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1397, une résolution historique ?
Elie Barnavi ambassadeur d’Israël en France.
Article mis en ligne le 20 mars 2002
dernière modification le 16 juillet 2003

En fait, ce que nous demandons au président de l’Autorité palestinienne est d’en devenir enfin le chef.

La résolution 1397 du Conseil de sécurité des Nations unies, ou comment faire du neuf avec du vieux. Car, si aucune des dispositions de ce document n’a le mérite de l’originalité, prises ensemble elles constituent tout de même une véritable percée diplomatique. Voici, point par point, une explication de texte, côté israélien de la barricade proche-orientale :

1. Comme il est d’usage, le Conseil de sécurité commence par faire référence à ses résolutions antérieures, notamment la résolution 242, adoptée en novembre 1967, dans la foulée de la guerre de six jours (la résolution 338, qui a sanctionné la guerre d’octobre 1973, ne fait que reprendre les clauses de la précédente). Le rappel de cette résolution relève du rituel diplomatique.

Acceptée, en raison de son ambiguïté même (retrait d’Israël "de" territoires ou "des" territoires saisis par Tsahal en juin 1967), par toutes les parties - sauf, à l’époque et pendant une bonne vingtaine d’années, par l’OLP -, elle a constitué la base de tous les accords conclus par l’Etat hébreu avec ses voisins, ainsi que la plate-forme du gouvernement d’union nationale d’Ariel Sharon.

2. Le Conseil offre ensuite sa "vision" d’un Proche-Orient pacifié, "où deux Etats, Israël et la Palestine, vivraient côte à côte dans des frontières sûres et reconnues". Cette "vision" est, rappelons-le, vieille de plus d’un demi-siècle. Suggérée pour la première fois en 1937 par la commission Peel, venue enquêter en Palestine sur les causes de la révolte arabe, la partition du pays en deux Etats est devenue dix ans plus tard loi internationale.

Adoptée le 29 novembre 1947 à la majorité requise des deux tiers par l’Assemblée générale des Nations unies, la résolution 181 prévoyait déjà la création dans la Palestine mandataire d’un Etat juif et d’un Etat arabe, comme on disait à l’époque, censés vivre côte à côte en bonne intelligence.

Or, on a trop tendance à l’oublier aujourd’hui, si seul l’Etat juif a vu le jour, et cela au prix d’une guerre sanglante dont peu d’observateurs l’estimaient capable de sortir vivant, c’est parce que les Juifs ont été les seuls à accepter cette résolution. La guerre a tourné autrement que ne l’espéraient les Arabes, et les Etats voisins se sont partagé les dépouilles de l’Etat palestinien avorté : l’Egypte a annexé la bande de Gaza (mais pas ses habitants) et l’émirat de Transjordanie est devenu le royaume de Jordanie par l’annexion de la Cisjordanie. Que personne n’ait voulu alors de cet Etat palestinien dont on présente aujourd’hui l’augure comme une invention révolutionnaire, la preuve en est que, de 1948 à 1967, nul n’y a songé dans le monde arabe, surtout pas les principaux intéressés. Pendant ces années de plomb, il s’agissait de détruire l’"entité sioniste" pour créer un Etat palestinien à la place de l’Etat d’Israël plutôt qu’à ses côtés. Par une de ces ruses dont l’histoire a le secret, il a fallu que ces territoires passent sous la coupe israélienne pour que, deux décennies plus tard, après tant de guerres et de souffrances, la Centrale palestinienne et la plupart des Etats arabes se résolvent à se contenter d’un Etat palestinien plus petit que celui qu’ils auraient pu avoir quarante ans auparavant. Si nouveauté il y a, c’est, bien entendu, là qu’il faut la chercher, et dans la reconnaissance mutuelle d’Oslo, qu’elle a rendue possible.

Toujours est-il que cette "vision", qu’exprime avec force la résolution 1397, a fondé le processus de paix amorcé à Madrid jusqu’à son échec provisoire de Camp David. Elle est désormais largement admise par l’opinion israélienne. Elle a été explicitement acceptée par tous les gouvernements, de gauche ou de droite, qui se sont succédé à Jérusalem depuis Oslo. Et elle a été enfin confirmée sans faux-fuyant par l’actuel premier ministre d’Israël. Vue d’Israël, la création d’un Etat palestinien souverain aux côtés de l’Etat hébreu est pour certains une bonne chose, pour d’autres une nécessité déplaisante ; mais la vaste majorité de mes concitoyens font leur la définition d’Ariel Sharon : l’Etat palestinien est d’ores et déjà un "fait accompli".

3. Le Conseil évoque ensuite, pour s’en inquiéter, la flambée de violence qui a embrasé la région depuis septembre 2000 et souligne la nécessité pour les parties concernées de garantir la sécurité des civils ainsi que les normes généralement admises du droit humanitaire international. Comme il est naturel dans ce genre d’exercice, le Conseil semble renvoyer dos à dos les deux protagonistes. Il n’en est rien. En prenant en compte l’influence dévastatrice de la violence et en blâmant explicitement les attentats terroristes, le Conseil porte le fer dans la plaie qui ne cesse d’infecter notre malheureuse région : le terrorisme, cause première de toutes les régressions. Or le terrorisme n’est pas vraiment une nouveauté au Proche-Orient. Il a préexisté à la création de l’Etat d’Israël, a ensanglanté ses premières années, à l’époque où aucune "occupation" ne pouvait en rendre compte, et n’a cessé d’accompagner un "processus de paix" qu’il a fini par rendre insupportable aux yeux de ses plus chauds partisans.

Aussi bien, "garantir la sécurité des civils", de tous les civils, passe d’abord par l’arrêt de cette violence insensée, puisque "prendre délibérément pour cible des civils est moralement répugnant" (Kofi Annan). C’est la condamnation la plus forte du terrorisme palestinien qu’on ait jamais entendue dans cet auguste aréopage. Que le secrétaire général s’inquiète aussi des ripostes israéliennes, cela se comprend. Mais les "normes généralement admises du droit humanitaire international" évoquées par la résolution du Conseil de sécurité n’interdisent pas la légitime défense. Et même les critiques les plus acerbes de la manière dont Israël assure la défense de ses ressortissants n’osent prétendre que Tsahal "prend délibérément pour cible des civils".

Mais ce n’est pas uniquement pour des raisons morales que le Conseil de sécurité fait une telle place à la question de la violence. Il y va tout simplement des chances de renouer avec le processus politique, et, partant, d’aboutir à un règlement raisonnable. En effet, bien qu’Ariel Sharon ait renoncé au préalable des sept jours, il faut comprendre qu’au-delà d’un certain seuil de violence la négociation est tout bonnement impossible, l’opinion publique israélienne ne l’admettrait pas. Or, avant même que le général Zinni ne débarque dans la région, un haut responsable du Hamas à Gaza, le dénommé Rentissi, annonçait que, cessez-le-feu ou pas, son organisation entendait poursuivre la "résistance" jusqu’à la libération de la Palestine - dans le langage à peine codé des islamistes, la libération de la Palestine signifie la libération de toute la Palestine, autrement dit la destruction de l’Etat d’Israël. C’est donc ici que réside le plus grand danger et, aussi, le plus grand défi auquel doit faire face Yasser Arafat. Le raïs doit enfin comprendre qu’il lui faut s’assurer du monopole de la force publique dans ses territoires, faute de quoi son autorité n’est qu’un leurre, son Etat une chimère et la paix une "vision" à ranger au rayon des utopies. En fait, ce que nous demandons au président de l’Autorité palestinienne est d’en devenir enfin le chef.

4. Le Conseil de sécurité salue enfin, et encourage, les efforts diplomatiques des émissaires spéciaux des Etats-Unis, de la Fédération de Russie, de l’Union européenne et du coordinateur spécial des Nations unies, avec une mention particulière pour la "contribution" du prince héritier Abdallah d’Arabie saoudite.

L’ordre des nominations est plus protocolaire que réel. Si les Etats-Unis sont à leur place, la première, eux sans lesquels rien de sérieux ne s’est fait ni ne se fera au Proche-Orient, la Russie vient seconde, à titre "historique", pour ainsi dire, puisque ce pays reste le co-parrain du processus de paix. Quant à l’Union européenne, tant qu’elle ne se dotera pas d’une force de frappe diplomatique et militaire qui lui permette de jouer un rôle correspondant à son poids démographique et financier, son influence reposera sur le prestige de quelques individualités d’exception et, collectivement, sur la place, d’ailleurs non négligeable, qu’ont su se tailler par leur talent, leur persévérance et leur évidente bonne volonté des hommes comme Javier Solana et Miguel Moratinos.

Reste le prince Abdallah, dont la place de bon dernier dans le palmarès onusien ne doit pas faire illusion. Le poids du royaume wahhabite dans le monde arabo-musulman, la place particulière qu’occupe Abdallah sur l’échiquier du nationalisme arabe, le contenu de son initiative, tout concourt à rendre sa "contribution" extrêmement intéressante, peut-être même décisive. En fait, elle me semble plus novatrice que la résolution de l’ONU : dans l’immédiat, elle pourrait servir à légitimer les concessions que l’Autorité palestinienne sera conduite à accepter dans les dossiers ultrasensibles de Jérusalem et des réfugiés. A plus long terme, elle offre pour la première fois, en termes simples et clairs, la perspective d’une véritable insertion d’Israël dans la région. Evidemment, il faut pour cela qu’elle ne soit pas abâtardie, avant ou pendant le prochain sommet arabe de Beyrouth. Déjà, les Syriens s’y emploient, avec, semble-t-il, un certain succès. Les mêmes Syriens qui, membres incongrus du Conseil de sécurité, ont empêché que la résolution 1397 soit adoptée à l’unanimité...

Ces principes posés, le Conseil de sécurité formule deux recommandations opératoires : la cessation de la violence d’abord, reprise cette fois comme une "exigence", avec une détermination qu’il convient de saluer ; et la nécessaire collaboration des Israéliens et des Palestiniens dans la mise en œuvre du plan Tenet et des recommandations du rapport Mitchell - les deux documents issus de l’Intifada et dont l’application, admise par les deux parties, est censée les ramener à la table de négociation. Enfin, le Conseil exprime son soutien au secrétaire général et aux autres acteurs extérieurs dans leurs efforts visant à aider les parties au conflit à y mettre fin, et se dit décidé à rester "saisi" de la question du Proche-Orient.

Telle quelle, avec ses allures convenues et ses attendus vieux parfois de plusieurs décennies, la résolution 1397 mérite sans doute le qualificatif d’"historique" dont Le Monde l’a gratifiée. D’abord, parce que c’est la première fois que le Conseil de sécurité s’aventure à définir une perspective claire pour le Proche-Orient. Ensuite, parce qu’il l’a fait dans un texte équilibré et réaliste, aux antipodes de la démagogie à laquelle nous a habitués l’Assemblée générale. Enfin, peut-être surtout, parce que, avec le retour d’Anthony Zinni et le périple du vice-président Cheney dans la région, ce texte marque le retour en force des Etats-Unis au Proche-Orient.

Israël n’a aucune raison de se méfier de ce document, les Palestiniens non plus. Au premier, il donne satisfaction sur la question cruciale de la cessation de la violence, préalable nécessaire et suffisant de la mise en œuvre des recommandations du rapport Mitchell. Aux seconds, il promet l’engagement de la communauté internationale en faveur de la création de l’Etat-nation auquel ils aspirent. Il est temps de comprendre que l’intérêt bien compris des uns et des autres ne saurait passer par un jeu à somme nulle. C’est ensemble que nous gagnerons la partie de la paix, ensemble que nous la perdrons.



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