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Je ne suis pas un prophète d’apocalypse, tout juste un penseur aux aguets qui dénonce l’horreur
NTERVIEW d’André GLUCKSMANN | Par Gilles Sitruk de SVP-Israël | IsraelValley
Article mis en ligne le 17 mai 2007

Né en France de parents juifs autrichiens, André Glucksmann est un philosophe engagé. Il se penche notamment sur les tenants, les aboutissants et les stratégies de guerre.

André Glucksmann : Un penseur aux aguets
Son premier livre, ”Le Discours de la guerre”, est publié en 1968. Dès lors, il s’engage dans de nombreuses causes qui lui tiennent à cœur et milite en faveur des résistants à l’oppression soviétique. Considéré en France comme l’un des chefs de file des nouveaux philosophes, il s’est imposé comme le penseur pro-américain par excellence, et a affiché son soutien à la cause tchétchène. Il est désormais réputé pour son franc-parler.

  • Gilles Sitruk : Vous considérez que la haine explose et fleurit sans limites, que nous sommes passés de l’âge de la bombe H à celui des bombes humaines et qu’il n’y a plus d’équilibre de la terreur jadis réglée par les grandes puissances. Comment survivre à cette haine que vous constatez et dénoncez ?
  • André Glucksmann : La haine n’est pas quelque chose de nouveau. Dans mon livre, je me réfère aux analyses des grands philosophes romains tel Sénèque ou même à la préhistoire, avec l’invention de la hache de silex...

La haine, c’est une négation de soi et des autres, symbolisée notamment aujourd’hui par la bombe humaine. La haine, c’est une différence que l’on n’assume pas. C’est une volonté d’être maître de l’autre. L’homme peut lutter contre cette haine s’il fait preuve de lucidité et courage.

  • Selon vous, la France subit une marée haute de bêtise hargneuse et prétentieuse. Quels sont vos scénarios sur l’évolution de cette situation au cours de la prochaine décennie ?
  • D’abord le scénario optimiste, souvent négligé, selon lequel les Français sont capables de prendre en compte ces pulsions de haine et leur danger, et par conséquent de lutter contre celles-ci et de les dominer sans céder. Il y a eu d’ailleurs une enquête récente qui a observé l’attitude des musulmans dans les pays occidentaux. Il se trouve ainsi que la France détient le record de tolérance réciproque (par rapport aux USA et à l’Europe), à la fois des Français à l’égard des musulmans et des musulmans à l’égard des Français qui estiment à 80 qu’il est parfaitement possible de vivre sa foi et sa religion en France. Fait encore plus incroyable, ils sont 73 de musulmans français à considérer que la coexistence avec les juifs ne leur pose aucun problème, à rapprocher des autres pays où ils ne sont que 50 % à juger cette coexistence comme normale. Ce qui induit la formidable capacité de la France à intégrer culturellement les musulmans. Et lorsqu’on propose de créer un Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, il ne s’agit pas là d’un thème raciste dans la mesure où l’immense majorité des musulmans français considère l’identité nationale française comme accueillante. On le constate dans ce sondage.
  • Récemment, un autre sondage publié par la BBC indiquait qu’Israël était vu à travers le monde comme le pays ayant l’influence la plus négative. A quoi attribuez-vous l’existence et les résultats de ce sondage ? Estimez-vous que nous assistons à la mondialisation de l’antisémitisme.
  • Oui, évidemment, car il est extraordinaire que l’opinion publique mondiale considère comme menaçant un petit pays de 7 millions d’habitants et que certains souhaitent raser ! Il s’agit là d’une pulsion anti-israélienne, donc antisémite. Ce qui recoupe mon analyse contenue dans mon livre où je dénonce trois haines essentielles : celle des juifs, des américains... et des femmes, notamment dans certains pays comme la Chine ou l’Inde où l’on trucidait les nouveaux-nés filles.
  • Le 7 juin prochain, Israël fêtera le 40ème anniversaire de la réunification de sa capitale, Jérusalem. En 1967 justement, vous publiiez votre 1er ouvrage, ”Le Discours de la Guerre”. En 40 ans, votre position par rapport à Israël a beaucoup changé. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Israël et la guerre qui l’oppose à ses ennemis ?
  • Ma position a naturellement évolué. Mais je pense que la position des israéliens a davantage évolué.

A l’époque, les israéliens pensaient avoir leur destin entre les mains, pour la 1ère fois après la longue histoire tragique du peuple juif. Je crois que ce sentiment a complètement changé et que les israéliens commencent lentement à s’apercevoir que leur sort n’est plus entre leurs mains. Qu’on soit de gauche qui a toujours considéré qu’en ”embrassant” les palestiniens, tout irait bien, ou de droite qui estimait que seule la manière forte serait payante. Une présomption de pouvoir maîtriser son destin démentie par les faits de ces dernières années. Israéliens et Palestiniens se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas seuls au monde, entourés d’une part de pays arabes non démocratiques qui, tout en opprimant leurs peuples, pratiquent la diversion en pointant du doigt Israël, et d’autre part cernés par des factions intéressées à mettre de l’huile sur le feu ou ranimer des braises.

Et puis il y a cette contradiction entre l’occident prospère qui passe pour être maître du monde et les pays émergents qui rêvent de jouir de la même prospérité. Ce qui génère des effets paralysants dans le rapport entre israéliens et palestiniens, sans compter qu’Israël pâtit du fait qu’elle est un bout d’occident et focalise l’hostilité générale sur son nom et son territoire.

Je ne crois pas pour autant que la situation soit désespérée car il n’y a pas de bloc anti-occidental mais des pulsions anti-occidentales à travers le monde. La preuve en est que 3 pays arabes ont accusé le Hezbollah d’agresseur lors de la dernière guerre du Liban : l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Jordanie. Il y a donc des scissions au sein des nations anti-occidentales.

Ainsi, la grande différence par rapport à la situation d’Israël des années 50, c’est que maintenant il y a une solidarité de destins entre Israël et la Diaspora. Ce que je veux dire, c’est que même si Israël ou la Diaspora sont annihilés, le problème demeurerait car nous sommes entrés dans la guerre entre l’Occident et le terrorisme ou le totalitarisme, et ce qui touche Israël touche désormais et de la même manière les communautés juives dans le monde.

  • Allez-vous souvent en Israël et comptez-vous y aller prochainement pour promouvoir votre livre traduit ”Le Discours de la Haine” destiné aux israéliens, et votre dernier ouvrage ”Une Rage d’Enfant” ?
  • Je vais parfois en Israël et j’y ai beaucoup d’amis. J’y retournerai en effet prochainement pour débattre avec mes amis israéliens du contenu de mon dernier livre traduit en hébreu, qui parle du crime d’indifférence - le pire parce qu’il autorise tous les autres - porté par le double aveuglement de ceux qui trouvent que le monde tourne définitivement rond et de ceux qui le décrètent incurable. Je ne suis pas un prophète d’apocalypse, tout juste un penseur aux aguets qui dénonce l’horreur que génère toute volonté d’avilir, voire de supprimer certaines populations. L’impérialisme, le fascisme, le communisme et le nihilisme actuel sont les cibles de ce combat qui trouve sa source dans mon enfance. Je le dis souvent « Savoir craindre, c’est penser. Tenir, c’est faire front ».


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