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« Edgar Morin condamné pour diffamation raciale »
Dr Richard Prasquier - Président du Comité français pour Yad Vashem - Membre du Comité Directeur du CRIF
Article mis en ligne le 6 juillet 2005

L’auteur de « Vidal et les siens » peut-il être antisémite ? Pour nous qui, effarés, avions découvert dans notre jeunesse, grâce à son enquête sur la « Rumeur d’Orléans », la facilité avec laquelle les vieux mythes mortifères pouvaient se propager dans la France paisible des 30 glorieuses, il nous a aidés à renforcer notre vigilance. Cette vigilance s’applique aux actes et non aux pensées ; les textes écrits, les déclarations orales sont des actes, plus encore lorsqu’ils proviennent d’individus qui revendiquent un rôle d’influence intellectuelle.

De ce point de vue, seul pris en compte par la cour d’appel de Versailles, le texte signé par Edgar Morin, avec Sami Naïr et Danièle Sallenave, contient des formulations antisémites. Le nier au motif que la lutte d’Edgar Morin contre toutes les formes de discrimination rend cette interprétation impossible est faire preuve, pour le moins, de légèreté méthodologique. Lorsque Jean Paul Sartre a écrit « tout anti-communiste est un chien », le prestige du maître n’ôtait rien à la bassesse du propos. Il l’aggravait au contraire, car un intellectuel sait ce que parler veut dire.

Lorsque, dans une pénible litanie où revient à cinq reprises le syntagme « les juifs », pour présenter en une comparaison très explicite les crimes qui furent commis contre eux à ceux qu’ils commettent contre les Palestiniens, le lecteur doit tirer deux conclusions :
1°/ les auteurs de ces crimes sont des Juifs ;
2°/ les juifs se conduisent comme des nazis. Certes, cette dernière formulation n’est pas exprimée dans toute sa brutalité, mais tout la construction balancée du paragraphe y conduit .....
Et pour qui n’avait pas compris, quelques lignes plus loin : « le peuple élu agit comme la race supérieure ».

Disons-le clairement, convaincus que les auteurs de la pétition en faveur d’Edgar Morin dans leur immense majorité, s’accorderont avec nous : comparer - ou inciter à comparer - les actions des Israéliens envers les Palestiniens avec celles des nazis envers les juifs n’est pas une opinion, c’est une ignominie - une ignominie antisémite, qui n’a rien à voir avec une critique de la politique israélienne.

Dans un entretien récent avec Silvia Cattori, journaliste très engagée, qui a écrit que Israël « mène contre les Palestiniens une guerre d’extermination raciste », Edgar Morin protestait récemment qu’à Auschwitz la commémoration ait été uniquement centrée sur les Juifs - ce qui est faux- alors qu’il y avait eu bien d’autres victimes du nazisme. Se peut-il qu’il ignore la différence entre extermination et persécution, qu’il ne sache pas que 90% des victimes d’Auschwitz, près de100% de celles de Treblinka, Belzec, Sobibor ou Chelmno étaient juives ? L’amalgame au nazisme serait-il l’effet d’une méconnaissance de l’histoire ou d’une volonté de banalisation ?

Quant au reste de l’article, dont l’auteur prétend qu’il était nuancé pour appréhender une situation complexe, sa lecture frappe par son simplisme manichéen.

Le cancer israélo-palestinien, écrit-il, répand ses métastases qui mènent à « des catastrophes planétaires en chaîne ». Autrement dit le terrorisme islamiste dont le monde a subi les conséquences de Bali à New York proviendrait du conflit israélo-palestinien. C’est faux et chacun le sait : ni Ben Laden, ni son disciple Mohammed Atta n’ont pensé aux Palestiniens : leur guerre se porte contre l’Occident infidèle et les « traîtres » musulmans. La cause palestinienne est un magnifique outil de propagande et de mise en condition ; que cette propagande conduise à des rumeurs hallucinantes comme celle de la responsabilité des Juifs dans l’attentat contre les tours, et bien d’autres, c’est là la pathologie, une pathologie psychique qui mérite interrogation. Ce n’est pas le conflit israélo-palestinien qui est un cancer, mais l’instrumentalisation permanente qui en a été faite, au détriment des Palestiniens, pour lui faire servir d’autres causes : conflit est-ouest et panarabisme hier, islamisme et utopie anti-mondialiste et anti-américaine aujourd’hui, échecs démocratiques du monde arabe toujours. C’est cette instrumentalisation qui fait que ce conflit n’a pas été résolu et ne le sera pas tant que l’objectif des véritables meneurs politiques sera autre chose que le bien-être du peuple palestinien. A entendre, en 2002 comme en 2005, les prêches des imams de Gaza ou les déclarations du Hamas, on est en droit de penser que c’est le conflit israélo-palestinien qui est devenu une métastase du terrorisme islamique et non pas l’inverse, et que c’est là tout au moins une des composantes de ce conflit qu’une analyse objective ne doit pas négliger. Edgar Morin fait retomber la responsabilité, toute la responsabilité, sur Israël parce qu’il est militairement le plus fort - où serait-il s’il n’avait pas cette force ? Dans cette dialectique de l’oppresseur et de l’opprimé après avoir longtemps expliqué comment les juifs opprimés sont devenus « un peuple méprisant ayant satisfaction à humilier » (y a-t-il un autre peuple à qui Edgar Morin aurait osé appliquer cet insupportable qualificatif ?), il ne veut pas voir qu’il y a plus que des ferments d’oppression dans le discours de leurs ennemis. Deux poids, deux mesures.

Mais, dans cet article, il y a bien d’autres choses : on y apprend qu’Israël applique, de la même façon que les attentats suicides palestiniens, le principe de culpabilité collective, « depuis le temps de Sabra et Chatila ». Faut-il redire, une fois de plus, que l’auteur du massacre de Sabra et Chatila est le chrétien libanais Elie Hobeika avec ses milices et que ce massacre ne l’a pas empêché de poursuivre une brillante carrière ministérielle dans un Liban occupé par les Syriens, jusqu’au moment où il a commencé à gêner ? Quant au « carnage » de Jenine : Edgar Morin savait déjà la réalité, en juin 2002 : 54 palestiniens tués ainsi que 23 soldats israéliens, car l’armée israélienne n’avait pas, justement, bombardé la ville d’où étaient venus des attentats-suicides particulièrement ignobles, de façon à éviter de faire trop de victimes civiles.

Il faut aussi citer son analyse des attentats-suicides : Israël est fort, les Palestiniens sont faibles ; quoi qu’ils fassent, leurs attentats sont moins graves que les actions israéliennes ; il s’agit pour eux d’un acte « existentiel extrême au niveau d’un adolescent » qui « féconde la cause de l’émancipation de son peuple », et qui se comprend comme une manifestation de la « logique archaïque de vendetta, si commune en Méditerranée ». Les habitants de la Méditerranée apprécieront (ceux de New York, Bali et de l’Irak en font-ils partie ?) : est-ce à eux que sont promises les soixante-douze vierges, et à leurs familles les milliers de dollars si généreusement distribués ? Ne voir dans ces actes que la manifestation d’un désespoir et non pas le fruit d’un endoctrinement des jeunes, malheureusement facile et efficace, est le degré zéro de l’analyse.

Quant aux manifestations antisémites en France : « une rancœur sourde contre les Juifs assimilés à Israël ; elle s’est transformée en actes de haine à cause de « l’attitude des institutions juives dites communautaires » (récemment Edgar Morin a dit que les Juifs de France « sont entre les mains du CRIF »...) et de l’ « impitoyable répression menée par Sharon »....

Est-il besoin de rappeler que les premières manifestations antisémites en France avaient précédé de plusieurs mois l’arrivée au pouvoir de Sharon ? Quant au rôle qu’auraient eu les organisations juives pour attiser le conflit et pousser au renfermement communautaire peut-il en citer un seul exemple ? Oui, le CRIF avait protesté devant la tendance à mésestimer la gravité de ces actes, qui ont traumatisé entre autres bien des enfants juifs en milieu scolaire ; oui, il a plus tard signalé les idiosyncrasies anciennes de la diplomatie française, mais il a toujours, comme toutes les organisations juives françaises d’ailleurs, cherché - avec un certain succès - à empêcher tout acte de représailles, à dialoguer avec les musulmans qu’il n’a jamais assimilés à des extrémistes, et à s’appuyer sur les institutions de la République. C’est dans cet esprit que le CRIF condamne également les menaces qui ont été proférées contre les auteurs de l’article.

Que signifient ces attaques récurrentes contre des organisations juives, qu’Edgar Morin ne connaît probablement pas ? Simple lutte contre le communautarisme ? Il se trompe de cible. Fantasme d’un pouvoir occulte recevant ses instructions de l’extérieur ? Non, pas lui...

L’opposition à la politique du gouvernement d’Israël est une opinion parfaitement respectable ; elle est partagée par bien des Juifs de France, y compris au sein du CRIF, et exprimée en tout cas avec dureté dans la presse israélienne. Lorsque cette opposition s’appuie sur des arguments partiels, ou partiaux, son expression et sa réfutation font partie du libre jeu d’opinion démocratique. Lorsque cette opposition utilise des arguments attribuant aux juifs certaines caractéristiques « essentialisantes », elle verse dans l’antisémitisme. La ligne est étroite et il se trouve que, malgré son passé et son expérience, Edgar Morin l’a franchie. Est-il antisémite lui-même ? Evidemment non, mais c’est son article qui est en cause, et non pas lui. Quant au reste, qui est du domaine de la controverse démocratique, nous pensons que son texte est surtout mal informé, approximatif, allusif et pratiquant l’amalgame, tout le contraire de ce qu’on pourrait attendre d’un homme qui a bâti une partie de sa réputation sur l’analyse de la complexité. Et nous vient cette question : Edgar Morin a-t-il vraiment lu son article ?



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