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Aujourd’hui, la démocratie est en danger.
Emmanuel D.
Article mis en ligne le 19 mars 2004
dernière modification le 7 avril 2005

Suite aux résultats des élections tenues en Espagne ce dimanche 14 mars, marquant la victoire inattendue du parti socialiste espagnol, monsieur Dominique de Villepin, ministre français des affaires étrangères, a cru bon de féliciter le peuple espagnol pour avoir « choisi la vérité » en sanctionnant José Maria Aznar et le parti populaire espagnol.

Ces déclarations illustrent, selon moi, la faiblesse actuelle d’une partie des élites politiques et intellectuelles en Europe face à ce qui apparaît de plus de plus clairement comme la plus grande menace globale contre la liberté dans le monde, en ce début de 21ème siècle et que certains n’hésitent plus à désigner désormais comme une nouvelle guerre mondiale.

Le recours que monsieur de Villepin fait au concept de vérité témoigne à la fois d’une expression démagogique et d’une cécité politique, stratégique, philosophique et morale. E, parlant de vérité, le ministre français des affaires étrangères fait évidemment référence aux manifestations espagnoles qui ont « accompagné » les élections législatives en Espagne et qui ont eu pour thème et pour revendication une manipulation supposée de la part du gouvernement de José Maria Aznar, concernant le déroulement de l’enquête à propos des attentats de Madrid.

Mais il ne faut pas se tromper de cible. Oui, il y a eu manipulation. Oui, il y a eu mensonge. Mais ce n’est pas le fait d’un gouvernement déstabilisé, quoi qu’il fasse, par les attentats ignobles de ce 11 mars. C’est Al Qaïda qui a manipulé les Espagnols et, à travers eux, les résultats des élections de ce dimanche.

Car il ne faut pas se cacher les yeux. A supposer que le gouvernement d’Aznar ait, pour quelque raison, favorisé dans l’esprit des gens, l’hypothèse d’une responsabilité de l’ETA dans la barbarie de ce jeudi, il est clair qu’il n’y avait que deux solutions possibles : soit imputer les attentats à ETA, soit dénoncer la responsabilité d’Al Qaïda. Or, aucune de ces deux alternatives n’était « bonne ». Aznar, au fond, n’avait pas le choix, tant le piège était déjà bien en place. Le dilemme cornélien face auquel les dirigeants espagnols se trouvaient n’était que le résultat d’un chantage politique et moral qu’il est devenu crucial de dénoncer.

Non, l’envoi d’un contingent espagnol en Irak, pour assurer l’ordre dans ce pays et permettre sa reconstruction, après une guerre qui a mis fin a un régime dictatorial qui a duré près d’un quart de siècle, n’est pas le problème. Non, un rapprochement quelconque avec les Etats-Unis ne justifie pas des attentats. Non, le fait de penser ou d’agir différemment qu’un individu, qu’un groupe, qu’une idéologie ou qu’une culture, quelles qu’elles soient, ne constituent pas une raison justificatrice ou absolutoire à l’ignominie et à la lâcheté.

C’est pourtant ce que pensent les islamistes qui se réclament de Ben Laden et de sa clique. Car il est bien là l’enjeu : le refus viscéral de la différence par des individus qui se réclament d’une idéologie totalitaire et mortifère. Ce que haïssent par-dessus tout ceux qui terrorisent des populations et des gouvernements actuellement dans le monde, ce n’est pas telle ou telle politique vis-à-vis de tel ou tel sujet, par exemple le dossier irakien, mais le fait qu’on ne soit pas comme eux, qu’on ne soit pas musulman comme eux, qu’on puisse s’exprimer librement, que nous prônions, à travers nos cultures et nos représentations politiques et sociales, des valeurs et des idéaux contraires aux leurs.

Le chantage, c’est de dire : « si vous ne faites pas ce que nous voulons, nous vous tuerons ». C’est inacceptable pour une culture démocratique. C’est inadmissible pour la raison. C’est totalement contraire à nos valeurs, aux fondements même de nos cultures.

La démocratie est en danger. En félicitant les Espagnols pour avoir « choisi la vérité » Dominique de Villepin s’est trompé de cible.

D’ailleurs, soyons sérieux : si le ministre dit vrai concernant le « choix » des Espagnols, que fera-t-il si des terroristes commettent un attentat à la veille d’élections législatives en France, pour « punir » le gouvernement français suite à la « loi sur le foulard islamique » ? Doit-on conclure qu’il convoquera une conférence de presse pour féliciter le peuple français pour avoir choisi la vérité ? En tout cas, dans le cadre d’une telle éventualité, il faudra bien admettre que la guerre en Irak ne sera pas en cause, la France ayant joué au maximum la carte de l’opposition aux Etats-Unis.

Les propos de Dominique de Villepin sont profondément irresponsables. Et le fait qu’il ait ajouté ensuite qu’il fallait s’unir pour lutter contre les terroristes n’y change rien. Tout au plus, de telles « nuances » peuvent-elles apparaître comme un double langage. D’une part, Dominique de Villepin fait signe au gouvernement américain par sa référence à la lutte contre le terrorisme, d’autre part, il fait preuve d’une duplicité certaine vis-à-vis de ces mêmes terroristes et caresse les électeurs potentiels qui ont manifesté lors de la crise irakienne dans le sens du poil. Par ses propos, le ministre français des affaires étrangères participe ainsi à la manipulation des esprits en Europe, en rendant responsable les victimes du terrorisme et en occultant l’identité des vrais coupables.

Par ailleurs, il est difficile de ne pas voir dans les propos de Dominique de Villepin une récupération politique dans une optique européenne. On se souvient des profondes divergences de vue entre les deux pays concernant soit des questions strictement européennes, soit sur l’épineux dossier irakien et des relations transatlantiques.

Aujourd’hui, le monde démocratique est en danger. Mais l’ennemi n’est pas seulement extérieur ; il est aussi intérieur : c’est également la mauvaise foi et une culpabilité mal placée qui fait de la victime, le coupable. Et ce n’est ni par la démagogie, ni en fuyant la réalité que nous sauverons ce qui nous est le plus cher, au-delà de nos valeurs, telles la liberté et le droit à la différence, à savoir, notre propre existence.



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