Air France : des explications peu convaincantes...
Cet incident a rapidement été réparé, comme lindique une dépêche du Jerusalem Post, puisque Air France a rétabli laccès à ces sites dans les heures qui ont suivi la réception de linformation.
La péripétie était ainsi destinée à tomber dans les oubliettes des faits divers insignifiants, mais à la Mena, comme vous lavez peut-être constaté, on a lhabitude daller au fond des choses. Jai donc mené ma petite enquête pour en savoir davantage, ce qui ma tout naturellement amené à interpeller le porte-parole de la compagnie aérienne française.
Air France, dont je ne mets absolument pas en doute la bonne foi dans cette affaire, parle dune erreur dont elle nest pas responsable, expliquant que la gestion de son accès à Internet est déléguée à un fournisseur de services extérieur, la société Olfeo. Que celle-ci crée des filtrages par catégories de sujets basés sur les centres dintérêts spécifiques aux entreprises qui font appel à ses services. La compagnie aérienne a donc sélectionné un certain nombre de catégories à exclure, dont celle définie sous la rubrique « agressif, terrorisme, révisionnisme, discrimination ». Choix judicieux et compréhensible sil en est : lorsque loccurrence de mots-clés comme terrorisme ou révisionnisme dépasse une certaine fréquence, les sites sont automatiquement bloqués et les usagers reçoivent le message que jai mentionné plus haut. Ceci expliquerait pourquoi les sites du Jerusalem Post et de ses confrères de la presse israélienne ont été censurés : ils comprennent certains des termes du filtrage.
A première vue, cette explication est tout à fait plausible. Selon le porte-parole dAir France, il ne faut pas voir à cela une intention malveillante de qui que ce soit. Une malheureuse erreur technique, en somme, qui ne justifie pas de sanction contre Olfeo et qui nempêchera pas la continuation de la collaboration entre le transporteur national et son fournisseur daccès.
Mais, quelques minutes après avoir conféré avec les représentants dAir France, repensant à leur explication, je me suis dit « Viviane, il y a un os ! » : les journaux israéliens ne sont pas les seuls à aborder quotidiennement les sujets-critères de lexclusion. Jai dailleurs immédiatement parcouru les sites Web de quelques grands quotidiens français et étrangers, ce qui a conforté mon doute : les termes interdits y sont tout autant utilisés que dans la presse israélienne...
Reste quà Air France et chez Olfeo, sur la base technique des mêmes critères les media israéliens se voyaient décerner lA.O.C. pro-terroristes et les autres pas ! Faute dune explication de la part de la compagnie aérienne qui tienne un peu mieux la route, il mest difficile de ne pas considérer celle-ci comme un prétexte qui cache mal une explication moins anodine.
Autre point de lincident dérangeant pour la clientèle israélienne et israélite ainsi que pour les média israéliens concernés par cette censure, outre la condamnation de laccès lui-même, le classement injustifié desdits media dans la catégorie des terroristes et des révisionnistes. A ma question de savoir si des excuses officielles leur avaient été adressées, le porte-parole dAir France sest montré évasif, invoquant la difficulté didentifier les lecteurs qui ont été confrontés à cette censure. Il aurait cependant été facile de diffuser des excuses sur le site officiel de la compagnie et par le biais des communications postales que tous les voyageurs réguliers dAir France reçoivent régulièrement à leur domicile. A ma connaissance, rien de cela na pas été fait.
Labsence dexpression de regrets publics de la part dAir France dans cette affaire est malheureuse ; ne serait-ce que parce que cet incident sinscrit dans la lignée dautres épisodes, plus déplaisants les uns que les autres, qui ont émaillé les relations entre la compagnie nationale française et sa clientèle israélienne et israélite. Ces péripéties inamicales qui ont fait, par exemple, que les équipages français qui atterrissaient le soir en Israël repartaient, à grands frais pour la compagnie, avec leur appareil, passer la nuit sur lîle voisine de Chypre. Ils revenaient au matin embarquer leurs passagers sur le tarmac de Ben Gourion. Cela sinscrivait dans le cadre de mesures sécuritaires prises à Paris, ce bien que laéroport de Tel Aviv soit lun des mieux sécurisés qui soient et que lon ny a jamais observé de mise en danger des usagers ou des avions.
A cette époque, après lassassinat-collectif palestinien du Dolphinarium, les équipages dAir France desservant Israël étaient formés de volontaires, comme cela est pratiqué pour les destinations à haut risque. Semblables mesures nétaient certes pas de nature à favoriser le tourisme en Israël − pays où il est dangereux pour des professionnels du voyage de passer la nuit − et ces dispositions, prises au moment où Israël avait le plus besoin doxygène, avaient déjà laissé chez certains une impression désagréable.
Jai également rappelé au porte-parole dAir France lépisode déplaisant, survenu il y a environ trois ans, du pilote qui avait annoncé à ses passagers que son avion se posait en « Israël-Palestine ». Les passagers lavaient fort mal pris. Air France ma assuré avoir appliqué des mesures disciplinaires à lencontre de ce pilote, mais elle sest refusée à men fournir les détails. Et jai limpression − comment le dire ? − que le commandant de bord sanctionné tient toujours le manche à Air France et que son plan de carrière na pas été foncièrement affecté par sa tentative de politiser le métier de pilote.
Aux plans commercial et actuel, Air France table ces derniers temps sur la clientèle israélienne de transit pour des destinations qui ne sont pas encore desservies depuis Israël. Lorsque jai demandé au porte-parole si les liaisons aériennes France-Israël sont financièrement profitables à la compagnie française, il a refusé, poliment mais catégoriquement, de me répondre, ce que je trouve regrettable et discutable pour une société publique.
Jai enfin demandé à Air France si elle comptait faire quelque chose de concret pour rétablir des relations harmonieuses et de confiance avec sa clientèle israélienne et israélite. Je pense, par exemple, à lintroduction de films sur le Paris-Tel-Aviv (comme cela est fait par El Al) qui dure tout de même quatre heures trente ou à lamélioration du contenu spartiate des plateaux-repas. Le porte-parole a effectivement évoqué des projets allant dans le sens de ma question mais il sest montré incapable de me fournir le moindre élément concret à ce sujet.
Terminons sur une note optimiste : à entendre les propos dusagers réguliers de la ligne Paris-Tel-Aviv, il semblerait effectivement que le service se soit récemment amélioré et quAir France cherche à adopter des méthodes plus souriantes pour attirer, ou récupérer, ses voyageurs déçus. Si ces mesures venaient à se concrétiser, ce serait assurément la meilleure manière pour le transporteur de tourner la page et de démontrer que ses passagers à destination et en provenance de lEtat hébreu sont traités selon les mêmes critères que les autres. Nous nen demandons pas plus de notre société nationale de transport aérien.