Bandeau
DESINFOS.COM
Slogan du site

Depuis Septembre 2000, DESINFOS.com est libre d’accès et gratuit
pour vous donner une véritable information indépendante sur Israël

Sderot, cité otage
Par Jean-Luc Slama | Jerusalem Post Edition Française
Article mis en ligne le 31 mai 2007

L’hébétude. En fin de matinée, au cimetière de Sderot, sous un ciel diaphane, une centaine de personnes se recueillent dignement devant la dépouille de Shirel Friedman, 32 ans. Une roquette a frappé de plein fouet à 19h57 son véhicule près du centre commercial. Elle succombera durant son transfert à l’hôpital grièvement blessée au ventre et aux jambes.

Agenouillée près du corps qu’elle enlace, Adéla - sa mère - sanglote. « Elle est allée me chercher un pull. Elle ne reviendra plus... » Les deux femmes très liées avaient fait quelques emplettes avant de flâner un peu.

L’émotion est intense, l’atmosphère tendue. Visages graves. Le ressentiment à l’égard du gouvernement. Rony Bar On, le ministre de l’Intérieur, tente de prononcer l’oraison funèbre. Interrompu, conspué, insulté, il rebrousse chemin. La déconvenue est douloureuse. Le maire, Elie Moyal, a tenté de le dissuader en furetant dans les allées du cimetière pour éviter « une récupération politique ».

Un homme s’est élancé à leur rencontre pour leur suggérer courtoisement de ne pas troubler ce moment pénible. Ephraïm Sneh a eu plus de chance dans la matinée. « Il n’y a pas de solution miracle », dit-il aux officiers de la défense civile. Le vice-ministre de la Défense évoque un périmètre d’intervention englobant Ashkelon au Nord et Netivot au Sud en cas d’escalade.

L’incertitude est cruelle. « Shirel voulait quitter la ville », assure Yossi Shitrit, l’épicier, un ami d’enfance. Elle habitait le quartier de Névé Eshkol avec ses deux frères. L’alerte « aube rouge » n’a pas fonctionné. Vingt secondes s’écoulent entre l’alerte et la chute d’une roquette. Deux kilomètres à vol d’oiseau séparent Beit Hanoun dans la bande de Gaza de Sderot.

« Nous en avons marre. C’est à devenir cinglé de vivre ici. Nous travaillons très peu », ajoute-t-il la mine rabougrie. Les espaces urbains sont exposés : trouver refuge d’instinct ou subir le verdict de la roulette russe.

Le collectif des commerçants s’est réuni la veille en assemblée générale dans les salons Kazablan. Les dégats économiques supplantent les affres psychologiques. L’état d’exception décrété, certaines entreprises ont voté le chômage technique.

L’esplanade de la mairie est étrangement déserte. Deux vitriers achèvent de réparer la devanture endommagée par les projectiles d’une foule en colère, la veille, à l’annonce du décès de Shirel. « Olmert démission » scandaient les manifestants qui déambulaient spontanément dans la ville avec une désinvolte tenacité. La fronde est légitime.

Le Premier ministre s’est rendu sur place, tard dans la nuit, pour la deuxième fois consécutive en moins d’une semaine. « Il n’y a pas de solution immédiate ou absolue », a-t-il chuchoté à Yolande Abecassis.

L’accalmie est relative. Un palier supplémentaire a été franchi avec la mort de la jeune femme. Un drame d’une plus grande ampleur a été évité la semaine dernière avec la chute d’une roquette sur la synagogue centrale. Une heure avant, trois cent fidèles célébraient la donation des rouleaux de la Loi...

Moyal est épuisé. Il dort peu et mal. Il fume sans discontinuer. « Que le Premier ministre comprenne notre désarroi, notre colère et notre malheur... et alors ? Il n’a pas de réponse aux Kassam », tonne-t-il. Tancé par ses conseillers municipaux, il prête le flanc à la critique dans une ville sous tension. Il rivalise d’imagination pour « aérer » ses concitoyens deux ou trois jours avec le concours du ministère de la Défense.

La mairie est démunie. Yossef Timsit ressort de son bureau, le visage figé. Affaibli. « Je n’ai plus de maison... Je dors dans ma voiture. » Colette, son épouse, et Ofek, son fils de 4 ans, ont été bléssés. Leur maison détruite par une roquette. Sderot a été déclarée « ville morte » pour protester contre l’insécurité et l’inertie gouvernementale. « Les gens ont peur. Nous sommes désespérés », affirme Tova Malka, la secrétaire du maire choquée d’avoir été témoin de la mort de Shirel Friedman.

Du chapelet de mesures égrainées par le gouvernement au défilé ininterrompu de ministres, plus de mots que d’actes. Moyal s’insurge contre les lenteurs administratives, les pesanteurs d’une bureaucratie qui ne parvient pas à se mettre au diapason en état d’urgence.

« L’administration traîne les pieds. Elle nous chipote la taxation des impôts locaux en ramenant l’allègement à 25 % au lieu des 50 % prévus. Elle tique sur chaque shekel à attribuer aux demeures endommagées. Les procédures s’enlisent... »

Un quart de ses concitoyens a quitté Sderot. D’autres tergiversent encore. Fuite ou désertion, à chacun son interprétation. La survie ne s’accommode pas de l’opinion d’un Premier ministre sous l’effet Winograd ou des statistiques froides de la défense civile dans cette drôle de guerre.

Même impopulaire, Moyal assume ses responsabilités. Le troisième âge vit sous calmants à en croire un rapport des caisses de maladie. Ils sont les laissés-pour-compte d’une « farce » pour Shlomo Arosh, un rien dévot.

La mairie est parvenue à trouver des solutions provisoires aux jeunes en affrétant des bus vers des centres aérés du Sud et du Centre. Sderot est une ville quasiment vidée de ses enfants. Les adolescents partiront une fois achevées les épreuves du bac.

La panique s’est emparée de gens dissemblables et de générations différentes. Ils cohabitent tragiquement dans un présent qui les rassemble. La mairie veut initier une politique de proximité pour l’heure improbable.

Chargé de la logistique, Yehouda Ben Mamane affiche son scepticisme sur les intentions d’Olmert concernant la construction et l’aménagement d’abris. Plus de la moitié des abris publics de la ville sont dépourvus de commodités élémentaires ou mal entretenus.

Certaines maisons individuelles ne disposent pas d’abris. Ben Mamane s’est résigné à l’impuissance de ses services. Il ne dispose que de 700 matelas pour une population estimée à près de 24 000 habitants.

Sderot est sous le feu depuis sept ans. « Plus de 1 000 roquettes ont été tirées sur la ville depuis le désengagement d’août 2005 », révèle Moyal. De l’amertume dans les yeux. Tsahal a déployé l’artillerie sur un tronçon variant de 2 à 7 kilomètres dans cette étreinte incommensurable avec la bande de Gaza.

Le mandat du maire est le contraire d’une sinécure. La protection des habitations individuelles et des immeubles est évaluée à un demi-milliard de shekels.

Aucun organisme gouvernemental ne s’attelle à cette tâche. « A Jérusalem ou à Tel-Aviv, ils n’imaginent pas notre ranc ?ur et notre rancune... Ne vous fiez pas à ce répit trompeur », observe Betty Alfassi en se mêlant avec vivacité à la conversation. Moyal songe à se démettre. Il ne se représentera pas aux municipales de 2008.

Attristé de voir des immeubles abandonnés par leurs locataires et des ruelles désaffectées. « Les gens s’en vont. » Dans les réunions de crise du conseil municipal ou avec les membres du gouvernement en pèlerinage, il est ailleurs. C’est un homme blessé. Absent.

Au milieu d’attroupements, des destins se croisent. Estie Atego est parvenue à éloigner ses deux jeunes gamins avant d’être épaulée par Sarah Ben David, rue Ahavat Israël, au bas de la mairie. Leur attente interminable et routinière est troublée par la chute sourde de roquettes de 90 et 115 mm de diamètre à l’ossature métallique rudimentaire. La psychose est collective. Et pour cause.

« L’angoisse est naturelle. Chacun selon ses variations », remarque Nadia Belli, psychologue, en invoquant des citoyens en état de choc. Les enfants de la guerre - ceux qui sont restés - enfouissent leur quotidien dans un paysage morne. Sderot est une cible obsessionnelle délaissée par insouciance.

« C’est un endroit pourri », murmure Boris en rangeant son ciselet dans sa salopette, le sourire crispé dans une mimique de dégoût. « Vais-je mourir ? » s’interroge intriguée Yarden Kedar, 8 ans, un quignon de pain dans la main, happée à son tour par cette mentalité d’assiégée.



Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 4.5.87
Hébergeur : OVH