Bandeau
DESINFOS.COM
Slogan du site

Depuis Septembre 2000, DESINFOS.com est libre d’accès et gratuit pour vous donner une véritable information indépendante sur Israël

La question des réfugiés, plus que jamais au centre des débats
L’Arche, le mensuel du judaïsme français
Article mis en ligne le 31 octobre 2001
dernière modification le 23 juillet 2003

Sari Nusseibeh met en évidence les contradictions de la position palestinienne

Sari Nusseibeh avait à peine été nommé responsable du « dossier de Jérusalem » au sein de l’Autorité palestinienne, en remplacement de Fayçal Husseini, mort en mai dernier, qu’il se signalait à l’attention des Israéliens comme des Palestiniens par des déclarations peu conventionnelles (1). S’exprimant devant un public israélien à l’Université hébraïque de Jérusalem, il dénonçait les attentats comme un phénomène « fou, épouvantable et entièrement contre-productif », dont la seule signification concrète est de persuader les Israéliens que les Palestiniens ont pour objectif non pas d’édifier un État mais de chasser les Juifs. Dans la lancée, il expliquait que le « droit au retour » des réfugiés palestiniens sur le territoire même de l’État d’Israël était une revendication dénuée de sens : en effet, disait-il, si l’on souhaite parvenir à un accord sur la coexistence de deux États, il est impossible que les Palestiniens aient un État à eux tout en conservant des visées sur l’autre État - un projet que Sari Nusseibeh résumait caustiquement en ces termes : « Un État pour les Palestiniens, et l’autre aussi pour les Palestiniens ». Sari Nusseibeh confirmait ainsi des positions exprimées avant sa nomination, notamment dans un article publié le 24 septembre 2001 par le quotidien israélien Haaretz et repris simultanément par la presse palestinienne, où il appelait de ses vœux « la conclusion d’une paix définitive entre les deux peuples » sur la base de la coexistence de deux États distincts.

De telles déclarations ont été accueillies par de nombreux Israéliens comme un rayon de soleil dans le climat sombre de l’Intifada. D’autant que Sari Nusseibeh n’est pas n’importe qui. Issu de l’une des plus grandes familles palestiniennes, fils d’un ancien ministre de la défense jordanien, ce professeur de philosophie est président de l’Université Al-Kuds. C’est aussi un nationaliste pur et dur : en échange d’une reconnaissance pleine et entière d’Israël par les Palestiniens, il exige le retrait d’Israël de la totalité des territoires, y compris Jérusalem-Est, et le démantèlement de toutes les implantations. La grande différence est qu’il ne parle pas la langue de bois, et qu’il ne se cache pas derrière l’argument des réfugiés pour instiller dans de prétendues négociations de paix un programme visant à détruire Israël de l’intérieur. Ce ralliement public d’un Palestinien de haut rang à une approche réaliste des rapports israélo-palestiniens a donc redonné de l’espoir, en Israël, aux partisans de la paix.

Dans le camp palestinien, cependant, et sans doute pour des raisons symétriques, on s’est montré nettement moins enthousiaste. Des pétitions ont commencé à circuler, exigeant de Yasser Arafat qu’il démette Sari Nusseibeh de ses fonctions. Al-Awda, un organisme basé aux États-Unis et dont la vocation est de centraliser les activités de lobbying en faveur du « droit au retour », a rendu publique une lettre de son dirigeant, Salman Abou Sitta, adressée le 20 octobre à Yasser Arafat. Évoquant la promesse faite par le président de l’OLP de « combattre sans relâche et sans compromis pour notre droit de revenir à nos maisons et à notre pays », M. Abou Sitta lui rappelle son retour à Gaza après l’échec des négociations israélo-palestiniennes de Camp David, à l’été 2000 : « Vous avez été reçu par notre peuple avec de grands honneurs, parce que vous avez tenu bon face aux énormes pressions et vous avez refusé tout compromis sur le droit au retour, ce droit essentiel et fondamental qui est le cœur de notre conflit avec le sionisme au cours des cinquante ans qui ont suivi la Nakba [la Catastrophe : terme utilisé par les Palestiniens pour désigner la création de l’État d’Israël en 1948 - NDLR]. » Affirmant parler au nom de « plus de 200 associations qui, en Palestine et partout dans le monde, aspirent à défendre le droit au retour », il proteste hautement contre les propos tenus par Sari Nusseibeh, ajoutant une remarque qui ressemble beaucoup à une menace de mort : « S’il avait prononcé ce discours en arabe dans n’importe quel camp [de réfugiés], la réponse des réfugiés envers lui aurait été rapide et décisive ».

Nullement intimidé, Sari Nusseibeh répondit le 23 octobre à ses censeurs d’Al-Awda. Le nationalisme palestinien, expliqua-t-il en substance, doit choisir entre deux stratégies. L’une consiste à demander le « droit au retour » de chacun des réfugiés, et l’autre consiste à demander un État. Après avoir soutenu la première de ces deux positions jusqu’au milieu des années 80, il est parvenu à la conclusion « que les deux stratégies sont incompatibles ». Il faut donc choisir. Selon lui, c’est la deuxième stratégie qui a été choisie ; encore faut-il le dire clairement. « Si les dirigeants palestiniens se sont engagés jusqu’ici dans une série de négociations avec Israël avec pour objectif à la fois de créer un État et de rapatrier plus de 4 millions de réfugiés dans l’Israël d’avant 1967, alors je souhaiterais fort en être informé (ne serait-ce que pour ne pas nourrir d’espoirs quant à une issue positive des négociations en cours). Si tel n’est pas le cas, ce n’est pas avec moi que vous avez un problème, et votre appel n’est pas destiné à la bonne adresse. »

En d’autres termes, Sari Nusseibeh réaffirmait sa légitimité au sein du camp nationaliste palestinien, et quant à la polémique visant sa personne, il renvoyait la balle dans le camp de Yasser Arafat.
Simultanément, dans une interview donnée le 23 octobre à l’agence Associated Press, M. Nusseibeh précisait ses propos : les réfugiés, disait-il, doivent être intégrés dans un futur État palestinien, « et non pas d’une manière qui mettrait en danger l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État majoritairement juif ». Par ailleurs, dans une interview donnée le 11 novembre à la radio israélienne, il s’attaquait au mythe, répandu chez les Palestiniens, consistant à nier au peuple juif tout lien avec Jérusalem : « Il faut reconnaître et respecter le lien existentiel des Juifs avec Jérusalem, tout comme il faut reconnaître et respecter les liens des musulmans et des Arabes avec Jérusalem. » Au même moment (VOA News, 14 novembre), M. Nusseibeh continuait de dénoncer les illusions de l’Intifada : « La violence ne sert à rien. La voie qu’il faut rechercher, c’est celle de la négociation, de la discussion, de la parole et du dialogue. »

Au nom de qui Sari Nusseibeh parle-t-il vraiment ? Sa nomination est-elle un ballon d’essai lancé par Yasser Arafat en direction des Israéliens, ou ne serait-ce qu’un leurre destiné à entretenir un double discours palestinien sur cette question cruciale entre toutes ? Ghassan Khatib, directeur d’un centre de sondages et d’analyses politiques situé à Jérusalem-Est, le JMCC, et par ailleurs militant nationaliste palestinien de longue date, est on ne peut plus clair : dans des propos rapportés le 15 novembre par l’agence Reuters, il explique que si l’Autorité palestinienne avait accepté un compromis sur la question des réfugiés il aurait été possible de parvenir à un accord lors des négociations de Camp David. « Je ne crois pas, ajoute M. Khatib, que l’Autorité palestinienne ait l’intention de faire des concessions sur le droit au retour. » Un proche de Yasser Arafat, Ahmed Abdoul Rahman, confirme ce point de vue. Selon lui, M. Nusseibeh n’a fait qu’exprimer « une opinion personnelle » qui n’engage pas l’Autorité palestinienne. « La position officielle, dit Ahmed Abdoul Rahman, consiste à demander le droit au retour des réfugiés palestiniens. »

Au moment où ces lignes sont écrites, Sari Nusseibeh est toujours vivant, bien en place, et il campe sur ses positions. Quel est son statut réel au sein de la direction palestinienne, quel poids ont ses paroles dans le contexte politique immédiat ? Il est encore difficile de le dire. Beaucoup d’Israéliens cependant - à commencer par le maire de Jérusalem, Ehoud Olmert - voient en lui ce véritable partenaire palestinien auquel ils aspirent depuis si longtemps. Quelques partisans aveugles du nationalisme palestinien, en France ou ailleurs dans le monde, devraient écouter ce que dit Sari Nusseibeh.

1. « Le retour de Sari Nusseibeh », L’Arche n°524-525, octobre-novembre 2001.



Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 4.6.0
Hébergeur : OVH
Site en cours d’évolution - dysfonctionnements ponctuels possibles