa dernière déclaration devant la cour en 1978 avant son emprisonnement, Sharansky conclut son appel par ces mots : « Pendant plus de 2000 ans, le Peuple juif, mon Peuple, a été dispersé. Mais où qu’ils fussent, partout où se trouvent des Juifs, chaque année ils ont répété : « L’an prochain à Jérusalem ». Aujourd’hui, alors que je suis plus loin que jamais de mon Peuple, par l’intermédiaire d’Avital, face à de nombreuses années d’emprisonnement rigoureux, je dis, me tournant vers mon Peuple, mon Avital : « l’an prochain à Jérusalem ».

Qui mieux que lui – en cette fête de la liberté – peut mettre en perspective les concepts de Nation et d’Identité que celui qui en notre génération, fut capable de dire : « Cette année nous sommes des esclaves, l’an prochain nous serons des hommes libres » et l’a fait advenir dans la réalité ?

Il y a cent ans existait une communauté juive unifiée communément reconnue dans le monde. Pensez-vous que cela est toujours vrai aujourd’hui ?

Je ne suis pas certain qu’il y eût jamais un Peuple juif commun unifié. Cela peut apparaître ainsi en le regardant en arrière. Il y a cent ans, Théodore Herzl découvrait pour lui-même l’idée de communauté juive. En découvrant la nécessité du sionisme et le besoin de sauver des Juifs, il découvrit l’idée du sionisme. C’était un Juif assimilé ; il ne se ressentait pas lui-même appartenir à une communauté juive.

Je crois que l’idée de communauté juive a signifié différentes choses pour des Juifs divers. A ce moment-là, en Russie, il y avait des luttes importantes entre les premiers Sionistes et les Bundistes (Juifs socialistes laïques), et ils avaient tous une compréhension différente de ce qu’était la communauté juive.

La communauté juive américaine percevait que la Palestine ne les concernait pas, ni leur identité juive. Dans mon dernier livre « Défense de l’identité : son rôle indispensable dans la défense de la démocratie  », j’ai inclus un texte du programme de Pittsburgh (le document essentiel du 19ème siècle sur l’histoire du Mouvement Juif Réformateur Américain adopté en 1885), et comment la terminologie du Mouvement de la Réforme se transforma au cours des années. Vous pouvez mesurer comment les principes mêmes de l’identité juive changeaient – de citoyens américains de confession juive ne voulant pas mettre en avant des idéaux sionistes, à des Juifs fidèles aux principes américains de démocratie pour laquelle Israël est la base de leur identité.

Deux choses se produisirent lors de l’exode des Juifs d’Egypte – les gens qui étaient des esclaves devinrent libres, et ils devinrent un Peuple. Cette liaison entre l’identité et la liberté – qui est bien sûr mon intérêt spécifique depuis les vingt dernières années – fut exprimée aussi profondément et significativement dans l’Exode d’Egypte.

En fait, jusqu’à ce jour, si vous observez historiquement sur quelle base des gens revenaient à la communauté juive ou la quittaient, tout le débat se situait sur l’existence d’une liaison entre liberté et identité – si quelqu’un pouvait vivre avec les grands idéaux universels juifs d’égalité, de justice, de ‘tikkun olam’ (1).

Je crois, exactement comme si nous étions à l’époque de l’Exode biblique, que les mêmes conflits étaient évidents en Union Soviétique dans les années 1970 – la profonde liaison entre la lutte pour la liberté et l’identité. Et cela reste vrai aujourd’hui.

L’enseignement sur l’identité juive ne diffère-t-il pas selon le pays où vous en parlez – qu’il s’agisse des USA, de la France, de la Russie, ou même d’Israël ?

Oui. Dans différents pays, la manière dont les Juifs perçoivent le point où ils en sont est très différente. En Russie, c’était une assimilation absolue, forcée. Par conséquent, la façon de revenir en arrière est de la relier à une connaissance basique du judaïsme.

D’un autre côté en Amérique, la meilleure façon de nourrir leur identité juive, ce sont des programmes comme ‘Birthright’ ou ‘Masa’ ou ‘Lapid’ (les programmes d’études en Israël au lycée et à l’Université), ou tout autre type d’expérience en Israël.

En France, c’est en renforçant le système d’éducation juive sioniste, etc…

Mais ce qui est important et fonctionne dans toute communauté, c’est que le renforcement de l’identité juive est pratiquement impossible sans placer Israël au centre.

Et sans aucun doute, il y a grand besoin de le renforcer l’identité juive en Israël. Il est intéressant que des Israéliens impliqués dans ‘Partenariat 2000’ – le programme mené par l’Agence juive dans lequel des communautés de l’étranger, surtout en Amérique, partenaires de communautés israéliennes – découvrent pour eux-mêmes, pour la première fois, leur dimension juive restée dormante depuis longtemps. Ils ne soupçonnaient même pas qu’elle existât ; et y figurent les chefs des programmes.

Ils croyaient qu’être Israélien se situe au-dessus de l’être juif. Un juif était quelque chose que nous étions pendant des milliers d’années ; désormais nous sommes Israéliens. Nous avons construit l’Etat juif, nous avons défendu l’Etat juif, nous parlons l’hébreu, nous vivons ici – vous ne pouvez pas être plus juif que cela. Mais ils ont découvert ce que veut dire communauté juive.

C’est l’un des défis et une part du nouveau plan stratégique de l’Agence juive que de développer des cours pour des écoles israéliennes en diaspora juive. C’est une très haute priorité, nous avons aujourd’hui de très bons partenaires au ministère de l’éducation, avec le ministre Gidéon Sa’ar et le directeur général Shimshon Shoshani.

Nous discutions aussi les prochaines étapes, après des programmes comme ‘Masa’ et ‘Birthright’, en mettant ensemble des groupes associés d’Israéliens et de Juifs de Diaspora, qui renforceront par une expérience en commun leur identité mutuelle.

Quelles sont les priorités qui changent à l’Agence Juive – S’éloignent-elles de l’Aliya ? En même temps, il y a eu des changements majeurs dans le personnel dirigeant et des positions clés occupées par des gens choisis par vous. Où va l’Agence aujourd’hui ?

Nous sommes en train de tenir des réunions stratégiques pour discuter de ce que doivent être les priorités de l’Agence Juive – avec les 120 membres du conseil des gouverneurs. En juin, à l’assemblée, des propositions seront mises sur la table et espérons-le, approuvées, et en octobre, pour notre prochaine réunion, le budget sera approuvé ; et d’ici 2011, nous mettrons en oeuvre nos nouvelles priorités.

Bien sûr, nous sommes dédiés à l’Aliya, de même que nous sommes dédiés à l’éducation et à la démocratie. Ce que vous pourriez appeler « une Aliya par choix » dépend totalement du renforcement de l’identité juive.

C’est un défi pour les Juifs de Diaspora confrontés à l’assimilation, et pour les Israéliens entraînés dans une lutte pour la légitimité de l’existence de l’Etat juif, mais la clé de tout cela est de développer, d’élargir, de renforcer et de défendre ce sentiment d’appartenance à la famille juive. Ce sont les bases autour desquelles nous avons toutes nos discussions – ce que cela signifie en termes de progrès pratique ; comment traduire ces idées générales en programmes et en budgets.

Je rejette la notion de l’éloignement de l’Agence de l’Aliya. L’Aliya est la plus haute expression du renforcement de l’identité juive. Le but de l’Aliya et du rassemblement des exilés est toujours présent. Mais ce que je dis est que le cœur de cible se déplace de s’échapper de pays ennemis ou de tentatives de sauver des centaines ou des milliers de Juifs vers une Aliya de choix.

J’intervenais il y a quelques jours devant un groupe d’Américains, tous religieux, qui ont fait leur Aliya l’année dernière. Ils m’ont demandé comment se fait-il que vous, qui avez accompli une Aliya aussi difficile et combattu pour venir aussi longtemps, déplaciez votre cible de l’Aliya vers l’identité juive.

Je leur répondis : « Vous savez que Kaddosh Barouh’ Hou (D.ieu) a ordonné - ‘lech lecha [Va] ». S’il y a des Juifs qui ne veulent pas entendre la voix de D.ieu, pensez-vous qu’ils entendront un Sheliah’ (envoyé) de l’Agence juive leur disant de faire l’Aliya ?

Il est impossible d’obliger nos envoyés à concurrencer D.ieu et d’essayer de crier même plus fort que Lui pour faire entendre le message. Vous ne pouvez pas parler plus fort que D.ieu.

Ainsi ce que nous devons faire, c’est d’aider les Juifs à entendre la voix de D.ieu. Et comment le faisons-nous ? En renforçant leur sentiment d’appartenance juive, de fierté et de tradition juives, et leur attachement à Israël. Voilà notre fonction. Notre fonction n’est pas de leur imposer ce que D.ieu ne parvient pas à imposer, mais de leur faire entendre la voix.

Que pouvez-vous nous dire des Juifs dans la détresse dans certains pays du monde ?

Chaque Juif ramené du Yémen le doit à une grande coopération de la communauté juive dans le monde. Je ne veux fermer aucune porte en mentionnant quelques autres pays. Nous devons être très prudents. Nous observons les situations là où nous essayons de prévoir pour tout Juif qui pourrait se trouver en danger. Nous faisons de grands efforts pour être sûrs de ne pas être en retard.

Les Juifs iraniens pourraient bien être dans le lieu le plus dur maintenant. Si j’étais l’un d’eux, je penserais très sérieusement à la raison pour laquelle j’y suis encore. Je ne veux pas mentionner d’autres pays parce cela rend plus difficile d’y aider ces Juifs.

Une part essentielle du travail de l’Agence Juive est comme celle de l’Armée - être prêt, même s’il n’y a pas de guerre. Nous devons être prêts à sauver des Juifs, même si ces Juifs ne pensent même pas à se sauver eux-mêmes. Il y a des dépenses pour sauver et des dépenses pour être prêts à sauver. Beaucoup d’efforts ne sont pas connus du public.

Quel type de message aimeriez-vous délivrer aux lecteurs du ‘Post’ pour Pessah’ ?

Nous augmentons de façon énorme notre rôle dans les campus et universités américaines. Les gens peuvent dire : « Pourquoi dépensez-vous tant d’efforts et d’argent là-bas ? J’ai découvert il y a de nombreuses années que c’est un champ de bataille majeur où le Peuple juif se définit. Et on en revient là où j’ai commencé.

Le défi pour les Juifs depuis des milliers d’années était comment lier votre désir de liberté et ceux des idées universelles de justice avec votre judéïté et votre loyauté à votre tribu. D’habitude, quand des Juifs sont convaincus qu’ils doivent choisir ceci ou cela, ils choisissent toujours les voies universelles.

Quand j’étais porte-parole du groupe de Surveillance Moscou-Helsinki en Union Soviétique, avec Sakharov, il y avait de gens qui disaient « vous ne pouvez appartenir aux deux – vous devez choisir ». Je sentais très fortement que je ne veux pas choisir ; je ne peux pas choisir. Parce que toute la force pour combattre pour la liberté provient de mon identité juive. Sans elle, il n’y a aucun sens à se battre pour ceci ou cela.

Aujourd’hui, la bataille qui a lieu sur les campus est l’une de celles où nos ennemis essaient de convaincre les étudiants juifs que pour appartenir à un monde de justice et de liberté, vous devez vous désengager d’Israël et de votre propre identité. Ces attaques, ces doubles standards et cette calomnie ont pour conséquence le fait que beaucoup de jeunes Juifs ne veulent rien avoir à faire avec leur identité juive.

Dans notre histoire, que l’on parle d’il y a 2.000 ans, ou du combat de la communauté juive soviétique, ou bien là où nous en sommes aujourd’hui, vous retrouvez cela encore et encore. C’est quelque chose que nous devons soumettre à tout jeune Juif. Si vous voulez appartenir au monde de la liberté et de justice et de ’tikkun olam’, votre identité est votre source de force pour combattre pour cela – votre identité, fondée sur votre histoire, vos traditions et bien sûr votre lien avec Israël.

Quelque chose dans le Seder de Pessah’ vous soutenait-il en prison ?

Je me souviens du premier Seder de ma vie, quand j’avais 25 ans. C’était à Moscou avec Avital, qui devint ma femme quelques mois après.

Nous étions dans un grand groupe d’étudiants apprenant l’hébreu. Nous avions trois enseignants qui amenaient là leurs élèves. Aucun des enseignants ne pouvait lire toute la Haggada (2), aussi chacun d’eux en lut un tiers.

Nous avons appris quelques chansons, comme ‘Dayenou’, et je me souviens que la phrase du Seder : « Cette année nous sommes des esclaves, mais l’an prochain nous serons des hommes libres » était très émouvante pour nous.

Quelques années plus tard, j’étais au ‘mitard’ pendant une nuit de Pessah’, et je me sentais seul. Je décidai qu’avec du pain, du sel et de l’eau chaude, j’aurais mon propre Seder. Il n’y avait rien d’autre – le sel était mon ‘maror’ (herbes amères) et l’eau chaude le ‘Harosset’(3). J’essayais de répéter la Haggada, mais je ne pouvais pas m’en rappeler la plus grande part. Mais cette seule phrase : « Cette année nous sommes des esclaves, l’an prochain nous serons des hommes libres » me suffisait.

Et je rappelais la ligne : « A chaque génération, chaque individu doit se sentir comme si il ou elle était vraiment sorti d’Egypte ». Il était si facile de sentir cela si vrai – que je suis l’un de ceux dans cette génération qui maintient cette flamme de liberté. Il était facile de vous sentir vous-même partie prenante de ce grand combat historique, et cela me donna beaucoup de force.


Notes du traducteur :

(1) ’tikkun olam’ : mission juive de « réparation du monde ».

(2) Haggada de Pessah’ : récit de la sortie d’Egypte sous la conduite de Moïse, lu par l’ensemble des personnes assistant au ‘Seder’, repas traditionnel de Pessah’, qui inaugure la fête de la libération du Peuple juif d’Egypte ; fête pendant laquelle on mange du pain azyme, sans levain (Matsot)

(3) Harosset : mélange de pommes et de noix écrasées simulant la fabrication de briques par les esclaves



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