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Les nageurs à sec
David Ouellette
Article mis en ligne le 10 avril 2004

Il aura donc fallu que la bibliothèque d’une école juive de Montréal soit incendiée en pleine nuit pour que le Québec prenne acte de la vague de vandalisme antisémite qui a récemment déferlé sur Toronto et des 108 incidents antisémites consignés au Québec en 2003.

Les responsables politiques et communautaires ont dénoncé l’ « acte haineux » en chœur, les professionnels de l’anti-racisme ont appelé à « la réaffirmation de nos valeurs démocratiques », tandis que les militants pro-palestiniens, comme un disque brisé, serinent inlassablement qu’ils ont pour adversaires les sionistes et non les Juifs du Québec. Bref, le Québec a pieusement dit son « plus jamais ça » de circonstance, les apparences sont sauvées.

Or bien que la police n’ait toujours pas dévoilé les pistes de son enquête, les médias québécois, tout comme certains porte-parole juifs, ont d’ores et déjà conclu que l’incendie a été commis par des Arabes souhaitant importer « un conflit lointain ». Les médias auraient-ils enfin accusé réception du message véhiculé depuis Durban par nombre d’organisations juives canadiennes et internationales à l’effet que la diabolisation médiatique de l’État d’Israël a des répercussions violentes sur l’ensemble des Juifs ? Loin s’en faut.

Car c’est précisément parce que les journalistes sont conscients que la démonisation d’Israël contribue à la dissémination de ressentiments antijuifs, qu’aujourd’hui les animateurs de radio et de télévision s’évertuent « à dissocier la communauté juive des politiques d’Ariel Sharon » pour mieux donner vent à leur indignation des « justes » devant la misère des Palestiniens et surtout plus librement cautionner l’opprobre dont ils couvrent l’État des Juifs. Ainsi, les mêmes journalistes qui soupçonnaient à tort l’automne dernier la communauté juive de détourner des fonds recueillis conjointement par des organismes caritatifs juifs et québécois vers l’armée israélienne, « affranchissent » aujourd’hui la communauté juive de ses alliances douteuses et de toute responsabilité pour la souffrance palestinienne. La démonisation d’Israël, soit, mais pas au prix de notre paix sociale, semblent-ils s’être dit.

Reste qu’il est consternant de voir l’establishment juif s’abstenir de gratter le vernis des paroles de circonstances pour laisser transparaître au grand jour le puissant consensus québécois sur la nature criminelle d’Israël. Pour l’establishment, il vaut mieux capitaliser sur la soudaine sympathie publique envers les Juifs, du reste tellement rare au Québec, qu’offusquer ces nouveaux amis venus exprimer leurs sympathies.

La B’nai Brith elle-même, d’habitude farouchement likoudnik, fait écho aux journalistes et tente de redessiner les contours d’une communauté juive détachée d’Israël alors qu’elle est pourtant unie institutionnellement par sa solidarité avec l’État d’Israël. La communauté juive montréalaise, selon le porte-parole de la B’nai Brith, M. Joseph Ben-Ami, ne devrait pas plus être identifiée à Israël que ne l’est la communauté noire au Zimbabwe. Aussi ne faut-il pas s’étonner outre mesure de voir des militants antisionistes tels que le professeur Yakov Rabkin peiner à contenir leur joie devant ce revirement tactique de la B’nai Brith et se réjouir de ce qu’elle ait « vu la lumière ».

À la lueur de l’incendie d’une école juive, la communauté juive aurait dû revendiquer haut et fort sa solidarité avec Israël et rappeler à ses concitoyens que cette solidarité est légitime et ne devrait pas entraîner de représailles. Mieux, elle aurait pu rappeler à ses concitoyens que sa solidarité avec Israël ne relève pas du réflexe identitaire, mais d’une position de principe qui ne lui est pas exclusive. Or à vouloir ménager le chou de la faveur publique et la chèvre de son engagement envers Israël, l’establishment juif semble rendre conditionnel son appui à la seule démocratie du Moyen-Orient : le soutien à Israël, soit, mais pas au prix de notre confort, semble-t-on soudainement entendre. La langue allemande possède un mot charmant pour décrire l’ambigüité de la B’nai Brith : Trockenschwimmer, les nageurs à sec.



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