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Une entreprise de déligitimation de l’Etat d’Israël
Par Pierre Lurçat | Jerusalem Post Edition française
Article mis en ligne le 25 mai 2007

Sociologue et philosophe, Shmuel Trigano dirige la revue Controverses publiée aux éditions de l’Eclat, dont le dernier numéro est consacré aux « alterjuifs ». A l’occasion d’une conférence organisée à Jérusalem sur le thème de la délégitimation d’Israël, il revient sur la signification de ce concept et sur le danger que représentent ces Juifs ennemis d’Israël.

- Que désigne le concept d’« alterjuif » et pourquoi lui avoir consacré un numéro de votre revue ?

  • Nous souhaitions aborder un des phénomènes les plus importants des années 2000 : ce discours d’intellectuels s’exprimant « en tant que Juifs », qui a envahi les médias pour faire entendre, au nom de la morale juive et des leçons de la Shoah, une condamnation au fond de l’existence de l’Etat d’Israël, qualifié de bourreau nazi, et des communautés juives accusées de communautarisme. Les discours condamnant Israël à cette époque provenaient aux trois quarts de ces milieux-là. C’est un phénomène considérable qui demande à être analysé. Comment le définir ?

Ces milieux sont juifs, à n’en pas douter, mais ils ont choisi de se dissocier du peuple juif en situation d’adversité, pour l’accabler en se revendiquant d’un « autre » judaïsme. Le mot d’alterjuif est l’heureuse invention d’une des membres du comité de rédaction, Muriel Darmon.

Les groupes qui se sont formés à cette occasion se définissaient comme « une autre voix juive », un « judaïsme alternatif », etc. Face à ce discours, les Juifs tout court sont restés interdits. Nous avons voulu reprendre ce discours point par point et en faire l’analyse critique.

- S’agit-il d’un phénomène particulier à la France ou bien existe-t-il aussi en Israël ?

  • C’est un phénomène juif mondial allant des Etats-Unis à Israël. Ce genre de choses n’arrive qu’aux Juifs. On n’a jamais vu un intellectuel arabe se livrer à un tel jeu de massacre sur son propre peuple, se faire l’avocat de son propre abaissement, de surcroît dans une situation aussi grave.

Le postsionisme s’y inscrit totalement dans la mesure où son projet est le démantèlement du peuple juif et de l’Etat d’Israël, leur ruine morale, intellectuelle et politique. Le projet postsioniste a ceci de spécifique qu’il s’avance masqué derrière l’idéologie « droit-de-l’hommiste », qui pourrait bien être une mutation génétique du défunt marxisme, après l’effondrement de l’URSS. Je veux parler du postmodernisme. On y retrouve la même incompréhension du fait national.

Ce fut la défaillance la plus grande du marxisme. L’histoire a confondu cette défaillance qui a produit des millions de morts : après 70 ans de communisme, ce sont toutes les vieilles nations de l’Europe de l’Est colonisées par l’URSS, c’est la sainte Russie orthodoxe qui sont réapparues comme si rien ne s’était passé, confirmant la permanence du fait national.

C’est à ce moment-là du retour des nations, au moment où un nationalisme virulent secoue le monde arabe, que les postsionistes demandent à Israël de se faire hara-kiri...

C’est à cette même contestation de la nation que se livrent les « nouveaux historiens » en déconstruisant le récit national juif, selon des méthodes très douteuses qui n’ont d’universitaire que le nom. Ces intellectuels ont perdu la mesure de la critique intellectuelle ou de la contestation politique. Plus profondément, ils ont perdu le sens de la réalité.

- Est-ce un phénomène psychologique (haine de soi juive) ou bien proprement politique ?

  • L’explication de la haine de soi est une explication psychologique déresponsabilisante. Sans conteste, il y a une dimension pathologique dans ces discours où transparaît paradoxalement une véritable inflation du moi qui part de la conviction de la toute puissance des Juifs (et d’Israël).

Nous avons quelques textes de psychanalystes qui analysent ce syndrome mais nous avons voulu y voir avant tout un acte politique et intellectuel. C’est à ce titre que nous avons analysé avec beaucoup de précision le discours de ces intellectuels et contesté leurs affirmations, qui prennent beaucoup de libertés avec la rigueur intellectuelle et la connaissance historique.

Nous avons en effet assisté à une perversion des critères de la morale et de la vérité qui a campé les victimes en coupables et accusé les victimes des coups qu’elles recevaient. Leur responsabilité politique devant la société occidentale est immense car ils ont contribué à étouffer la réalité de l’antisémitisme.

Les agressions antijuives annonçaient les émeutes qui ont secoué et secouent la France. En déniant l’existence de l’antisémitisme et en en accusant les Juifs eux-mêmes, ils ont endormi les réflexes de la société et sa vigilance face au djihad mondial.

- Quel rôle remplissent les alterjuifs dans le débat politique en France ?

  • Ce qui s’est passé ces dernières années peut mieux être contemplé avec le recul. Les alterjuifs ont bénéficié d’une couverture médiatique quasi totale, tout en se plaignant d’être victimes de la censure « communautaire ».

Ils ont pris en otage l’expression de la voix juive en se présentant en professeurs de morale juive, à un moment où l’Europe, et notamment la France chiraquienne, faisaient entendre une condamnation d’Israël, complaisante envers la cause arabe, pour des raisons à la fois internes (la présence d’une communauté arabo-musulmane très importante) et externe (s’opposer aux Américains).

Aucune autre opinion n’a pu s’exprimer en ces jours-là. La voix des alterjuifs apportait une confirmation de la condamnation. La pire des choses était que l’acte d’accusation était dressé par des voix juives. Mais au fond, c’est vieux comme le monde...

- Pourquoi les alterjuifs consacrent-ils tant d’efforts à vouloir priver les Juifs du droit de parler de la Shoah ?

  • C’est que la Shoah les gêne beaucoup. Elle les gêne parce qu’elle rappelle que les Juifs ont été détruits dans la Shoah en tant que peuple, tandis que leur vision pseudo-éthique d’un Israël « conscience » de l’humanité ne résiste pas à cette confrontation.

L’alterjudéité concerne en général des milieux juifs qui se sont éloignés de la vie juive. C’est leur droit, néanmoins ils ressentent une existence juive au grand jour comme une menace et une agression envers leur façon d’être, une monstruosité. Avez-vous remarqué que ce sont les Juifs vivants qui dérangent l’ordre du monde ? Les Juifs ont l’indécence de vivre après la Shoah et de rendre un coup quand ils le reçoivent !

- Existe-t-il un lien entre le phénomène alterjuif et la réalité politique israélienne ?

  • Il ne faut pas oublier que le fléau en question est venu d’Israël. Depuis la fin des années 1990, les postsionistes et autres nouveaux historiens se sont livrés à une entreprise méthodique de destruction symbolique d’Israël, accrédités par les chaires universitaires qu’ils occupent. Le coup ne pouvait pas être plus fatal. Si Israël le dit...

Sachez que ces livres sont automatiquement traduits en France. Comment voulez-vous que réagisse le public qui reçoit ces ouvrages ? Il les prend au sérieux. Il ne fait pas de doute qu’une société israélienne dont les élites produisent un discours autodestructeur de ce type-là, est gravement malade.

- Quel danger représentent les alterjuifs ?

  • Le danger concerne l’image de soi. On ne respecte que les gens qui se respectent. Montrer un tel visage, c’est lancer aux ennemis d’Israël, hélas fort nombreux, un signal très clair les poussant à l’attaque, en leur donnant le sentiment qu’il ne reste plus qu’à donner l’estocade finale pour en finir avec les Juifs.

Par ailleurs, leur discours pseudo-moral se fonde sur une injustice à base de mépris ethnique : ils pleurent le malheur palestinien - « péché originel » d’Israël - mais restent cois sur l’injustice dont le monde séfarade a été victime de la part du monde arabe. L’Etat d’Israël n’a aucune dette envers le monde arabe et les Palestiniens.

Il y a eu un échange de populations et des spoliations bien plus importantes pour les Juifs issus du monde arabe. Leur souffrance, leur mémoire, leurs intérêts sont profondément bafoués par ce discours autoaccusatoire. C’est comme s’ils n’existaient pas alors qu’ils constituent la majorité de la population israélienne.

Les dimensions symboliques et culturelles sont capitales sur le plan politique : avant de détruire quelqu’un, on ruine son image morale, son prestige de telle sorte que le frapper devient « normal ». C’est ce qui est en jeu aujourd’hui : tous ces discours augurent-ils d’une entreprise de destruction à venir d’Israël ?


Forum Leatid Israël et la revue Controverses organisent une soirée débat sur le thème « La déligitimation d’Israël : AlterJuifs et post-sionisme », avec Itshak Adda, Eliézer Cherki, Muriel Darmon, Manfred Gerstenfeld, Pierre-Itshak Lurçat et Shmuel Trigano. Mardi 29 mai, à 20h30. Campus Kiriat Moria (Binian Mélitz), 3, Rehov Ha’Askan, Jérusalem.



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