Me regarde pas, j’ai les nerfs aujourd’hui...

Albert Capino

jeudi 5 août 2004

L’agression de trois jeunes adolescents ce 1er août à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise, choque à plus d’un titre, mais c’est l’attitude des autorités de police et de justice pose le plus grave problème, bien au-delà du caractère de l’agression.


Selon des témoignages, un groupe « d’une quinzaine d’adolescents », s’en est pris à trois autres.

1°) Ce qui interpelle d’abord est la tournure utilisée pour décrire l’attitude de ceux qui assistaient à la scène : « Juridiquement, ce n’est pas une infraction d’être présent ».

S’il est bien évident que la seule présence sur les lieux ne peut être considérée comme une infraction, la non-assistance à personne en danger, elle, paraît tout à fait applicable dans le cas d’une rixe où quinze personnes s’acharnent sur trois. L’interruption de travail temporaire de 6 jours atteste, s’il le faut, de la violence des coups portés.

2°) Parmi les quatre personnes arrêtées, trois « sont franco-français, un seul porte un nom à consonance arabe » nous est-il rapporté.

Qu’en déduire ? Qu’une agression doit être commise par une majorité d’Arabes pour être considérée comme raciste ? Ou bien que, du fait qu’il y avait un Arabe parmi les agresseurs, cela suffit à disqualifier le caractère antisémite au nom de la sacro-sainte symétrie ?

3°) C’est la provocation qui aurait déclenché l’altercation : l’un des agresseurs aurait lancé à l’une des victimes : « t’es pas content, cassez-vous, vous allez bientôt mourir ».

Que désignait au juste le « vous » de « vous allez bientôt mourir » ?

4°) Les victimes se rendaient chez une amie et c’est en passant devant la mosquée qu’ils croisèrent leurs agresseurs, auxquels d’autres adolescents se joignirent pour transformer l’altercation en un violent pugilat. L’explication avancée est : « On avait les nerfs ».

Si je résume, trois personnes lambda se font passer à tabac par un « groupe d’une quinzaine de jeunes » qui sortent de la mosquée, et ce, juste parce qu’ils « avaient les nerfs ».

En outre : « Ils [les agresseurs] ont dit qu’ils savaient très bien que leurs victimes étaient juives, ils n’avaient pas besoin de voir la kippa, ils sont du même quartier et se connaissent. »... Sans doute pour éliminer le dernier soupçon d’antisémitisme de la bagarre ?

En fait, même s’ils savaient pertinemment qu’ils étaient Juifs et n’avaient aucun besoin de signe de reconnaissance complémentaire, ça n’en ferait pas pour autant la raison de l’agression, si ce n’est que l’une des victimes a affirmé que l’un des agresseurs l’avait frappée en criant : « Sale juif, va en enfer. »

Ce que l’on peut donc constater, à la lumière des faits aujourd’hui - même si les témoignages restent encore sujet à caution - est l’attitude ambiguë des autorités.

Elles affirment que « le caractère antisémite de l’histoire n’était pas avéré », disculpent de fait les témoins, les déchargent du grief de non assistance à personne en danger, et admettent que l’on puisse tomber sur quelqu’un à bras raccourcis à cinq contre un, pour un simple « regard » sous prétexte qu’on « avait les nerfs ».

Je ne veux en aucune manière crier au loup, pas plus que jeter de l’huile sur le feu. Je constate simplement que, dans une société déjà bien malade, au moment où Dominique de Villepin se félicite d’une évolution « plus qu’encourageante » des chiffres de la délinquance en France, c’est une manière pour le moins originale qu’ont choisi certains services de police et de justice pour lutter contre ce fléau...

Je crains que nous n’ayons bientôt à faire face à une épidémie de mythomanes du RER, pour nous inventer des agressions antisémites violentes, où personne n’a bougé.

Sauf qu’en l’occurrence, ce 1er août à Villeurbanne, la réalité a dépassé la fiction.

Voir l’article de Blandine Grosjean dans « Libération »


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