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Un journaliste arabe explique le vocabulaire officiel des médias syriens
MEMRI
Article mis en ligne le 15 mars 2004

Ibrahim Hamidi, directeur du secrétariat de rédaction syrien du quotidien Al-Hayat, édité en arabe à Londres, a dernièrement publié un « lexique des médias officiels syriens ». Des personnalités travaillant dans les médias et des journalistes ont confié à Hamidi la terminologie obligatoirement employée par les médias syriens officiels, expliquant comment les choix terminologiques étaient opérés.

Il n’existe qu’un réceptacle de l’information : l’Agence de presse arabe syrienne, la SANA.

" Il n’existe qu’une seule façon de faire venir l’information du monde extérieur et de la commercialiser localement : l’Agence de presse arabe syrienne, la SANA. Les informations sont communiquées à la SANA par les institutions et autorités gouvernementales [syriennes] ; la SANA décide alors de leur publication dans la presse ou de leur diffusion télévisée, les transmettant ensuite aux médias.

Sadeq Jalal Al-Azm [intellectuel renommé] explique : ’Dans un pays où la presse est contrôlée par le gouvernement, le lecteur développe la capacité de déchiffrer les indices [du texte] : tel terme a-t-il, ou non, été employé ? Afin de comprendre les événements, nous devons lire entre les lignes et tirer des conclusions à partir de l’utilisation, ou la non-utilisation [de termes donnés], ou encore de la manière dont ces derniers sont employés, leur choix n’étant jamais innocent.’

L’ancien directeur de l’Agence [arabe] de presse syrienne [la SANA] et de l’Autorité syrienne générale pour la radio et la télévision, le Dr Fayez Al-Sayigh, précise : ’Le président Bashar Al-Assad n’aime pas le style pompeux ; il lui préfère un langage néo-réaliste adapté au renouveau syrien, dépouillé de l’aspect pompeux qui caractérise les écrits des journalistes syriens d’autrefois.’

Mahdi Dakhlallah, directeur du quotidien Al-Baath , du parti Baath au pouvoir, assure : ’Il n’existe pas d’orientation politique dans le traitement quotidien des nouvelles. Ce traitement est soumis au jugement du directeur (…) Il est révisé avec la nomination du directeur, de sorte que les instructions, la supervision ou l’ingérence directe dans le travail ne sont pas nécessaires.’ "


Terminologie obligatoire dans le discours politique

" Chaque époque politique amène ses propres médias et concepts politiques. L’apparition de concepts dans les médias et la fréquence [de leur utilisation] indiquent une position politique donnée. Ainsi, ces dernières années, les termes ’impérialisme’, ’réaction’ et ’vassalité’ ont disparu pour être remplacées par ’hégémonie’ et ’mondialisation’ (…) ’Société civile’ a remplacé l’expression ’société de progrès et socialisme’. Après l’élection de Bashar Al-Assad à la présidence et son discours sur ’les opinions et les contre-opinions’, les concepts de ’changement politique, économique et administratif’ et de ’réforme’ ont infiltré les médias.

Le directeur du quotidien [gouvernemental] Techrine , M. Khalaf Al-Jarrad, a laissé entendre qu’il existait une ’instruction d’ordre verbal’ ordonnant de ne pas employer trop souvent l’expression ’réforme et programme de renouveau’, afin que l’usage en demeure réaliste et logique. ’Je considère le terme ’changement’ comme problématique en raison de ses limites floues : qu’est-ce qui est soumis au changement et qu’est-ce qui ne l’est pas ?’

Le directeur de l’Agence de presse [arabe], Ghazi Deeb, a déclaré : ’Nous utilisons ce terme [’changement’] de manière contrôlée, afin qu’il ne soit pas mentionné à chaque fois que nous évoquons la construction de la Syrie moderne.

Ces trois dernières années, l’opposition a introduit l’expression ’société civile’ dans la presse arabe non syrienne, mais la presse syrienne officielle a pris soin de ne pas l’employer. Khalaf Al-Jarrad assure : ’Je n’ai rien contre cette expression, employée dans tous les autres pays, mais je suis contre son abus par l’opposition [syrienne].’

Les autres directeurs de journaux ont approuvé, sauf feu Mohammed Salameh, autrefois directeur d’ Al-Thawra qui, il y a quatre ans, avait ouvert les portes du quotidien à des membres de l’opposition.

Le lexique politique interne [des médias syriens] n’inclut pas de références ethniques. Al-Jarrad refuse de parler de ’terminologie ethnique’, expliquant : ’Ce n’est pas à cause des instructions officielles, mais parce que c’est ainsi que nous avons été éduqués (…) J’essaie de me focaliser sur l’unité nationale en raison des pressions incessantes exercées sur la Syrie.’ "


Terminologie concernant le conflit israélo-arabe

" Lors des précédentes décennies, l’utilisation du nom ’Israël’ dans le discours politique était considérée comme une marque de trahison, les expressions ’entité sioniste’, ’gangs sionistes’ ou ’ennemi sioniste’ étant utilisés à la place. A l’époque de la conférence de Madrid, en 1991, les appellations sont devenues plus réalistes. Les médias officiels se sont mis à employer l’expression ’une paix juste pour tous’, omettant le mot ’durable’.

Au milieu des années 90, le discours médiatique s’est modifié. La télévision officielle [syrienne] s’est mise à montrer les responsables israéliens et le Premier ministre israélien Itzhak Rabin souriant. Les rues de Syrie étaient remplies de panneaux [comportant des mentions telles que] : ’La paix est le choix stratégique de la Syrie’, ’se battre avec honneur, négocier avec honneur, faire la paix avec honneur’, ’nous voulons une paix juste pour tous’ et ’Assad : héros de la guerre et de la paix.’

Mais aujourd’hui, l’image projetée par les médias a changé. Ghazi Deeb : ’Comment pouvons-nous préparer notre peuple à quelque-chose d’absolument inacceptable, les dirigeants israéliens n’étant absolument pas intéressés par la paix ?

Le concept de ’paix des braves’ que [les médias syriens] avaient commencé à évoquer au début des années 1990, s’est évanoui après qu’il eut été adopté par Yasser Arafat, avec la signature des accords d’Oslo - qui aux yeux des Syriens comportaient ’d’importantes concessions’. Les médias syriens officiels les ont qualifiés d’ ’arrangement’, et non d’ ’accord de paix’. Idem avec les plans de paix consécutifs : le plan Tenet, le plan Mitchell et la Feuille de route, appelés ’papier’ ou ’plan’.

Après qu’Ariel Sharon fut devenu Premier ministre, [le terme] ’terrorisme d’Etat’ [est apparu]. Le terme ’Monsieur’ n’était pas associé à son nom ou celui de ses ministres. Le ’ministre de la Défense’ israélien était appelé ’ministre de la Guerre’, et Israël était appelé ’l’ennemi’, vu qu’il occupe toujours le Golan syrien.

Au cours de la dernière décennie, le mot ’négociations’ a remplacé celui de ’conflit’ et le terme ’paix’ celui de ’guerre’ (…) Le terme ’résistance’ a remplacé l’expression ’lutte armée’. Le mouvement de résistance islamique (Hamas) est présenté comme le ’mouvement Hamas’ ou comme ’la résistance nationale’, sans le qualificatif ’islamique’, et il en va de même pour le ’Djihad islamique’ parce que, selon Ghazi Deeb, la ’lutte oppose tous les Arabes à Israël’.

Mahdi Dakhlallah, directeur d’Al-Baath, écrit : ’Il est inconcevable pour nous de parler d’ ’opérations suicides’. Nous parlons de ’martyre’ ou d’ ’héroïsme’. Deeb préfère le terme ’martyre’ ’parce que ceux qui exécutent ces opérations le font pour des raisons religieuses, estimant qu’ils auront le Paradis et qu’ils sont des martyrs, alors que l’expression ’opération héroïque’ appartient au langage laïque.’ "


La défaite « linguistique » d’Israël

" Fayez Al-Sayigh affirme : ’L’effort déployé par la Syrie au niveau des informations a conduit à l’introduction de certaines expressions dans les médias arabes et internationaux. Les médias syriens ont réussi à faire accepter les expressions ’la ligne du 4 juin 1967’ et ’la base de la Conférence de Madrid.’ Les informations [syriennes] officielles ont eu raison des concepts hosties de ’concessions’, ’capitulation’ et ’retraite’, qui ont été remplacés par ’flexibilité’ et ’initiative’.

Y a-t-il reconnaissance linguistique de l’Etat d’Israël ? Dakhlallah précise : ’Nous employons le terme ’Israël’ dans le cadre de négociations intervenues sous les auspices internationaux, parlant [par ailleurs] d’ ’entité sioniste’ et de ’terrorisme d’Etat’ en référence aux actions d’Israël.’ [En une autre occasion, il a noté :] ’Damas a reconnu les anciens Etats de l’URSS seulement après que Moscou les eut reconnus, et malgré les relations que nous entretenions avec eux.’

Les ordinateurs de la Rédaction du quotidien Techrine sont programmés pour indiquer ’Israël’ entre guillemets de façon automatique. Le directeur Al-Jarrad explique : ’Je considère Israël comme une entité usurpatrice installée sur la terre du peuple palestinien. Je n’approuve pas le libre emploi [de termes] qui évoquent la moindre normalisation ou coopération avec Israël.’

Al-Sayigh remarque que le terme ’colons’ [mustawtinoun] désigne les habitants d’une terre qui est la patrie [watan] d’autres gens. Il conseille toutefois au médias du gouvernement [syrien] de revenir à l’emploi de l’expression ’colons impérialistes’ [mustamiroun], utilisée pendant les années 1950 et 1960.

Al-Jarrad interdit d’utiliser le terme ’redéploiement’ [en référence au retrait israélien] : ’ (…) Nous parlons de ’forces en déplacement’, parce que l’événement se produit dans le cadre de l’occupation. Deeb interdit l’emploi de l’expression ’violence bilatérale’ et de ’cessez-le feu entre Israéliens et Palestiniens’, vu qu’ ’il n’y a pas deux côtés’.

Tous les médias s’accordent pour employer l’expression ’barrière de séparation raciste’, vu qu’elle sépare les Palestiniens des Israéliens. Al-Jarrad : ’Nous parlons de ’peuple sioniste’, vu que le sionisme n’est [qu’] une idéologie (…) Les médias syriens ne parlent pas d’ ’Arabes israéliens’ mais des ’Arabes de 1948’ ou des ’Palestiniens de 1948’, car ces derniers n’appartiennent pas à Israël.’

Les médias syriens officiels ne mentionnent pas l’ingérence de la Syrie dans les affaires intérieures libanaises, mais évoquent les ’relations fraternelles’ qui existent entre les deux pays suite à la signature de l’ ’accord de coopération, de fraternité et de coordination de 1991’. De même, l’ ’unité nationale’, l’ ’accord libanais’ et le ’rôle arabe du Liban’ sont soulignés. L’organisation Hezbollah n’est pas mentionnée par son nom, mais la plupart du temps par l’expression ’la résistance libanaise nationale’. "


Terminologie irakienne

" De nombreux observateurs ont noté la confusion des médias officiels suite à la chute de Bagdad en avril 2003. [Ce jour-là], la télévision officielle n’en finissait pas de diffuser des images de sites touristiques syriens sur de la musique classique. Techrine évoquait ’l’anarchie et l’obscurcissement [qui règnent à Bagdad]’, alors que Bagdad était tombée le matin même. Un responsable des médias syriens commente : ’Cela vient du fait que les médias syriens ignoraient tout des événements, et que tous les Arabes ont été pris de court par la rapidité de la chute de Bagdad. Nous, le personnel médiatique, ne savions comment réagir. Nous nous sommes mis d’accord pour citer les agences de presse sans émettre d’opinion.’

Deeb : ’La SANA possède un document contenant des suggestions sur la meilleure façon de faire référence à l’Irak, [comme] la suggestion de traiter le sujet avec objectivité et de rapporter les nouvelles conformément au système légal international. Allons-nous vers la guerre contre les Américains ? Si c’est le cas, notre discours médiatique est incorrect. Mais si ce n’est pas le cas, pourquoi mobilisons-nous le peuple vers cet objectif ?’

Le lexique [des médias syriens] souligne ’l’unité de la terre et du peuple d’Irak’, ’l’indépendance et la souveraineté de l’Irak’, mentionnant ’la fin de l’occupation’ et ’la résistance irakienne’ sans procéder à une classification ethnique.

Dakhlallah : ’Nous n’utilisons pas les concepts de ’chiites’, ’Kurdes’ et ’sunnites’, choisissant plutôt de nous focaliser sur l’unité nationale irakienne.’ Deeb : ’La SANA, et avec elle tous les autres médias, ne voient pas d’inconvénient à employer l’expression ’Kurdes’ en parlant des figures marquantes de l’Irak du Nord. Pour parler du Sud, nous faisons référence aux ’oulémas’ sans noter leur affiliation [chiite]. En ce qui concerne les Etats-Unis, Al-Jarrad précise : ’Rien de vient contredit l’usage du concept des ’forces d’occupation’, parce que même les résolutions du Conseil de Sécurité considèrent les forces de la coalition comme de ’l’occupation.’’ "


« Bonne » et « mauvaise » terminologies dans les médias syriens

Hamidi ajoute à son article les instructions actuelles à l’attention des médias syriens, interdisant ou autorisant certains termes :

Faux :

Perturbations de la paix

Les Palestiniens

Détention de Palestiniens

Les territoires

La Judée, la Samarie et la bande de Gaza

Les Arabes israéliens

L’usage excessif de la force

Le bouclage

Emeutes

Opérations violentes / terroristes

Menace à la sécurité

Collaborateurs

Le passage de Karni

La jonction de Netzarim

Le passage d’Erez

Har Dov

Le Mur des Lamentations

Har Homa

L’aéroport Ben Gourion

Jérusalem Est

La municipalité de Jérusalem

Le Mont du Temple

Le quartier juif, Jérusalem

Le quartier de Guilo

Le caveau de Makhpela

La tombeau de Rachel

Juste :

Intifada

Le peuple palestinien

Détention de citoyens palestiniens

Les territoires palestiniens occupés

Les territoires palestiniens occupés

Les Palestiniens des territoires occupés en 1948

L’escalade [de la violence] de l’armée israélienne

Le siège

Manifestations

Résistance

Soulèvement des citoyens contre les forces d’occupation

Agents

Le passage d’Al-Muntar

La jonction Al-Shuhada

Le passage Beit Hannoun

Les fermes de Shaba libanaises occupées

Le Mur Al-Buraq

Le Mont Abou Ghneim

L’Aéroport de Lod

La Jérusalem occupée

La municipalité de Jérusalem, comme on l’appelle

Le Saint Al-Haram Al-Qudsi

Harat Al-Sharaf

La colonie de Guilo

Le Saint Al-Haram Al-Ibrahimi

La mosquée de Bilal

(1) Al-Hayat (Londres), le 1er mars 2004

L’Institut de Recherche Médiatique du Moyen-Orient (MEMRI) est une organisation indépendante à but non lucratif qui traduit et analyse les médias du Moyen-Orient. Des copies des articles et autres documents cités, ainsi que toute information d’ordre général, sont disponibles sur simple demande.

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