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Motke Blum, une peinture nucléaire
Nathalie Szerman © Israël Magazine
Article mis en ligne le 25 septembre 2007
dernière modification le 26 septembre 2007

Motke Blum, l’un des plus grands noms de la peinture israélienne contemporaine, réalise des toiles ou la lumière, conjuguée sur le mode du blanc, côtoie la noirceur des fils barbelés de camps nazis. Du blanc doré ou translucide qui enveloppe des bateaux, des colombes, des anges et les murailles de Jérusalem, et sur lequel glissent des larmes noires.

« La lumière, c’est la seule chose qui compte. »

Agé de 81 ans, d’origine roumaine, Motke est grand, énergique, coiffé d’une queue de cheval, comme beaucoup de jeunes Israéliens. Les tableaux qu’il a choisi de mettre en évidence dans sa galerie du célèbre quartier des artistes de Jérusalem, Houstot Hayotser, sont blancs. Les autres tableaux, en couleurs, sont rangés de côté. Pourquoi cela ? « J’ai une fois peint Jérusalem en rouge, mais c’est un tableau que je n’arrive plus à regarder. » Il faudra se contenter de cette réponse. Il ne répondra à aucune de nos questions. Toujours à côté. Et ses toiles, il ne veut plus les commenter ; c’est à nous de savoir lire. En revanche, il nous parlera longuement de la vie, des hommes, de l’amertume assassine qui aigrit, de la nécessité de chercher la lumière et d’en apporter aux autres. « A mon âge, où l’on chasse ce qui est accessoire pour se concentrer sur l’essentiel, on s’aperçoit que cette lumière, c’est la seule chose qui compte. »

Cette expression de l’essentiel apparaît sur toutes ses toiles. Rescapé de la Shoah après trois ans en camp de concentration, Motke Blum a embarqué vers la Palestine à la fin de la deuxième guerre mondiale. Deux autres bateaux partaient en même temps. L’un deux, torpillé par les Allemands, a coulé sous ses yeux. Cela, il ne l’a jamais oublié. Presque toutes ses toiles cachent des bateaux : sous ses pinceaux, les pâtés de maisons de Jérusalem deviennent des proues qui fendent la mer. L’une de ses toiles, très grande, représente le Temple de Jérusalem vu de loin, de la proue d’un bateau qui sombre. Ce tableau est noir en bas, blanc en haut, et la confrontation de l’espoir indestructible à la tragédie de l’existence se dessine entre les deux, dans un dégradé de couleurs qui culmine dans la blancheur du Temple de Jérusalem. « Je ne comprends pas ceux qui commencent pas peindre le ciel. Je commence par le bas de la toile pour m’élever peu à peu », observe-t-il.

Ses toiles les plus récentes ne sont pas désencombrées du spectre de la Shoah.

Outre les bateaux, un autre thème récurrent, qui revient comme un leitmotiv, est celui des fils barbelés noirs. Ils traversent, cassent la lumière. Il en reste des traces même sur ses tableaux les plus sereins, où des traits noirs filiformes nous rappellent que rien n’est jamais parfait. Ses toiles les plus récentes ne sont pas désencombrées du spectre de la Shoah. Motke Blum a pourtant connu une vie mouvementée depuis ce sombre épisode de son existence :

Arrivé en Palestine en 1944, il a mené la vie du kibboutz, puis participé à la guerre d’indépendance. Diplômé de l’Académie des Arts Bezalel, il a ensuite parcouru le monde, l’Europe puis les Etats-Unis, pour parfaire ses techniques picturales auprès des grands noms de la peinture et exposer ses oeuvres. Celles-ci ont été exposées plus de 70 fois, à New York, Washington, Londres, Amsterdam, Frankfort, Marseille... mais jamais Paris ! Et bien sûr dans toutes les grandes villes d’Israël. Le ministère israélien du Tourisme a sélectionné deux de ses toiles pour représenter Jérusalem aux touristes du monde entier.

Une série de toiles regroupées sous la rubrique « nucléaire »

Motke Blum a exploré plusieurs techniques picturales : la peinture à l’huile, au pinceau et au couteau, les aquarelles, les collages, les mosaïques. Il a aussi réalisé une série de sculptures. L’une d’entre elle représente un « minian de cercueils ». Si ses thèmes de prédilection sont la Shoah , les bateaux, et Jérusalem - parfois représentée comme un camp de concentration sublimé, ou comme l’envers d’un camp de la mort, il peint aussi des colombes, des anges - noirs ou blancs, des visages, des corps - recourbés comme des foetus ou tendus vers le ciel, des paysages - souvent désolés. Parmi ces derniers, une série de toiles regroupées sur son site www.motke.com http://www.motke.com/ , sous la rubrique « nucléaire », laissent entrevoir ce que serait un monde dévasté par la « lumière noire » de la bombe. Le site se visite au son du Canon de Pachelbel. « La musique est supérieure à la peinture », estime-t-il modestement.

Mais comme en musique, en peinture l’harmonie est nécessaire. Commentant l’un de ses tableaux les plus abstraits, Motke désigne un trait noir qui s’élève au milieu de la toile : « J’ai passé beaucoup de temps à trouver la taille exacte de ce trait : s’il avait été plus petit - ou plus grand, l’harmonie de l’ensemble aurait été brisée. » Et de fait, il s’agit là d’un tableau très parlant, qui sonne comme un accord parfait . « L’abstraction s’est introduite progressivement dans mes peintures, alors que je cherchais à exprimer de la façon la plus parlante possible la petitesse et la grandeur de l’Homme tout à la fois, la douleur et la lumière."

Sa spécialité, c’est le blanc. Il en a exploré toutes les nuances possibles, à travers diverses techniques, dont certaines très peu orthodoxes. C’est ainsi qu’il a découpé une partie d’une de ses « toiles blanches », qui représente l’une des sept portes de Jérusalem, pour la recouvrir ensuite d’un film translucide. L’effet obtenu est celui de la rosée sur la pierre. Cette « fouille » du blanc correspond à un effort de renouvellement intérieur, à la recherche de la sérénité. On comprend vite que le charmant sourire de Motke Blum cache un coeur tourmenté. « Je me souviens de l’une de mes expositions où une dame, après avoir longuement contemplé mes toiles, est venue me voir à la fin pour me poser cette simple question : ’Motke, comment dormez-vous la nuit ?’ »

« Les galeries instaurent un narcissisme qui pourrit la peinture. »



Bien qu’étant mondialement reconnu dans le monde de la peinture, Motke Blum vit difficilement de son art : « Je ne sais pas me mettre en avant, me prostituer pour attirer les clients, » admet-il avec une pointe d’amertume. Il ajoute : « Les galeries sont bien sûr nécessaires puisqu’elles aident les peintres à vivre. Tant qu’un peintre n’a pas vendu, sa peinture n’est qu’un peu de couleur sur de la toile. Mais l’humilité est nécessaire en peinture, pour préserver la pureté de l’inspiration. Et les galeries instaurent un matérialisme, un narcissisme qui pourrit la peinture. » Son épouse « Shosh » l’aide de son mieux, en lui servant d’agent comme elle le peut, en lui prodiguant encouragements et critiques constructives.

Des clientes américaines entrent dans la boutique. Deux d’entre elles repartent, enchantées, avec des posters signés de l’artiste. Une autre femme, qui aura fait d’onéreuses emplettes chez le joaillier d’en face, jette un coup d’oeil aux toiles avant d’assurer « I’ll be back » (« je vais revenir ») et de quitter les lieux. Cette phrase, Motke Blum la connaît par coeur. « Elle est de ’Beback’, le pays dont on ne revient jamais ! » Peu de peintres ont connu la gloire de leur vivant. Motke Blum le sait mieux que quiconque, mais il ne se décourage pas, au contraire : « Aujourd’hui, je peints deux fois plus qu’avant, dans l’urgence. Quand l’inspiration est là, il ne faut pas la laisser partir. »



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