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« Une Terre sans peuple pour un peuple sans terre » : s’agit-il seulement d’une formule sioniste ?
par Diana Muir
 - Middle East Quarterly (traduction : Marc Brzustowski)
Article mis en ligne le 12 avril 2008
dernière modification le 31 janvier 2011

« Une Terre sans peuple pour un peuple sans terre » est l’une des phrases les plus souvent citées dans la littérature consacrée au Sionisme - et sans doute aussi la plus problématique. Les antisionistes citent cette phrase comme une façon parfaite de mettre en boite l’injustice fondamentale du Sionisme :

Cela signifie [selon eux] que les pionniers du Sionisme croyaient que la Palestine était inhabitée [1], qu'ils niaient - et continuent de rejeter -l'existence d'une culture palestinienne distincte [2], de plus, elle introduit comme un fait d’évidence que les sionistes ont, de tout temps, planifié une "épuration ethnique" de la population arabe [3]. De telles allégations sont, en fait, sans fondement : d'une part, elles nient la conscience réelle que les premiers sionistes avaient de la présence des Arabes de Palestine et, d’autre part, elles exagèrent l'émergence d'une identité nationale palestinienne, qui, en réalité, ne s'est seulement développée qu'en réaction à l'immigration sioniste [4]. Pas plus qu'il n'est vrai, comme le soutiennent encore les antisionistes, que les premiers sionistes employaient régulièrement cette phrase [comme un leitmotiv].

Les origines de la phrase

De nombreux commentateurs, comme le dernier grand théoricien arabe : Edward Saïd, attribuent de façon erronée la première utilisation de cette phrase à Israël Zangwill, un auteur britannique, dramaturge et poète [5]. En réalité, cette phrase fut forgée et propagée par des écrivains chrétiens au cours du XIX è siècle.

En 1831, Mohammed Ali Pasha, alors maître de l'Egypte, prit le contrôle de la Grande Syrie [et l’arracha] à la mainmise directe de l'empire ottoman, un changement politique qui conduisit le Ministère des Affaires étrangères britannique à envoyer un consul à Jérusalem. Cette évolution fut le catalyseur de l'imaginaire populaire.

La première publication mentionnant l'emploi de cette phrase apparaît sous la plume d’un membre du clergé de l'Eglise d'Ecosse, Alexander Keith, dans son ouvrage datant de 1843 : La Terre d'Israël, selon le contrat passé avec Abraham, Isaac et Jacob [6]. Keith était un penseur évangélique influent, dont le travail le plus populaire : Evidence de la vérité de la religion chrétienne tirée de l'accomplissement effectif de la Prophétie [7] , continue d'être réimprimé presque deux siècles après sa première publication. Se faisant l'avocat de l'idée que les Chrétiens devraient contribuer à encourager la (réalisation de) la prophétie biblique d'un retour des Juifs sur la Terre d'Israël, il écrivit que les Juifs étaient "un peuple sans pays, et même [exilés] de leur propre pays qui, comme il sera ensuite démontré, est, dans une large mesure, un pays sans peuple."[8] Keith était parfaitement au courant que la Terre Sainte était habitée, puisqu'il avait voyagé en Palestine en 1839, sous mandat de l'Eglise d'Ecosse et y était retourné 5 ans plus tard avec son fils, George Skene Keith, que l'on tient pour avoir été le premier photographe à visiter la Terre Sainte.

En juillet 1853, l'homme d'Etat britannique et réformiste social Lord Shaftesbury, écrivit au Ministre des affaires étrangères, George Hamilton Gordon, [devenu] Lord Palmerston, que la Grande Syrie était "un pays sans nation" qui avait besoin "d'une nation sans pays. Une chose pareille est-elle possible? A l'évidence, oui : les antiques et légitimes nobles propriétaires (lords) de ce sol, les Juifs!"[9]. Shaftesbury a argumenté dans son journal de bord que ces "fertiles et vastes régions seront bientôt sans juridiction, sans pouvoir connu et reconnu pour en réclamer la souveraineté. Le territoire doit bien être confié à tel ou tel. Il existe un pays sans nation ; et, maintenant, D.ieu dans Sa Grande Sagesse et Ses Bienfaits, nous adresse une nation sans pays"[10]. Une biographie ultérieure de Shaftesbury met cette phrase en valeur et l'expose à un auditoire plus vaste encore [11].

L'année suivant ce premier usage par Shaftesbury, un écrivain dans un magazine presbytérien annonçait à ses lecteurs qu’ : "Il est certain que le pays sans peuple et le peuple sans pays sont destinés à se rencontrer bientôt et à se posséder (se réunir) mutuellement l'un l'autre"[12], et dans un essai daté de 1858, c'est encore un autre presbytérien écossais, Horatius Bonar, qui plaidait pour la "restauration d’une Patrie en Israël... (dans lequel) nous avons un peuple sans pays, aussi bien qu'un pays sans peuple."[13]

A la suite d'un séjour en Terre Sainte, en 1881, l'Américain William Eugène Blackstone, un autre partisan de la restauration d'une population juive en Palestine, écrivait que : "cette partie de la question [consistant à savoir que faire à l'égard des Juifs victimes des persécutions tsaristes] présente une anomalie troublante - un pays sans peuple et un peuple sans pays ».[14]


Les Anglicans étaient également en faveur de ce concept. En 1884, George Seaton Bowes, un clerc de l'Université de Cambridge, plaida pour le retour des Juifs en Palestine et utilisa également cette phrase : "un pays sans peuple pour un peuple sans pays". [15]

John Lawson Stoddard, un résident de Boston disposant d’une situation privilégiée, devenu riche en voyageant vers des terres lointaines, rapporta des visions stéréotypées à son retour. Dans ses carnets de voyage, publiés en 1897, il exhortait les Juifs : "Vous êtes un peuple sans pays, il existe un pays sans peuple. Unissez-vous! Accomplissez les rêves de vos poètes anciens et de vos patriarches. Allez-y! Retournez vers le pays d'Abraham." [16]

Vers la fin du XIX è siècle, cette proposition était devenue d'usage courant aussi bien en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis, parmi les Chrétiens intéressés par un retour des Juifs en Palestine [17]. L'usage de cette phrase allait se prolonger durant les premières décennies du XX è siècle. En 1901, un missionnaire américain qui, plus tard, fut promu professeur à Yale, Harlan Page Beach, écrivait qu'il approuvait pleinement l'idée que les Juifs puissent, un jour, "lorsqu'il plaira à D.ieu, habiter le pays de leurs pères ; sans quoi, nous ne pouvons trouver aucune explication valable à [ce paradoxe :] un peuple sans terre et une terre sans peuple."[18] Dans son roman écrit en 1902, Le Sioniste, l'écrivain anglais Winifred Graham (1873-1950) place son héros juif face au congrès sioniste, qui plaide pour le retour "d'un peuple sans terre vers le pays sans peuple."[19] Augustus Hopkins Strong, un théologien important du mouvement baptiste, emploie cette phrase en 1912 [20] , et le 12 décembre 1917, un journaliste chrétien qui rédige l'éditorial du Washington Post reprend toujours cette même phrase.

La première fois qu'un Sioniste emploie cette phrase n'intervient guère avant 1901, lorsque Israël Zangwill, faisant probablement écho aux propos de Shaftesbury, écrit dans la revue New- Liberal que "la Palestine est un pays sans peuple ; les Juifs sont un peuple sans pays." [21]

 

 

Le nationalisme Juif dans son contexte

 

Bien que l'image de la Palestine en tant que "pays sans peuple" ait été le plus fréquemment avancée par les partisans chrétiens d'un retour Juif en Palestine, il serait faux de n'attribuer la perception d'une Palestine sans peuple qu’aux seuls chrétiens. Dans le contexte du XIX è siècle et dans les nombreux mouvements nationalistes qui ont captivé l'imagination occidentale, cette notion d'une restauration juive en Palestine semblait cohérente, indépendamment même de motivations religieuses. En 1891, William Blackstone envoya une lettre ouverte, connue aujourd'hui comme le Manifeste Blackstone, au Président américain Benjamin Harrison : "Pourquoi est-ce que les pouvoirs conférés au Traité de Berlin de 1878, qui donneront la Bulgarie aux Bulgares et la Serbie aux Serbes, ne rendraient-ils pas la Palestine aux Juifs?... Ces provinces, comme la Roumanie, le Monténégro et la Grèce, ont été reprises des mains des Turcs et rendues à leurs propriétaires naturels. N'en va t-il pas de même de la Palestine, comme appartenant de pleins droits aux Juifs?" [22].  Les Occidentaux du XIX è siècle associaient les peuples ou nations à des territoires, et le fait d'être un pays sans peuple n'impliquait pas que le pays ne comptait aucune population effective, mais simplement qu'elle n'avait pas de caractère national propre. 

Ce qui peut paraître curieux, si l'on regarde les choses d'un point de vue arabe, c'est le prisme à travers lequel les Occidentaux perçoivent le territoire. Selon la vision occidentale, l'Est de la Méditerranée est représenté de façon permanente par un point de l’horizon appelé "La Terre Sainte" ou "la Terre d'Israël". Parce que les Occidentaux font coïncider les pays avec des peuples, même les Occidentaux laïcs (post- chrétiens) s'attendent à trouver un peuple identifié comme cohérent avec la [notion de] Terre Sainte. Les Musulmans, cependant, n'ont jamais perçu la Palestine comme étant un pays distinct, pas plus que les Palestiniens comme formant un peuple particulier. Durant la période ottomane, la Terre Sainte et ses zones agricoles au rendement modeste étaient sous la juridiction de Beyrouth ou Damas, où vivait la plupart des familles arabes fortunées possédant des terres en Palestine. Durant cette période, les Arabes considéraient la Terre Sainte comme partie intégrante de la Syrie, Bilad ash-Sham [23]. La perception musulmane consistant à voir la Syrie et la Palestine comme deux entités distinctes ne se développa qu'au XX è Siècle [24]. Dans cette vision arabe de la période précédant la 1ère Guerre Mondiale, tout ce qui constituait Bilad ash-Sham, comprenant les portions définies par les Chrétiens et les Juifs comme étant la "Terre Sainte", était une partie intégrante des domaines arabes où ne se constituait aucune entité séparée.

Les porte-parole d'un Retour des Juifs vers Israël, lorsqu'ils envisageaient l'ensemble des habitants arabes, supposaient qu'une population arabe résidente continuerait d'y vivre après l'instauration d'un Etat Juif. Cette probabilité paraissait logique, dans la mesure où tous les Etats-Nations comprennent des minorités ethniques parmi leurs propres citoyens.

L'attaque contre ce slogan

 

Les opposants au Sionisme commencèrent à s’attaquer à ce slogan peu de temps après la publication de la Déclaration Balfour. En 1918, Ameer Rihami, un Américain d'origine libanaise, Chrétien nationaliste arabe, écrivait : "Je dirais même : "Donner la terre sans peuple au peuple sans terre", si la Palestine était réellement sans population et si les Juifs n'avaient vraiment pas de pays". Il justifiait le fait que les Juifs n'aient pas besoin de Patrie en Palestine, simplement parce qu'ils bénéficiaient partout ailleurs "de droits égaux et d'opportunités égales, c'est le moins qu'on puisse dire" [25]. L'adoption d'une telle attitude ne se limitait pas nécessairement aux seuls Arabes nationalistes. Un spécialiste du monde arabe du tout début du XX è siècle écrivait : " Leur slogan le plus fréquent : "La terre sans peuple pour un peuple sans terre" est une insulte pour les Arabes vivant dans ces contrées". [26] Le Journaliste américain, William Mc Crackan disait : "Nous avons coutume de lire dans nos journaux le slogan du Sionisme : "rendre au peuple sa terre sans peuple", alors que la vérité aurait consisté à dire que la Palestine était déjà bien peuplée par une population qui a rapidement augmenté du fait de causes naturelles." [27]


Les partisans d'un Etat binational en Palestine employaient cette phrase lorsqu'ils débattaient contre les principaux arguments sionistes. Par exemple, Robert Weltsch, éditeur du prestigieux hebdomadaire sioniste en langue allemande Juedische Rundschau, écrivait ainsi en août 1925 : "Nous pouvons bien être un peuple sans patrie, mais hélas, il n'existe pas de pays sans peuple. La Palestine comporte actuellement une population de 700 000 personnes." [28]


Les propagandistes anti-israéliens se sont emparés de la phrase, juste après la fondation de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), en 1964 [29]. Dans son discours devant les Nations Unies du 13 novembre 1974, le leader de l'OLP, Yasser Arafat déclara : "Cela affecte grandement notre peuple d'être témoin de la propagation du mythe selon lequel sa patrie était un désert jusqu'à ce que s'y épanouisse la filière de colons étrangers et que jusqu'alors elle constituait une terre sans peuple" [30]. De la même façon, dans sa "Déclaration d'Indépendance" datée du 14 novembre 1988, le Conseil National Palestinien accuse "les forces locales et internationales" de "tenter de propager le mensonge selon lequel "La Palestine est une terre sans peuple" [31]. Hannan Ashrawi, une porte-parole de l'OLP et ancienne doyenne de la faculté des beaux-arts à l'Université de Bir-Zeit, suggère que cette phrase démontre à quel point "les Sionistes essaient de nier l'existence même et l'humanité des Palestiniens"[32]. Salman Abu Sitta, fondateur et président de la Société de la Terre Palestinienne, désigne cette phrase comme "un insidieux mensonge visant à faire du peuple palestinien un peuple sans patrie" [33].

Edward Saïd citait cette phrase pour dénier à Israël jusqu'au droit d'exister sur ces territoires puisque la proclamation Sioniste aurait été fondée sur le faux postulat que la Palestine était "une terre sans peuple" [34]. De nombreux disciples de Saïd ont poussé l'argument encore plus loin [35]. Le plus connu, sans doute, est Rashid Khalidi, qui écrit : "Dès les tous premiers jours du Sionisme, beaucoup de ses soutiens européens -et d'autres- croyaient que la Palestine était vide et cultivée de façon disparate. Cette vision fut largement propagée par quelques-unes des têtes pensantes du Mouvement, tel que Théodore Herzl, Haïm Nachman Bialik, et Max Mandelstamm, alors qu'Herzl n'a jamais même mentionné les Arabes dans son oeuvre restée célèbre : The Jewish State. Elle fut rédigée sur la base du slogan sioniste largement répandu : "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre"[36].

L'argument de Khalidi est faux sur le plan factuel. Plutôt que de vérifier le contenu de : Der Judenstaat, il se réfère à un travail académique inexact [37]. Herzl a mentionné la population résidant en Palestine, bien que ce soit dans le cadre de la discussion sur la possibilité d'établir son projet d'Etat Juif. Son analyse pressentait l'impact politique qu'aurait vraisemblablement le projet sioniste sur les résidents. L'immigration, expliquait-il "se poursuit jusqu'au moment, inévitable, où la population native se sente menacée et fasse pression sur le Gouvernement pour qu'il stoppe les flux ultérieurs de Juifs. Par conséquent, l'immigration en tant que telle reste "futile" [insuffisante] à moins que nous obtenions le droit souverain de poursuivre une telle immigration" [38]. Dire qu'Herzl, au moment où il écrivait Der Judenstaat portait peu d'attention à la population existante, excepté pour évaluer son impact probable sur le Sionisme, reste juste. Prétendre qu'il "n'a jamais même mentionné" les Arabes de Palestine n'est pas vrai. Pas plus d'ailleurs que [n’est vrai] le fait que la phrase "une terre sans peuple" ait jamais apparu dans aucun livre, article ou journal intime d'Herzl [39].


Khalidi se rend également coupable d'utiliser une méthodologie frauduleuse dans l'application des règles de grammaire élémentaire. Il utilise fréquemment le terme "un peuple", dans son acception courante, en tant que quasi-synonyme de "Nation", lorsqu'il écrit : "Les Palestiniens sont un peuple ayant des droits nationaux" [40], ou encore : "Ce livre remarquable relate comment les Palestiniens en vinrent à constituer un peuple" [41]. Il justifie le terrorisme de la seconde Intifada en arguant que "la violence qui a éclaté n'est que la conséquence naturelle de la volonté d’un peuple désirant son indépendance"[42]. En somme, Khalidi n'interprète mal la proposition "un peuple" que lorsqu'il discute de la phrase "une Terre sans peuple"[43]

Beaucoup d'autres universitaires et commentateurs se sont servis de cette phrase pour discréditer le Sionisme. Le Journaliste radical Ronald Bleier, par exemple, y fait référence comme exemple d'un "Mythe du Désert" qui le rendrait semblable à la propagande nazie [44] . Norman Finkelstein, un polémiste anti-israélien, qui enseignait à l'Université De Paul de Chicago, jusqu'à ce qu'il perde son statut, liait cette phrase au même mythe désertique [45]. Lawrence Davidson, professeur d'Histoire à l'Université de West Chester de Pennsylvanie, la définit comme  "un "nettoyage ethnique" de niveau conceptuel"[46]. Jacqueline Rose, professeur d'anglais à l'Université Queen Mary de Londres, parle de cette phrase comme d'un "mensonge flagrant" [47]. Les Post-Sionistes comme Tom Segev et Joël Beinin, qui s'opposent au caractère Juif d'Israël, ont également utilisé la critique de ce slogan pour construire leurs argumentaires [48] , tout comme l'a fait l'historien révisionniste Benny Morris [49]. Même certains Sionistes ont pu être induits en erreur par de telles attaques, en interprétant mal cette phrase. Dans la revue : Commentary, Hillel Halkin suggère que des photographes [des débuts] ont pris une photo de Tel Aviv sous un certain angle pour donner consistance aux revendications sionistes des Juifs en tant que "peuple sans terre", lorsqu'ils sont retourné en Palestine, dans "un pays sans peuple"[50].

 (Est-ce même) Un slogan sioniste? 

Dans l'esprit de nombreux détracteurs du Sionisme, la formule de "la terre sans peuple" est devenue un élément de définition du péché originel du Sionisme. Mais dans quelle exacte mesure ce slogan fut-il effectivement employé par les premiers Sionistes? Le mantra officiel du Sionisme de l'époque soutenait que "l'objectif du Sionisme est de créer pour le peuple Juif une patrie en Palestine sécurisée par la loi générale » (internationale). Les groupes sionistes employaient toute une gamme d'autres slogans, dont "Torah et travail", "La Terre d'Israël pour le peuple d'Israël selon la Torah d'Israël", et "Sionisme, Socialisme et émancipation pour la Diaspora". Ceux-ci, aux côtés "d'Etat Juif", "Retour sur le sol", "Retour vers Sion", "Patrie Juive", "Une Palestine ouverte à tous les Juifs", et de loin le plus fréquent : "Foyer national Juif", étaient les slogans sionistes les plus largement répandus. Dans une recherche menée parmi les 7 journaux américains les plus importants - l'Atlanta Constitution, le Boston Globe, le Chicago Tribune, le Los Angeles Times, Le New-York Times, le Wall Street Journal et le Washington post [51]- apparaît plus de 3000 fois la mention de la phrase "Un foyer national Juif", durant l'année 1948. Aucune autre phrase, aucun autre slogan sioniste ne s'approche de ce nombre de citations. Par comparaison, on n'observe que 4 mentions de l'expression de Zangwill : "un pays sans peuple"[52], toutes se produisant avant 1906. Il n'y pas non plus trace de ses variantes : "Terre sans peuple" ou "pays sans nation". La base de données ProQuest de l'Historical Newspapers ne révèle qu’une seule utilisation de cette phrase avant 1972 : "le Texte de déclaration devant les Nations Unies de Jamal al Husseini concernant les positions arabes sur la Palestine" de 1947 : la déclaration arabe dénonce la proposition de l'ONU favorable à la partition de la Palestine"[53], dans laquelle Husseini accuse "l'Organisation Sioniste d'avoir propagé le slogan : "Donnez le pays sans peuple au peuple sans pays".

En dépit des allégations d'Husseini, Saïd et Khalidi, il n'existe aucune preuve qu'elle ait jamais constitué le slogan d'aucune organisation sioniste ou qu'elle était employée par aucun personnage-phare du mouvement. A peine une petite poignée, dans la pléthore d'articles et de livres publiés avant la naissance de l'Etat sioniste l'utilise [54]. Pour une phrase-clé attribuée aux leaders du Sionisme, il est particulièrement difficile de la trouver dans le récit historique [55].

Ceux qui ont assisté au congrès sioniste de 1905 ont attaché cette phrase à la personnalité de Zangwill [56], et elle semble être passée de mode au moment du rejet de la proposition d'établir le foyer Juif en Afrique de l'Est britannique. Dans les rares exemples où on trouve cette phrase dans les sources juives d'après 1905, c'est généralement en tant que référence spécifique à Zangwill [57], bien que parfois elle apparaisse lorsqu'un auteur juif cite un écrivain chrétien [58]

Les principaux écrivains [de l’époque] font référence à cette phrase comme à une notion brièvement utilisée quelques années plus tôt. En 1914, Chaïm Weizmann illustre par cette phrase les opinions courantes durant les premières années du mouvement [59]. L'écrivain et historien israélien Amos Elon datait l'utilisation de la phrase de 1903, mais affirmait qu'elle avait disparu du lexique autour de 1917 [60]. L'unique usage de la phrase dans le Macchabean, le journal de la Fédération des Sionistes américains, apparut en 1901 [61]. Aux alentours de 1922, le journaliste chrétien William Denison Mc Crackan décrivait cette phrase comme hors d'usage depuis longtemps [62].

A moins et jusqu’à ce que l'évidence de sa « très large utilisation » par les publications et organisations sionistes ne surgisse en pleine lumière, l'assertion selon laquelle "une terre sans peuple pour un peuple sans terre" aurait été "un slogan sioniste largement répandu"[63] doit être retirée de la circulation.

Une terre sans peuple?

Rashid Khalidi utilise cette phrase comme élément à charge contre les leaders sionistes pour les accuser d’avoir cru [et fait croire] que le pays était "vide"[64] . Edward Saïd modifie les termes de la phrase pour prétendre que les Sionistes pensaient que la Palestine était "une terre sans peuple" [65].

Mais les voyageurs tels que Keith, Blackstone, Stoddard et Zangwill (qui visita Israël pour la première fois en 1897 et dont le propre père s’y installa pour y vivre) étaient bien conscients de l'existence de la petite population arabe, à laquelle Blackstone, fait au moins référence lorsqu'il suggère qu'elle ne devrait pas être un obstacle à la restauration juive [66]. Si jamais quelques sionistes croyaient qu'Israël était réellement vide, ce n'est en tout cas pas ce qu'ils semblent penser après l'essai d'Ahad Ha Am de 1891, "La Vérité sur Eretz Israël", introduisant le débat sur les conditions de vie en Palestine [67] .

Est-ce que quelques-uns parmi les Juifs imaginaient réellement que la Terre d'Israël était une contrée à l'abandon? Peut-être. Mais il semble plus probable que les Juifs étaient aussi capables de savoir jusqu'à un certain point qu'il se trouvait suffisamment d'Arabes en Palestine pour que s'y déroulent des pogroms à Hébron et Safed en 1834, même s’ils continuaient de concilier les faits avec l'idée d'une terre sans population. Les éditeurs de The Maccabean, par exemple, estimaient en 1901 qu'il n'y avait pas plus de 150 000 Arabes en Palestine, équivalant peut-être à un tiers du nombre réel, et suggéraient l'année suivante qu'un tiers de la population était déjà composé de Juifs. Cela ne les empêcha pas de qualifier, en 1905, le pays comme "une bonne terre, mais une terre inhabitée"[68].

Le Sionisme, avec ses grands projets enthousiastes, mais sans grand pouvoir ni moyens de restaurer un vivre-ensemble juif, était un mouvement de penseurs prenant leurs désirs pour des réalités. Le traitement par Herzl de ce sujet dans The Jewish State est, en ce sens, tout-à-fait éclairant [69]. Il évoque cette population à la troisième personne et seulement lorsque la discussion porte sur les obstacles politiques qui demeurent sur la voie de la construction d'un Etat Juif.

Les Arabes étaient, évidemment, reconnus par les Sionistes et d'autres en tant que peuple qui méritait d'obtenir une souveraineté nationale. Comme Israël Zangwill le soutint au début de la 1ère Guerre Mondiale, "Les Arabes devraient reconnaître que la route vers la restauration du prestige national passe par Bagdad, Damas et La Mecque, et tous ces vastes territoires libérés pour eux et leur plus grande satisfaction, de la domination des Turcs... Les pouvoirs [Etats] qui les ont libérés ont sûrement le droit de leur demander de ne pas garder rancune contre l'infime bande de terre [Israël] nécessaire à la renaissance d'un peuple encore plus opprimé"[70].

Diana Muir est l'auteur de Réflexions autour de l'Etang de Bullough : l'économie et l'écosystème en Nouvelle-Angleterre (Presse Universitaire de Nouvelle Angleterre, 2000).

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[1] Rashid Khalidi, Palestinian Identity: The Construction of Modern National Consciousness (New York: Columbia University Press, 1997), p. 101.
[2] See for example, Hanan Ashrawi, Sydney Morning Herald, Nov. 6, 2003.
[3] Saree Makdisi, "Said, Palestine, and the Humanism of Liberation," Critical Inquiry, 31 (2005): 443; idem, "An Iron Wall of Colonization," Counterpunch, Jan. 26, 2005.
[4] Muhammad Muslih, The Origins of Palestinian Nationalism (New York: Columbia University Press, 1988).
[5] Edward Said, The Question of Palestine (New York: Times Books, 1979), p. 9.
[6] Alexander Keith, The Land of Israel According to the Covenant with Abraham, with Isaac, and with Jacob (Edinburgh: William Whyte and Co., 1843), p. 43. An 1844 review of Keith's book in The United Secession Magazine (Edinburgh), vol. 1, p. 189, highlights the phrase with its most common wording: "a land without a people, and a people without a land."
[7] Whitefish, Mont.: Kessinger Publishing, 2005 (originally published in 1826).
[8] Keith, The Land of Israel According to the Covenant with Abraham, p. 43.
[9] Cited in Adam M. Garfinkle, "On the Origin, Meaning, Use, and Abuse of a Phrase," Middle Eastern Studies, Oct. 1991, p. 543.
[10] Shaftsbury as cited in Albert Hyamson, "British Projects for the Restoration of Jews to Palestine," American Jewish Historical Society Publications, 1918, no. 26, p. 140.
[11] Edwin Hodder, The Life and Work of the Seventh Earl of Shaftsbury (London: Cassell and Co., 1887), p. 487.
[12] Anonymous review of Van de Velde, C.W.M., Narrative of a Journey through Syrian and Palestine in 1851 and 1852 (Edinburgh: Wm. Blackwood and Sons, 1854), in United Presbyterian Magazine, Wm. Oliphant and Sons, Edinburgh, 1854, vol. 7, p. 403.
[13] Horatius Bonar, The Land of Promise: Notes of a Spring Journey from Beersheba to Sidon (New York: R. Carter and Brothers, 1858), excerpted in The Theological and Literary Journal (New York), July 1858-Apr. 1859, p. 149.
[14] William Blackstone, Palestine for the Jews (Oak Park, Ill.: self-pub., 1891), reprinted in Christian Protagonists for Jewish Restoration (New York: Arno, 1977), p. 17.
[15] Sermon by C. H. Banning, cited in George Seaton Bowes, Information and Illustration, Helps Gathered from Facts, Figures, Anecdotes, Books, etc., for Sermons, Lectures, and Addresses (London: James Nisbett and Co., 1884), p. 128.
[16] John L. Stoddard, Lectures: Illustrated and Embellished with Views of the World's Famous Places and People, Being the Identical Discourses Delivered during the Past Eighteen Years under the Title of the Stoddard Lectures, vol. 2. (Boston: Balch Brothers Co., 1897), p. 113.
[17] See, for example, William Henry Withrow, Religious Progress in the Century (London: Linscott Publishing Company, 1900), p. 184; Gospel in All Lands (New York: Methodist Episcopal Church Missionary Society, Jan. 1902), pp. 199-200.
[18] Harlan Page Beach, A Geography and Atlas of Protestant Missions: Their Environment, Forces, Distribution, Methods, Problems, Results, and Prospects at the Opening of the Twentieth Century (New York: Student Volunteer Movement for Foreign Missions, 1901), p. 521.
[19] Eitan Bar-Yosef, The Holy Land in English Culture, 1799-1917: Palestine and the Question of Orientalism (New York: Oxford University Press, 2005), p. 236.
[20] Augustus Hopkins Strong, Miscellanies (Philadelphia: Griffith and Rowland Press, 1912), p. 98.
[21] Garfinkle, "On the Origin, Meaning, Use, and Abuse of a Phrase," p. 539; Israel Zangwill, "The Return to Palestine," New Liberal Review, Dec. 1901, p. 615.
[22] Yaakov Ariel, On Behalf of Israel: American Fundamentalist Attitudes toward Jews, Judaism, and Zionism, 1865-1945 (New York: Carlson Publishing, 1991), pp. 70-2.
[23] Khalidi, Palestinian Identity, p. 163.
[24] Muslih, The Origins of Palestinian Nationalism, pp. 131-54.
[25] Ameen Rihani, "The Holy Land: Whose to Have and to Hold?" The Bookman, Jan. 1918, p. 10.
[26] Norman Dwight Harris, Europe and the East (Boston: Houghton Mifflin, 1926), p. 93.
[27] William Denison McCrackan, The New Palestine: An Authoritative Account of Palestine since the Great War (Boston: Page Company, 1922), p. 250.
[28] Martin Buber, A Land of Two Peoples: Martin Buber on Jews and Arabs, Paul Mendes-Flohr, ed. (Chicago: University of Chicago Press, 2005), p. 14.
[29] Sami Hadawi, Bitter Harvest, Palestine between 1914 and 1967 (New York: New World Press, 1967), p. 10; Izzat Tannous, The "Activities" of the Hagana, Irgun, and Stern Gang: As Recorded in British Command Paper No. 6873 (New York: Palestine Liberation Organization, 1968), p. 3.
[30] Walter Laquer and Barry Rubin, eds., The Israel-Arab Reader: A Documentary History of the Middle East Conflict (New York: Penguin, 2001), pp. 174-5.
[31] "Palestinian National Council Declaration of Independence," Algiers, Nov. 14, 1988.
[32] The Sydney Morning Herald, Nov. 6, 2003.
[33] Matt Horton, "The Atlas of Palestine 1948," The Washington Report on Middle East Affairs, Aug. 2005, p. 58.
[34] Said, The Question of Palestine, p. 9.
[35] For example, Saree Makdisi, "Israel's Fantasy Stands in Way of Peace," The Arab American News (Dearborn), Feb. 5-Feb. 11, 2005; Nur Masalha, Expulsion of the Palestinians: The Concept of "Transfer" in Zionist Political Thought (Washington, D.C.: Institute for Palestine Studies, 1992), p. 6.
[36] Khalidi, Palestinian Identity, p. 101.
[37] Khalidi relies on Anita Shapira, Land and Power: The Zionist Recourse to Force, 1881-1948 (New York: Oxford University Press, 1992), p. 41.
[38] Theodore Herzl, The Jewish State, Sylvie d'Avigdor, trans. (London: Nutt, 1896); idem, The Jewish State, Sylvie d'Avigdor, trans. (New York: Dover, 1988), p. 95.
[39] Garfinkle, "On the Origin, Meaning, Use and Abuse of a Phrase," p. 539.
[40] Rashid Khalidi, "Observations on the Right of Return," Journal of Palestine Studies, Winter 1992, p. 30.
[41] Rashid Khalidi, jacket blurb for Baruch Kimmerling and Joel S. Migdal, The Palestinian People: A History (Cambridge: Harvard University Press, 2003).
[42] Rashid Khalidi, "To End the Bloodshed," Christian Century, Nov. 22-29, 2000, p. 1206.
[43] Khalidi, Palestinian Identity, p. 101.
[44] Ronald Bleier, review of "Image and Reality of the Israel-Palestine Conflict," Middle East Policy, Oct. 1999, p. 195.
[45] Norman Finkelstein, Image and Reality of the Israel-Palestine Conflict (London: Verso Books, 1995), p. 95.
[46] Lawrence Davidson, "Christian Zionism as a Representation of American Manifest Destiny," Critique: Critical Middle East Studies, Summer 2005, p. 161.
[47] Jacqueline Rose, The Question of Zion (Princeton: Princeton University Press, 2005), p. 44.
[48] Tom Segev, One Palestine, Complete: Jews and Arabs under the British Mandate (New York: Owl Books, 2001), p. 493; Joel Beinin, "Political Economy and Public Culture in a State of Constant Conflict: Fifty Years of Jewish Statehood," Jewish Social Studies, July 31, 1998, p. 96.
[49] Benny Morris, Righteous Victims: A History of the Zionist Arab Conflict, 1881-2001 (New York: Vintage, 2001), p. 42.
[50] Hillel Halkin, "The First Hebrew City," Commentary, Feb. 2007, p. 57.
[51] ProQuest Historical Newspapers database, accessed Nov. 27, 2007.
[52] The New York Times, Nov. 23, 1901, May 20, 1903; The Chicago Daily Tribune, Dec. 22, 1901; The Washington Post, Aug. 27, 1905.
[53] The New York Times, Sept. 30, 1947.
[54] See Israel Herbert Levinthal, Judaism, An Analysis and An Interpretation (New York and London: Funk and Wagnalls, 1935), p. 254; Morris Silverman, ed., Sabbath and Festival Prayerbook with a New Translation, Supplementary Readings, and Notes (New York: Rabbinical Assembly of America and the United Synagogue of America, 1946), p. 324; Max Raisin, A History of the Jews in Modern Times (New York: Hebrew Publishing Company, 1919), p. 356; The Zionist Review, Apr. 1918, p. 231; Leonard Mars, "The Ministry of the Reverend Simon Fyne in Swansea: 1899-1906," Jewish Social Studies, Winter/Spring 1988, p. 92.
[55] Alan Dowty, The Jewish State, A Century Later (Berkeley: University of California Press, 2001), p. 267.
[56] The Washington Post, Aug. 27, 1905.
[57] See "The Restoration of Judea," New York Globe editorial, May 1, 1917, reprinted in Zionism Conquers Public Opinion (New York: Provisional Executive Committee for General Zionist Affairs, 1917), p. 16; Richard James Horation Gottheil, Zionism (Philadelphia: Jewish Publication Society of America, 1914), p. 139.
[58] Walter M. Chandler statement, The American War Congress and Zionism: Statements by Members of the American War Congress on the Jewish National Movement (New York: Zionist Organization of America, 1919), p 154.
[59] Paul Goodman, Chaim Weizmann: A Tribute on His Seventieth Birthday (London: V. Gollancz, 1945), p. 153.
[60] Amos Elon, The Israelis: Founders and Sons (New York: Holt, Reinhart, Winston, 1971), p. 149.
[61] Raphael Medoff, American Zionist Leaders and the Palestinian Arabs, 1898-1948 (Ph.D. diss., Yeshiva University, 1991), p. 17.
[62] McCrackan, The New Palestine, p. 250.
[63] Khalidi, Palestinian Identity; p. 101.
[64] Ibid.
[65] Said, The Question of Palestine, p. 9.
[66] Ariel, On Behalf of Israel, p. 74.
[67] Alan Dowty, "Much Ado about Little: Ahad Ha'am's ‘Truth from Eretz Yisrael,' Zionism, and the Arabs," Israel Studies, Fall 2000, pp. 154-81.
[68] Medoff, American Zionist Leaders and the Palestinian Arabs, p. 19.
[69] Shapira, Land and Power, p. 51.
[70] Israel Zangwill, The Voice of Jerusalem (New York, Macmillan and Company, 1921) p. 110.



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