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Article paru dans le Jerusalem Post, édition Francaise, n° 587, du 24 avril 2002 - entretien avec Caroline B. Glick
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Elie Wiesel
Article mis en ligne le 24 avril 2002
dernière modification le 15 août 2003

Farouche combattant de l’antisémitisme, l’écrivain et lauréat du prix Nobel de la paix, Elie Wiesel parle la vague de violence qui déferle sur l’Europe.

Malgré sa prose mystique et lancinante, le lauréat du prix Nobel de la paix, Elie Wiesel, a réussi, dans sa brillante et unique carrière qu’il mène de par le monde depuis plus de cinquante ans, à combler le fossé entre le particularisme juif et l’humanisme universel, et ceci d’une manière inégalée.

Au cours de ces années, aussi bien pour les Juifs que pour les non-Juifs, Elie Wiesel est devenu le narrateur presque exclusif des crimes sans précédents commis par les nazis pendant la Shoa. Il est ainsi devenu la voix de la compassion comme une forme de défiance à la tyrannie et à la haine.
La semaine passée, Elie Wiesel est venu à Jérusalem pour participer à la Conférence internationale sur l’héritage des survivants de l’holocauste, qui s’est tenue à Yad Vashem. Près de 300 survivants de la Shoa, venus du monde entier ont participé à cette conférence. Ils ont voulu s’assurer que leur héritage sera transmis aux générations à venir, même et surtout lorsque le peuple Juif, ici en Israël et également de par le monde subit de nouveau des attaques.
Le mois d’Iyar, du calendrier juif, est plein de jours commémoratifs pour le peuple juif. Alors que nous pleurons encore pour les six millions de Juifs morts pendant la Shoa, vient le Yom Hazikaron nous rappeler le souvenir des 21 182 soldats tombés pour la défense d’Israël et nous avons à peine le temps de sécher nos larmes que vient la joie, les chants et les danses de la commémoration du jour de l’Indépendance, qui marque le jour où nous avons retrouvé notre terre et notre liberté.
Si en temps normal la succession de fêtes et d’événements nous donne parfois le vertige, aujourd’hui alors que nous célébrons sous le feu des terroristes et avec en arrière-plan, un monde qui nous rejette et ne reconnaît pas notre droit à nous défendre contre des ennemis qui viennent nous exterminer et qui tentent de déformer notre histoire, les mots nous manquent pour décrire ce que nous ressentons.
Dans l’interview qu’il a accordée au Jerusalem Post, Elie Wiesel s’interroge sur l’antisémitisme qui prévaut aujourd’hui et sur le sens de l’héritage de la Shoa et de notre longue histoire collective en tant que Juifs. Il tente ainsi de saisir la signification de ce qui se passe actuellement afin d’aider les Juifs - particulièrement ceux parmi nous qui n’avaient encore jamais fait l’expérience d’un antisémitisme direct - à faire face à la crise actuelle avec la même confiance en soi et la même humilité qui a été la nôtre depuis le temps du patriarche Abraham.

- Comment caractériseriez-vous l’actuel climat international qui sévit envers les Juifs et Israël ?

En un mot : hostilité. Partout où je vais, je la ressens. Elle n’est peut-être pas dirigée directement contre moi personnellement, mais je peux sentir ses vibrations. Elle est partout autour de moi. Le fait qu’en Europe, l’antisémitisme soit devenu si haineux, si bruyant et acceptable m’angoisse énormément. L’antisémitisme verbal est passé à l’acte : ils brûlent désormais des synagogues. Mon Dieu ! des Juifs sont attaqués dans les rues.

Avez-vous été personnellement la cible de cette nouvelle vague d’antisémitisme ?

Je ressens parfaitement ce climat. Même dans les lettres que je reçois, bien que, pour la plupart, elles restent positives, le pourcentage de lettres haineuses a considérablement augmenté. Je ne me souviens pas avoir reçu dans le passé tant d’insultes haineuses et tant de menaces de mort. Cela fait partie, semble-t-il, de l’actuelle ambiance de haine envers les Juifs.

Que devons- nous faire, en tant que Juifs pour lutter contre cette haine ? Comment devons-nous réagir ?

Nous devons rester unis. La solidarité doit régner parmi les Juifs en Israël et dans la diaspora. Moi j’accepte cette responsabilité et je crois en la responsabilité juive en général.

D’après vous, qu’est-ce qui a provoqué cette haine ?

Je ne pense pas que l’origine de ce climat actuel soit politique. Je pense que ce à quoi nous assistons actuellement est la retombée des événements qui ont eu lieu au cours du XXe siècle. Je crains que la haine ait été quelque peu étouffée, mais elle n’a jamais été supprimée et, aujourd’hui, elle ressurgit. Mais ce qui est nouveau et particulièrement inquiétant, c’est que l’antisémitisme, qui, lors de la première partie du XXe siècle, était le fait de l’extrême droite, est devenu un antisémitisme de gauche. L’antisémitisme de gauche prend ses racines dans la politique, et l’antisémitisme de droite a des racines religieuses et sociales.

Compte tenu des racines politiques de l’antisémitisme de gauche, pensez-vous aujourd’hui que l’on puisse établir une différence entre l’antisionisme et l’antisémitisme ?

Je pense qu’il doit y avoir une différence entre les deux. Nous devons toujours utiliser avec précaution le terme d’antisémitisme. Je pense qu’il peut y avoir un antisionisme qui ne soit pas de l’antisémitisme. Mais, de nos jours, l’antisionisme a atteint un tel degré qu’il devient de l’antisémitisme. [1] Il est difficile de déterminer exactement la cause de l’antisémitisme en Europe car il se présente plus sous couvert d’antisionisme. Malheureusement, parmi les nombreuses voix qui s’élèvent contre Israël, nombreuses sont les voix juives, et la dose de fourberie à laquelle on assiste m’inquiète beaucoup. Je pense que l’on peut dire qu’il y a une certaine authenticité dans les propos de ceux qui ont été, pendant des années, en faveur d’Israël, sur de nombreux points, et qui maintenant s’expriment contre. Mais si une personne - et il y en a beaucoup - qui n’a jamais critiqué Israël par le passé, utilise son judaïsme pour critiquer Israël, c’est une erreur. Pourquoi ces gens là n’ont-ils pas fait entendre leur voix jusqu’à présent ?

Que pensez-vous de l’antisémitisme arabe ?

En France - qui est un pays que je connais bien -, l’antisémitisme musulman prend de l’ampleur et il trouve ses racines dans l’islamisme fanatique. Lorsque vous lisez les journaux arabes, vous ne voyez pas la différence avec le Stürmer [journal antisémite nazi], ils n’ont même pas une once d’imagination. Ils usent des mêmes vieux stéréotypes. La façon dont ils diabolisent Sharon est tout simplement écoeurante.

Pensez-vous que les Juifs sont maintenant seuls et isolés dans le monde ?

Non, nous ne sommes pas seuls, nous avons encore l’Amérique à nos côtés. Nos relations avec l’Amérique restent fondées sur une tradition de valeurs démocratiques. Les communautés chrétiennes du Middle West américain aiment tellement Israël, qu’il s’agit-là d’une réelle bénédiction. Ils nous aiment
inconditionnellement. L’engagement des Etats-Unis vis-à-vis d’Israël est très profond et particulièrement celui des présidents américains. J’ai connu cinq présidents des Etats-Unis, et chacun d’eux a fait preuve d’un profond engagement envers Israël.

Que pensez-vous de l’attitude de l’Europe ?

Les Européens sont allés trop loin. Cette menace de sanctions économiques est vraiment incroyable !

Que peut faire Israël pour se défendre dans ce climat d’hostilité ?

Tout d’abord, nous ne pouvons en aucun cas accepter ce phénomène de bombes humaines. Même la guerre a ses règles, définies par la Convention de Genève. Tout acte de terrorisme est immoral. Nous devons expliquer au monde que le fait d’utiliser des gens comme bombes humaines pour tuer des innocents est absolument inconcevable.

Mais comment le faire ? Après tout, vous êtes une des seules personnes qui puisse faire passer le message aux non-Juifs. Que diriez-vous aux universalistes occidentaux ?

Je ne suis pas convaincu d’avoir très bien réussi. L’année dernière, par exemple, j’ai eu un problème. Le président tchécoslovaque Vaclav Havel et moi-même avions organisé cinq réunions pour traiter de ces problèmes, après le déclenchement de l’Intifada, mais les gens ne voulaient rien entendre. Après les attentats du 11 septembre en Amérique, on nous a demandé d’expliquer pourquoi donc les Etats-Unis étaient tant haïs dans le monde. J’ai refusé. Pourquoi rendre la tâche plus facile à ceux qui nous haïssent ? Et c’est la même chose pour l’antisémitisme. On m’a demandé pourquoi le peuple juif est tant haï et j’ai répondu : « Je ne sais pas ». Ils ont alors déclaré qu’on attendait d’Israël un comportement différent : « Vous, les Juifs, ont-ils dit, vous savez ce qu’est l’humiliation, c’est pourquoi vous devez faire attention à vos actes ». Ceux qui affirment cela sont encore les bonnes gens. Les autres nous condamnent, tout simplement.

« Jamais plus », qu’est-ce que cette expression exige du peuple juif ? Quel sorte de comportement cela requiert-il de notre part ?

En tant que Juif, nous ne devrons jamais permettre qu’une communauté juive dans le monde se sente seule. C’est la raison pour laquelle je me trouve en ce moment en Israël. Je pense qu’il est important aujourd’hui de venir montrer notre solidarité. L’autre leçon du « jamais plus » est que nous devons toujours rester sensibles à la douleur des autres peuples. C’est parce que nous avons souffert que nous devons rester sensibles. En 1975, j’avais publié un article intitulé un Juif aujourd’hui. J’y écrivais une lettre à un Palestinien. Lors d’une conférence que j’avais donnée à l’université d’Ohio, quelqu’un s’est levé et a déclaré : "Je suis un arabe, né à Jaffa, qu’avez-vous à me dire ?’ J’ai été touché. Dans ma lettre, je parlais de sa colère et je l’acceptais, mais je lui ai dit qu’en vérité, sa colère devait être tournée contre ses aînés qui l’ont trahi. Ils l’ont trahi en 1947, en 1948, en 1956 et en 1967. Pourquoi un Jordanien ne serait-il pas en colère contre le roi Hussein, qui a attaqué Israël en 1967 ? C’est la même chose aujourd’hui. Ce que j’ai écrit en 1975 est encore vrai aujourd’hui. Pourquoi ne sont-ils pas en colère contre Arafat, qui a refusé les propositions généreuses d’Ehoud Barak à Camp David ? C’est sur cela que nous devons mettre l’accent.

Que pensez-vous du fait que le comité du prix Nobel ait proposé de retirer le titre à Shimon Peres et non à Yasser Arafat ?

Je n’en ai aucune idée. Des milliers de personnes m’ont demandé de signer une pétition pour retirer le prix Nobel à Yasser Arafat. J’ai répondu que si la chose est possible, je mènerai personnellement la campagne. En fait, il est impossible de retirer à un lauréat son prix Nobel. Je suis très déçu de l’attaque des membres du comité du prix Nobel contre Shimon Peres, et cela m’inquiète beaucoup. Après tout ils savent très bien que sans Peres, Arafat n’aurait jamais obtenu le prix Nobel de la paix. Comment peuvent-ils se permettre de l’attaquer ? En tant que membres de ce comité, ils savent très bien que l’on ne peut retirer cette distinction à quelqu’un. Ils le font juste pour attaquer Peres et attaquer Israël.

Qu’avez-vous à dire aux jeunes Juifs qui, pour la première fois, ressentent l’antisémitisme, à cette génération née après l’holocauste et après 1967, qui, pour la première fois, se sent menacée, et souvent physiquement ?

Je ne suis pas sûr de connaître la réponse. La haine des antisémites envers nous en dit beaucoup plus sur eux que sur nous, et ce que nous comprenons, c’est qu’ils ont besoin d’un objet pour leur haine. Nous devons comprendre que la haine détruit celui qui hait et porte malheur à la société qui la rend possible et qui permet que cette haine existe. Nous nous sommes toujours vus et nous devons toujours continuer à nous considérer comme les fils d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Nous nous définissons par l’image que nous avons héritée, et non par ceux qui nous haïssent. Après la Shoa, Jean-Paul Sartre avait déclaré : « un Juif est un Juif parce qu’il est considéré comme Juif ». Cette affirmation est évidemment fausse, et son disciple, Benny Lévy, qui fut un révolutionnaire maoïste avant de revenir au judaïsme et qui étudie maintenant le Talmud à Jérusalem, lui a fait admettre qu’il avait fait une erreur. Jamais auparavant, ni à plus forte raison aujourd’hui, nous ne devons être définis par ceux qui nous haïssent. Nous ne devrons jamais permettre qu’une telle chose se produise.

[1] [Elie Wiesel n’a pas mis le doigt sur une cause spécifique qui aurait déclenché la vague actuelle d’antisémitisme en Europe, mais il a affirmé que les Juifs qui ont fustigé Israël ont contribué à cet actuel climat de haine.]

[Nos remerciements à Nicole Malamet (Jérusalem), qui a eu l’extrême obligeance de transcrire ce texte précieux.]



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