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Barack Obama et le casse-tête iranien
Par Bernard Guetta | Libération
Article mis en ligne le 18 février 2009

« Commençons par Mohammad Khatami », m’avait-il dit aussitôt. Je venais de demander à cette figure de la révolution iranienne, exilée en Europe, si l’ex-président réformateur pouvait remporter la présidentielle de juin et pourquoi Mahmoud Ahmadinejad, l’actuel président, avait si vite accepté les ouvertures de Barack Obama.

« Les deux choses sont liées », avait-il répondu. C’est parce que la candidature de Khatami le menace qu’Ahmadinejad arrondit les angles, sur tous les dossiers.

Un rappel, d’abord. De loin, la République islamique paraît aussi uniforme que le voile imposé à ses femmes. De près, c’est un pays à la vie politique intense, un pays double, théocratique et démocratique, où la confiscation du pouvoir par les mollahs n’empêche ni leurs divisions de s’étaler sur la place publique, ni des élections de peser sur le cours des choses car, aussi étroitement contrôlées qu’elles soient par le régime, leurs résultats sont peu truqués.

Il y a deux pouvoirs en Iran, celui des citoyens qui élisent Président et députés, et celui de la hiérarchie religieuse dont les instances coiffent les institutions républicaines. Guide suprême en tête, ce second pouvoir est le vrai. Les forces armées, la justice et la télévision lui sont subordonnées. Sans son aval, personne ne peut briguer une fonction élective mais, dans l’établissement des listes de candidats, le Guide, Ali Khamenei, ne peut pas plus ignorer l’état de l’opinion que les rapports de force au sein du clergé et les deux, disait ce connaisseur des arcanes iraniens, sont devenus défavorables au président sortant.

Les promesses électorales d’Ahmadinejad se sont, de fait, retournées contre lui. Pour « apporter l’argent du pétrole » à la table des plus pauvres, comme il s’y était engagé il y a quatre ans, il a tordu le bras à la Banque centrale et a multiplié les subsides aux laissés-pour-compte, mais a si bien lâché, aussi, les rênes de l’inflation que même le prix des légumes en est devenu inabordable. L’effondrement des cours du pétrole et les sanctions internationales provoquées par la course à l’arme nucléaire ont fait le reste. Ils ont achevé, ensemble, de vider les caisses de l’Etat. L’économie iranienne est en ruine et, non seulement la popularité du président sortant s’est écroulée au bas de l’échelle sociale mais les élites, celles du régime et de la société, ne voient plus en lui qu’un irresponsable, qu’un incapable dont il faut se débarrasser.

Ce consensus menace tant la réélection d’Ahmadinejad que le Guide, après l’avoir aidé à se faire élire pour barrer la route aux réformateurs et aux plus réalistes des conservateurs, a voulu voler à son secours en barrant la route à toute autre candidature conservatrice. Il y est parvenu mais il n’a fait, par là, qu’ouvrir la voie à Khatami parce que beaucoup des religieux les plus influents se sont rabattus sur lui et qu’il fallait bien qu’il y ait plusieurs vrais candidats en lice.

Par crainte de se laisser déborder dans son propre camp, le Guide a remis en selle cet homme qu’il avait systématiquement contrecarré durant ses deux mandats, qui avait, en conséquence, déçu les espoirs de réformes et dont la volonté de changement avait, parallèlement, inquiété le clergé. A Téhéran, peu de gens auraient parié sur Khatami mais, en en faisant le seul opposant crédible à son poulain, le Guide l’a rendu tellement incontournable qu’il n’a pas pu l’empêcher de se présenter.

La partie n’est pas gagnée pour l’ancien président. La télévision fera tout pour le faire échouer. Les milices du régime ne reculeront devant rien pour assurer sa défaite. Le quotidien des conservateurs les plus rabiques, Kayhan, vient de lui donner un avant-goût de ce qui l’attendait en lui promettant « un destin à la Benazir Bhutto » mais il a son nom, une image, des appuis qui ne se limitent plus aux cercles réformateurs - tant d’atouts, en un mot, qu ’Ahmadinejad doit reconquérir, au plus vite, les conservateurs modérés pour ressouder son camp derrière lui.

Il s’y est attelé sans attendre. Il a accepté, pour cela, de présenter un projet de budget qui ne table plus sur une remontée des cours du pétrole mais sur leur niveau actuel. C’est la raison pour laquelle, surtout, il s’est soudain dit « prêt », il y a une semaine, à ouvrir des pourparlers avec les Etats-Unis - avec ce successeur de George W. Bush qui a fait naître, chez les Iraniens, l’espoir d’un compromis permettant à leur pays de se sortir des sanctions.

« L’effet Obama » est formidable à Téhéran. Il y a modifié le paysage politique, non seulement dans la population mais aussi dans les milieux dirigeants qui considèrent qu’il faut saisir cette main tendue ou, au moins, que les Iraniens ne comprendraient pas que le régime ne le fasse pas. Le bouleversement de la donne est tel que la Maison Blanche hésite. A ouvrir des pourparlers sans délai, avec Ahmadinejad, elle pourrait l’aider à remonter la pente mais en le mettant au pied du mur, avant la présidentielle, elle pourrait le conduire à amorcer rapidement un accord. Pour Washington, le choix n’est pas facile. Le débat y fait rage. Barack Obama n’a pas encore tranché.

Bernard Guetta est membre du conseil de surveillance de Libération.



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