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Zubin Mehta, chef de l’Orchestre philharmonique d’Israël, parle à cœur ouvert d’Israël
Propos recueillis par Nathalie Szerman pour © Israël Magazine
Article mis en ligne le 5 février 2007
dernière modification le 21 novembre 2008

Fin 2006, Zubin Mehta a reçu le prix Kennedy avec quatre autres éminents personnages - dont Steven Spielberg - pour sa contribution à la culture américaine. Mais l’influence de Zubin Mehta, l’un des plus grands chefs d’orchestre contemporains, ne se limite pas au continent américain. Il est incontestablement l’un des meilleurs ambassadeurs d’Israël, dont il dirige l’Orchestre philharmonique depuis 1970. L’Orchestre a fêté ses 70 ans le 26 décembre 2006 à l’Auditorium Mann de Tel-Aviv, un concert qui a été retransmis dans le monde entier. Ici, Zubin Mehta nous ouvre son coeur.

Zubin Mehta : un Indien en Israël

Le 26 décembre 1936, Arturo Toscanini dirigeait le premier concert du Palestine Orchestra. Cette même année naissait Zubin Mehta, en Inde, fils de Mehli Mehta, violoniste et fondateur de l’Orchestre symphonique de Bombay. Devenu un éminent chef d’orchestre, Zubin Mehta a dirigé les Orchestres philharmoniques de Montréal, Los Angeles et New York.

En 1970, le Maestro prend les rênes de l’Orchestre philharmonique d’Israël, dont il devient directeur artistique à vie en 1981. Depuis, son destin s’est fondu avec celui d’Israël : « Je me souviens avec beaucoup d’amour de l’Etat d’Israël tel que je l’ai découvert en 1961. J’adorais ce pays. Depuis, Israël a beaucoup changé, mais Dieu merci, c’est resté un Etat démocratique. Ici, je me sens libre de dire ce que je pense. »

Zubin Mehta ne s’en considère pas moins comme Indien avant tout : « Je suis indien. Je n’ai jamais changé de passeport et n’ai aucune intention de le faire. Je vis aux Etats-Unis - à Los Angeles, mais je me sens chez moi en Israël. Voilà plus de 45 ans que je dirige l’Orchestre philharmonique d’Israël. J’ai pour ainsi dire grandi avec le pays. » Il parle couramment sept langues, dont le yiddish (mais pas l’hébreu !)

Le premier à avoir joué Wagner en Israël : « Je le regrette aujourd’hui. »

L’Orchestre philharmonique d’Israël a enchanté les cinq continents de plus de 1600 concerts. L’un des chefs les plus demandés au monde, Zubin Mehta n’a pu répondre à la proposition d’un grand groupe choral français, les Choeurs Pierre Molina, de diriger ’Le Messie’ de Haendel au pied du Mont du Temple à Jérusalem. Il a en outre refusé à plusieurs reprises de jouer dans la cathédrale de Bethlehem. « Celle-ci », explique-t-il, « ne permet pas aux auditeurs de s’asseoir ».

L’Orchestre philharmonique fêtera son 70ème anniversaire à New York et Los Angeles en février, puis ira se produire au Japon en mars. L’Orchestre prévoit ensuite de jouer Wagner à Valence et à Florence, en mai et juin. Mais avant cela, le 26 décembre 2006, c’est à Tel-Aviv qu’a eu lieu l’événement : « J’ai déjà fêté les 50ème et 60ème anniversaires de l’Orchestre philharmonique d’Israël. Beaucoup de nos amis, juifs et non juifs, sont venus se joindre à nous à l’occasion de cet événement. J’espère que ces concerts, dont certains ont été retransmis sur petit écran, ont apporté un peu de sérénité aux Israéliens. La musique est un remarquable facteur de paix ; les heures passées à un concert vous libèrent des crises de l’existence. »

Ces moments de grâce requièrent un travail colossal : « Il faut savoir distinguer dans l’interprétation entre les styles de Mozart, Brahms et Debussy. Ces trois compositeurs ont des conceptions sonores diamétralement opposées. Nous ne pouvons permettre que Debussy soit interprété comme Brahms ou inversement. » Il ne reste pas beaucoup de temps au Chef pour écouter de la musique. Mais quand il en écoute, ce ne sont pas des symphonies : il se détend avec de la musique de chambre ou de la musique indienne.

Le Maestro admet toutefois avoir aussi déclenché des crises : il fut le premier à jouer Wagner en 1981 en Israël, provoquant un scandale national. Et il le regrette : « Ce fut une erreur, non au niveau musical mais au niveau émotionnel. Il y avait encore trop de rescapés de la Shoah qui n’avaient aucune envie d’entendre Wagner. Nous les avons blessés, et je le regrette beaucoup. Ce qu’ils ressentent, nous ne pourrons jamais le comprendre. Nous ne pouvons que l’imaginer intellectuellement. »

« L’Orchestre philharmonique d’Israël est la voix, le drapeau d’Israël parmi les nations. »

Les occasions où Zubin Mehta s’est servi de la musique pour rapprocher les peuples ne manquent pas : "La musique joue un rôle politique - qu’il ne faut pas exagérer, mais tout de même : elle peut porter un message et imprégner l’esprit de milliers de personnes. Nous faisons ce que nous pouvons pour promouvoir la paix par le biais de la musique.

Quand l’Orchestre philharmonique de Berlin est venu en Israël, Israéliens et Allemands ont joué ensemble en toute beauté. Nous avons aussi joué en Pologne, en 1987, derrière le rideau de fer. Il n’y avait pas de relations diplomatiques à cette époque, juste un responsable politique israélien sur place. Nous avons visité Auschwitz, où plusieurs membres de notre grande famille orchestrale ont perdu les leurs, et après cela nous avons joué à Varsovie... Imaginez avec quelle émotion !"

L’émotion avec laquelle l’Orchestre philharmonique interprète les symphonies n’est en effet pas toujours due à des événements heureux, comme l’illustre cet autre exemple : « Alors que nous nous trouvions en 1972 à Sao Paolo au Brésil, qui fêtait les 150 ans de son indépendance, nous avons appris qu’à Munich, nos athlètes avaient été abattus. Les gens dansaient dans la rue et les feux d’artifice fusaient de toutes parts. Nous nous sentions très seuls. Mais nous avons interprété la symphonie de Mahler avec toute l’émotion que vous pouvez imaginer. La musique, la politique, l’amour se fondent en de tels instants. »

Et de conclure : « L’Orchestre philharmonique d’Israël est la voix, le drapeau d’Israël parmi les nations. Les ambassadeurs et les politiciens d’Israël le savent bien. Mais il faut nous entendre jouer à Tokyo, à Buenos Aires ou New York pour comprendre ce que cela signifie. Il faut entendre l’Orchestre philharmonique d’Israël jouer l’hymne israélien Hatikva dans un pays étranger ! »

Il a défendu Israël en Europe pendant la 2ème guerre du Liban

Aujourd’hui, Zubin Mehta s’efforce de parler pour Israël face aux nations, d’une voix posée et rationnelle : "Je ne cesse de répéter aux détracteurs d’Israël dans le monde qu’ils ne peuvent se permettre de juger Israël car ils ne vivent pas en état de guerre depuis 1948. Trois générations ont grandi dans cet état de tension. On n’est pas obligé d’être d’accord avec Israël, mais on peut au moins le comprendre.

Actuellement, Israël n’a que très peu d’amis dans le monde, notamment en Europe. Il est vrai que je ne suis pas souvent en Afrique et en Asie... Mais je peux vous assurer que cette dernière guerre [ndlr la 2ème guerre du Liban] a diminué de beaucoup le capital de sympathie d’Israël. Je me trouvais à Munich pendant la guerre, à tergiverser pour défendre Israël. Ce n’était pas facile ! Les nombres des victimes libanaises et israéliennes ne pouvaient se comparer. Or l’opinion est toujours du côté des victimes. Quand Israël souffre, les nations sont pour Israël. Mais sitôt qu’Israël réagit, l’opinion change de camp.

Cette guerre aurait pu être évitée. Le Premier ministre Rabin avait libéré 400 prisonniers pour récupérer quelques otages israéliens. Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas tenté un échange de ce type. Autant de morts pour deux soldats qui n’ont même pas été récupérés, c’est quelque chose que les gens ne peuvent comprendre en dehors d’Israël. Et comme Israël est un Etat démocratique, ce sujet est aujourd’hui au coeur du débat ici aussi ! Il aurait dû y avoir des négociations au plus haut niveau dès l’enlèvement des deux soldats."

Témoin de l’évolution d’Israël, mais aussi de celui des mouvements islamistes au Moyen-Orient, Zubin Mehta se souvient : « J’étais au Liban en 1982 - pour une seule journée, avec le général de la Police et Rafi Eytan. Déjà, à l’Est du Liban, on pouvait voir à tous les coins de rues se dresser des posters de l’ayatollah iranien. Cela ne semblait pas naturel et était très effrayant. Ce mouvement chiite, avec ses posters de l’ayatollah, s’est renforcé depuis 1982 pour devenir le Hezbollah. »

La musique peut-elle changer la donne ? Zubin Mehta en doute. Et cela bien qu’elle ait une fonction qui dépasse le plaisir qu’elle procure. Facteur de rêve et d’élévation, la musique apporte aux peuples ce dont ils ne peuvent se passer : un supplément d’âme.



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