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Le droit au « retour des palestiniens » ou le suicide politique d’Israël
Frédéric Encel, Docteur en géopolitique, enseignant à IIEP de Rennes*
Article mis en ligne le 22 janvier 2001
dernière modification le 22 juillet 2003

En même temps que l’épineuse question des réfugiés palestiniens, se pose celle de la raison d’être de l’Etat hébreu.
En effet, l’applicatioin intégrale du droit au retour porterait la population arabe israélienne à égalité avec la population juive.

0n pensait le statut de Jérusalem incarner le fossé absolu entre revendication israélienne et palestinienne. Jusqu’au sommet de Camp David Il (juillet 2000), en effet, tous les gouvernement israéliens avaient fait de l’indivisibilité de la cité sous souveraineté juive une « ligne rouge » absolue ; elle fut finalement transgressée, même si aucune solution n’est à ce jour trouvée quant au partage de souveraineté sur la Ville sainte. Or, le déroulement chaotique des dernières séances de négociations de Camp David IL puis de celles consacrées au plan Clinton (décembre 2000), a démontré que la question des réfugiés palestiniens de 1948 était au fond plus épineuse encore que celle du statut de Jérusalem, paraissant même pour l’heure insoluble. Car, sur ce dossier, la ligne rouge d’Israël semble plus rouge que sur toutes les autres questions en suspens..

En premier les Israéliens considèrent, à juste titre, que l’immigration sur leur ter ritoire national stricto sensu - autrement dit au sein du « petit Israël » internationalement reconnu dans ses frontières de 1949 - de plusieurs millions de Palestiniens constituerait un suicide démographique. Force est de reconnaître que si l’on prend pour base la revendication officielle de l’Autorité palestinienne, soit 3,7 millions de réfugiés et descendants, cela retiendrait à annihiler le caractère majoritairement juif de l’Etat d’Israël. L’application intégrale de ce « droit au retour » porterait en effet la population arabe israélienne de 1,2 million actuellement à presque 5 millions, soit à égalité quasi parfaite avec la population juive. Quelques années d’écart de fécondité suffirait alors à faire de l’Etat hébreu un Etat à majorité arabe, à mettre ainsi un terme à la réalité sioniste Israël et, en réalité. à sa raison d’être fondamentale.

En second lien, au-delà des chiffres, demeurent les principes au moins aussi problématiques. Ainsi, face au refus catégorique et sans faille prévisible de la part du gouvernement pourtant très « colombe » d’Ehoud Barak d’accueillir plusieurs millions de réfugiés sur le sol national, de hautes personnalités palestiniennes ont reconnu, à plusieurs reprises, que la revendication de l’effectivité du retour pourrait se négocier, à condition toutefois que les Palestiniens obtiennent au moins la reconnaissance officielle par Israël du principe du droit authentique au retour, et non 1’imrnigration d’un contingent limité pour des motifs humanitaires, comme l’a récemment proposé le Premier ministre israélien Ehoud Barak. En clair, Israël devrait reconnaître sa pleine et exclusive responsabilité dans le nakba (la catastrophe) de 1948. matérialisé par l’exode.

Or aux yeux des juifs israéliens, dans leur quasi-unanimité. céder à cette exigence correspondrait à un autre type de suicide. non plus démographique, mais moral. Il s’agirait d’endosser la responsabilité de l’expulsion massive d’un peuple, et, partant, d’autodélégitimer le sionisme perçu comme un mouvement progressiste, de libération nationale pour le peuple juif et sûrement pas comme un instrument d’oppression. A triple titre, nul ne souscrit donc, ni à droite ni à gauche de l’échiquier politique, à un tel mea-culpa plus ou moins direct.

Les juifs israéliens ne reconnaissent pas leur responsabilité dans l’exode de 1948 en soi. Même les nouveaux historiens à la plume acérée, tel que Benni Morris, grands casseurs du mythe de la pureté des armes, ne relèvent « que » des exactions et des expulsions ponctuelles, limitées dans l’espace et dans le temps, parfois même contraires aux ordres du leader Ben Gourion, et en aucun cas une expulsion à grande échelle et/ou soigneusement organisée. Au contraire, dans les livres scolaires notamment, l’accent est mis sur la volonté qui fut celle de nombreux notables et citoyens juifs de préserver la cexistence judéo-arabe (notamment à Haïfa), tandis que progressait l’invasion de l’Etat hébreu naissant par les Etats arabes lirnitrophes. Du reste, les dirigeants arabes coalisés n’appelèrent-ils pas les Arabes de Palestine à quitter leur foyer en attendant la victoire assurée ?

Davantage encore peut-être que l’inextricable problème de la souveraineté sur le mont du Temple-esplanade des Mosquées de Jérusalem, la question des réfugiés palestiniens de 1948 renforce le caractère existentiel du conflit. Car il ne s’agit plus seulement de symbole, de frontière ou de fierté, mais bien, de part et d’autre, de construction nationale par la légitimation d’une génèse politique. N’en déplaise aux belles àmes, pour cette raison au moins, il est peu probable - en dépit des pluies de dollars promises par le parrain américain - que se brise à court ou à moyen terme cette quadrature du cercle.

  • Derniers ouvrages parus : le Moyen-Orient entre guerre et pÉx, Flammarion, 1999 ; Géopolitique de Jérusalem, Flammarion, 2000.


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