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Le nouveau ventre mou de l’Alliance Atlantique : la Turquie
Par Aldo-Michel Mungo Analyste en géostratégie Directeur de la rédaction du magazine militaire Carnets de Vol
Article mis en ligne le 7 mars 2010

Bien que non arabe, la Turquie était jusqu’en 1923 le siège du Califat mondial sunnite, dans le cadre de l’empire ottoman. Après son effondrement à l’issue de la 1ère guerre mondiale, ce centre a donné naissance à une république laïque et démocratique sous l’impulsion de Kémal Ataturk. Depuis cette époque la Turquie était un modèle d’islam tolérant développant la tradition soufie dont les confréries se développaient harmonieusement dans tout le Moyen Orient.

Depuis près d’un demi-siècle, l’islam radical a supplanté cette vision, et les soufis sont persécutés, voire interdits en Arabie et en Iran. En Turquie un mouvement « opaque » appelé « Gulen » est en train de faire tache d’huile, à grande allure, sous la houlette d’un érudit : Gulen Fethullah ; sans que l’on sache s’il s’agit d’une confrérie authentique ou d’une création de l’AKP d’Erdogan pour absorber les laïcs en son sein et transformer plus aisément la Turquie en pays islamiste.

Le mouvement islamiste turc Nurcu ou Gülen, du nom de son richissime gourou, ouvre à la propagation de la foi via une action éducative et caritative. Il finance entre autres un important réseau international d’institutions diverses. Le mouvement Gülen peut être comparé, dans la sphère turque, aux Frères musulmans dans la sphère arabe et à l’Opus Dei dans le monde catholique. La plus connue de ses missionnaires est la députée belge CDH Mahinur Özdemir, célèbre pour siéger couverte de son voile islamique.

L’arrestation et l’inculpation, la semaine dernière, de hauts responsables de l’armée ont virtuellement précipité le pays dans sa crise la plus grave depuis la fondation de la république. Les semaines qui viennent indiqueront probablement si le pays poursuivra sa dérive vers l’islamisme ou s’il retournera à sa laïcité traditionnelle. Le dénouement aura des implications majeures pour les musulmans du monde entier.

Sous prétexte de complot, les récentes arrestations d’officiers de haut rang, certains en activité, mais la plupart retraités, montre un début de faiblesse du régime, du fait qu’il n’est plus assuré d’avoir un parlement homogène aux prochaines élections de 2011.

La crise économique, la question kurde, la dérive islamiste de l’AKP ont érodé l’influence de celui-ci et sa popularité est tombée à 29%.

La procédure de 2008 qui a failli mener à la dissolution de l’AKP a entaché l’image du régime. Une confrontation avec l’armée est peu probable, car en 8 ans, cette force laïque s’est beaucoup islamisée du fait des nouvelles recrues.

Pendant longtemps, l’armée turque a été à la fois l’institution la plus fiable et le garant de l’héritage d’Atatürk, particulièrement de la laïcité. La dévotion au fondateur n’est pas une simple vue de l’esprit mais bien un élément concret et central de la vie de tout officier turc : comme l’a montré, documents à l’appui, le journaliste Mehmet Ali Birand, les élèves officiers ne passent pas une heure sans entendre l’invocation du nom d’Atatürk.

À quatre reprises, entre 1960 et 1997, l’armée est intervenue pour rétablir le cours normal de la vie politique. La dernière fois, elle a forcé le gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan à démissionner. Échaudés par cette expérience, certains membres de l’équipe d’Erbakan ont eux-mêmes réorganisé un parti, plus prudent : le Parti de la Justice et du Développement (AKP). Lors des élections déterminantes de 2002, ils sont arrivés en tête, devant les partis du centre discrédités et divisés, avec une majorité simple de 34 pour cent des suffrages.

La loi électorale a transformé cette majorité simple en une majorité absolue de 66 pour cent des sièges au parlement et en un cas rare de gouvernement homogène. Non seulement l’AKP a tiré habilement profit de cette situation avantageuse pour poser les fondations d’un ordre islamique mais en plus, aucun autre parti ou leader n’a émergé pour le contrecarrer. En conséquence, l’AKP a augmenté sa part de suffrages aux élections de 2007 pour atteindre un retentissant 47 % et obtenir le contrôle de 62 % des sièges au parlement.

Les succès électoraux répétés de l’AKP l’ont encouragé à abandonner sa prudence initiale pour hâter l’avancée du pays vers son rêve d’une République islamique de Turquie. Le parti a placé des partisans à la présidence et au sein du pouvoir judiciaire pendant qu’il prenait un contrôle grandissant sur l’éducation, l’économie, les médias et d’autres institutions importantes. Il a même défié la mainmise laïque sur ce que les Turcs appellent « l’État profond » - les institutions non électives comme les agences de renseignement, les services de sécurité et le pouvoir judiciaire. Seule l’armée, arbitre suprême dans l’orientation du pays, est restée hors du contrôle de l’AKP.

Plusieurs facteurs ont alors poussé l’AKP à affronter l’armée : le contrôle de l’armée par le civil, exigé pour entrer dans l’Union Européenne ; une procédure en 2008 qui a failli conduire à la dissolution de l’AKP ; l’importance grandissante de son allié islamiste, le Mouvement Gülen. L’érosion de la popularité de l’AKP (de 47 pour cent en 2007 à 29 pour cent actuellement) n’a fait que précipiter cette confrontation car cela laisse supposer la fin du gouvernement homogène de l’AKP aux prochaines élections.

En 2007, l’AKP a imaginé une théorie du complot, qu’il a appelée Ergenekon, dans le but d’arrêter environ 200 opposants au parti, parmi lesquels des officiers de l’armée, sous l’accusation de complot visant à renverser le gouvernement élu. L’armée a réagi passivement si bien que l’AKP a élevé les enjeux le 22 janvier dernier en échafaudant une seconde théorie du complot, appelée Balyoz (« massue ») et dirigée exclusivement contre l’armée.
L’armée a nié toute activité illégale et le chef d’état-major, le général Ilker Basbug, a déclaré sous forme d’avertissement : « notre patience a des limites ».

Cependant, le gouvernement a procédé, à partir du 22 février, à l’arrestation de 67 officiers en exercice et à la retraite, dont les anciens chefs des forces aérienne et navale. Jusqu’à présent, 35 officiers ont été inculpés.
L’AKP a donc jeté le gant, laissant le commandement militaire face à deux options peu attrayantes : continuer bon gré mal gré à accepter l’AKP dans l’espoir que des élections régulières en 2011 mettront fin à cette situation ou organiser un coup d’État en risquant un retour de manivelle dans les urnes et le renforcement du poids électoral des islamistes.

L’enjeu est de savoir si les offensives que sont Ergenekon et Balyoz vont réussir à transformer l’armée kémaliste en institution güleniste, ou si le coup monté flagrant de l’AKP et sa supercherie vont piquer les laïques au vif et leur faire retrouver de la voix et de l’assurance. En fin de compte, la question est de savoir si la charia (la loi islamique) va gouverner la Turquie ou si le pays va retourner à la laïcité.

L’importance de la Turquie sur le plan islamique laisse supposer que l’issue de la crise aura des conséquences pour les musulmans du monde entier. La domination de l’AKP sur l’armée signifiera que les islamistes contrôleront l’institution laïque la plus puissante de l’oumma (la communauté musulmane), prouvant par-là que, pour l’instant, rien ne peut les arrêter. Mais si l’armée conserve son indépendance, la ligne tracée par Atatürk subsistera en Turquie et offrira au monde musulman une alternative au rouleau compresseur islamiste.

L’islamisation rampante de la Turquie

Depuis 2007, suite aux élections où l’AKP a amélioré son score, Abdallah Gul, un islamiste est devenu président de la République, malgré les réticences de l’armée. Sous des prétextes fallacieux de complot de nombreux cadres laïcs de cette armée ont été jugés et jetés en prison. Des dizaines de milliers de diplômés d’écoles coraniques sont nommés en tant que juges, destinés de plus en plus à servir de futurs instruments de la loi religieuse ou shariah. L’AKP a nommé des fonctionnaires religieux à des postes importants dans le Ministère de l’éducation. Il a réussi à obtenir la levée de l’interdiction du port du foulard dans les écoles, les universités, les ministères. Une nouvelle poupée Elif a supplanté la poupée Barbie, elle s’agenouille et fait la prière islamique et, quand on appuie sur ses mains, ses pieds ou sa poitrine, elle récite des sourates du Coran en arabe. « Mein Kampf » et « les Protocoles des Sages de Sion » sont distribués partout à des centaines de milliers d’exemplaires par différents éditeurs.

La montée en puissance politique de l’AKP est le résultat des changements socio-économiques du pays. Pour encourager la modernité et le développement, Ataturk avait créé un état centralisé. Et le centre a souvent oublié la périphérie anatolienne, y compris les petites et moyennes entreprises souvent dirigées par de pieux musulmans. Durant les années 80, la réforme économique relative au libre échange et à la privatisation a bénéficié à ce groupe qui soutient le régime actuel. L’immigration massive des villages vers les villes ont renforcé le parti d’Erdogan. D’autres facteurs ont contribué à la venue de partis islamiques au pouvoir, la récession, la corruption, l’incompétence, les divisions entre les chefs de partis laïcs et une nouvelle génération de politiciens islamiques qui savent se montrer à la fois modernes et honnêtes.

En 2008, la Cour Constitutionnelle turque n’a pas réussi à interdire le parti AKP pour violation « des principes de démocratie et de laïcité de la république ». En peu de temps, l’AKP a réussi à placer la religion au dessus de la loi et Erdogan a consolidé un pouvoir à la Poutine. Grâce à des recrutements « de copinage », le 1er ministre a transformé certains corps technocratiques en rouages du parti, comme le Fonds d’épargne, d’assurance et de dépôt (TMSF), qui a tout pouvoir financier sur les affaires privées et les médias. Le TMSF est aujourd’hui presque entièrement géré par des hommes transférés d’institutions installées en Arabie saoudite. Les recrutements dans les ministères et dans les postes du gouvernement dépendent de la réussite à certains examens. Erdogan y a ajouté un processus d’interview qui lui permet de choisir des éléments loyaux politiquement. La pratique s’est étendue aux industries d’état..



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