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Un chargé de mission inquiétant

Par David Ruzié, professeur émérite des universités, spécialiste de droit international

vendredi 2 janvier 2009, par Desinfos

Nul n’étant mieux placé pour parler de lui-même, c’est le sénateur UMP Philippe Marini, qui a indiqué, mardi dernier, àl’AFP que le président Sarkozy lui avait confié une mission « d’étude, d’analyse et de contacts" sur le Proche-Orient  ». C’est ce que nous indique la consultation du site Internet de ce parlementaire, par ailleurs rapporteur général de la commission des finances.

En revanche, le site officiel de l’Elysée ne confirme pas cette mission.

Nous n’avons aucune raison de mettre en doute les compétences de cet « honorable parlementaire  » - pour reprendre une expression consacrée – dans le domaine économique, eu égard aux fonctions d’inspecteur des finances qu’il a précédemment exercées.

Pas plus d’ailleurs que nous ne prendrons en compte l’échec cuisant de sa candidature récente àla présidence du Sénat.

Nous laisserons, également de côté, l’impact produit par certaines de ses propositions, jugées surprenantes, faites au cours du débat sur la loi de finances pour 2009.

A la limite, nous nous permettrons de nous interroger sur le caractère judicieux du choix fait par le Chef de l’Etat, quand on sait que le sénateur-maire de Compiègne est, au Sénat, président du groupe d’amitié France-Syrie et du groupe France-Arabie saoudite et pays du Golfe.

Certes, la première de ces responsabilités peut, effectivement, constituer un atout dans la mesure où il devra notamment "accompagner l’évolution des relations franco-syriennes", particulièrement en regard du processus de "retour àla stabilité au Liban".

A défaut d’avoir connaissance officielle de la lettre de mission reçue par Monsieur Marini, on s’en tiendra aux précisions qu’il a lui-même données.

S’il est vrai que le choix de ce spécialiste des questions économiques et financières peut être judicieux pour étudier les opportunités d’investissements des pays de la région, notamment via leurs fonds souverains en articulation avec celui mis en place par la France, il n’est pas certain, en revanche, que son « positionnement  » actuel, sur le plan international, l’habilite àtraiter l’autre aspect de sa mission, àsavoir suivre, également, « l’évolution des "contextes" israélo-palestinien et israélo-arabe  ».

Certes, cette mission lui aurait été confiée avant l’actuelle offensive israélienne sur la bande de Gaza, mais les déclarations, sur les derniers événements, qu’il a faites – telles qu’elles sont reproduites sur son site, sous la forme d’une dépêche de l’AFP – nous paraissent choquantes.

Evoquant l’intervention israélienne àGaza, M. Marini a estimé que "personne dans le monde moderne ne peut accepter la loi du talion, qui est encore moins acceptable quand un mort d’un côté en vaut des centaines de l’autre".

Et d’ajouter "le Hamas, s’il n’est pas irréprochable, est néanmoins une organisation politique qui a gagné des élections pluralistes et en tant que tel, fait partie du jeu régional".

S’agissant de la référence àla loi du talion, nous considérons qu’indépendamment du fait qu’elle traduit une méconnaissance totale de la signification réelle de cette règle de la Bible, elle constitue également une allusion perfide àla place que tient la Bible dans la tradition juive, donc dans la culture israélienne.

Et s’il est vrai que l’opération israélienne s’inscrit dans le cadre d’une action de légitime défense, il est évident que le but recherché n’est pas de tuer des Palestiniens parce qu’ils sont Palestiniens – ce qui constituerait un crime contre l’humanité – mais de détruire les infrastructures militaires et politiques d’un mouvement terroriste, qui laisse se commettre – sinon même les ordonne – des crimes de guerre contre la population israélienne.

Le fait qu’heureusement les pertes en vies humaines du côté israélien soient limitées, n’exonère en aucune façon le Hamas, dès lors que la terreur que provoquent les lancements incessants de roquettes sur la population civile est de nature àprovoquer des dégâts psychologiques permanents et irréversibles.

Et pour en revenir au reproche de « disproportion  » allégué par Nicolas Sarkozy lui-même, il nous semble toujours inapproprié, car, de fait, compte tenu de la nature des crimes de guerre commis par les lanceurs de roquettes, avec l’aval du Hamas, sinon sur les ordres de ses chefs, la riposte israélienne ne pouvait pas prendre une autre forme.

On ne répétera jamais assez que les « dégâts collatéraux  » sont inévitables dès lors que, volontairement, les tirs de roquettes sont déclenchés àpartir de zones habitées, où le Hamas installe, d’ailleurs, ses infrastructures, sans parler du fait qu’il n’hésite pas àutiliser des lieux de culte ou d’enseignement pour programmer ses activités criminelles.

Ce n’est donc pas en terme de « proportionnalité  » exprimée mathématiquement qu’il faut raisonner dans le cas présent, mais en terme de « retenue  », car, compte tenu de ses capacités de destruction, l’aviation israélienne s’efforce, effectivement, de limiter les dégâts.

Que l’on pense àcertains bombardements intervenus sur des villes entières durant la seconde guerre mondiale….

Par ailleurs, le brevet de respectabilité décerné, par ailleurs, au Hamas est encore plus choquant que l’article de l’ancien directeur du département Afrique du Nord-Moyen Orient au Quai d’Orsay que nous dénoncions ici-même, il y a peu de temps (Le Quai d’Orsay et l’oubli du devoir de réserve)

Car, il ne s’agit pas des élucubrations d’un « chercheur  », ancien directeur au Quai d’Orsay, mais d’un chargé de mission par le président de la République.

Cette allusion àdes élections pluralistes nous fait penser – de sinistre mémoire – aux conditions dans lesquelles le parti nazi est arrivé au pouvoir en Allemagne.

Et ce n’est pas parce que les démocraties européennes ont failli àl’honneur, àl’époque, en ne réagissant pas, lorsqu’il en était encore temps, àla montée en puissance d’Hitler, que pareille faute doit se reproduire de nos jours.

Ne pas tirer des leçons de l’histoire ne constitue plus seulement une faute, cela peut devenir un crime.

Pour notre part, nous n’irons pas jusqu’àdire, déjà, que Nicolas Sarkozy a choisi son camp, mais le choix de certaines personnes pour le conseiller nous paraît, pour le moins, inquiétant.