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Barnavi : notre Coran, c’est la Liberté
Propos recueillis par Elisabeth Lévy - Le Point
Article mis en ligne le 3 novembre 2006
dernière modification le 26 novembre 2008

Cessons d’avoir honte de ce que nous sommes ! Tel est le message du plus européen des intellectuels israéliens dans « Les religions meurtrières », qui sort ce jour chez Flammarion. Confronté à l’islam fondamentaliste et révolutionnaire, l’Occident a baissé la garde. Or, si nous ne pouvons, reconnaît-il, exporter nos valeurs par la force, nous devons être capables de les défendre chez nous. A moins de devoir choisir demain entre fascistes islamistes et fascistes tout court.

Le Point : Vous appelez l’Europe et la France à un combat politique et moral contre l’islam radical. Il s’agit de comprendre ce qui lui permet de se propager. C’est au nom de la tolérance, de l’acceptation de la différence, voire du libre-arbitre que nous sommes sommés d’adhérer à une forme de relativisme culturel. En somme, c’est au nom des Lumières qu’on combat les Lumières. Comment sortir de cette contradiction ?
Elie Barnavi : Il n’y a aucune contradiction. C’est parce que nous ne sommes pas fidèles à l’héritage des Lumières que la déliquescence et l’amollissement que nous observons sont possibles. Les défenses immunitaires culturelles de la société française disparaissent parce que l’éthos républicain s’affaisse. La capacité d’aller vers l’autre, de le comprendre est l’un des plus beaux héritages des Lumières. Mais les Lumières n’exigent pas que l’on s’efface soi-même.
Les historiens ont tendance à penser que le passé se répétera. Dans cette perspective, l’islam serait simplement « en retard » et il n’y aurait qu’à attendre qu’il fasse sa Réforme ou sa révolution copernicienne.
Vous avez raison, il n’y a pas de fatalité des Lumières. On peut les avoir derrière soi, et c’est bien le problème de l’islam.
Une des spécificités de l’islam est la centralité de la conquête militaire. Mais pourquoi critiquer ceux qui cherchent dans les textes sacrés l’explication des évolutions historiques ?
L’expansion par le fer est inhérente à toute religion à prétention universelle, et le christianisme l’a largement mise en oeuvre. Les juifs ont aussi pratiqué un prosélytisme guerrier quand ils en avaient les moyens : Hérode est devenu juif après que son peuple eut été converti par le fer. Il y a dans la Bible, et même dans l’Evangile, qui est le texte sacré le plus irénique, de quoi justifier la violence : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive. » Ce sont les circonstances historiques de la naissance et du développement d’une religion qui déterminent la lecture des textes. Mahomet était un Arabe du VIIe siècle et il se comportait comme tel. On peut lire dans le Coran un message de paix, il suffit de le vouloir. Tout est possible. Je comprends la tentation d’une civilisation de l’écrit de chercher dans les textes l’explication des comportements. Mais c’est une impasse, parce qu’on ne peut pas changer les textes. On peut en revanche changer leur interprétation et la clôture de l’interprétation est l’une des causes profondes de l’évolution actuelle de l’islam - car il y a aussi des explications immédiates.
Il y a aussi, et peut-être surtout, une responsabilité de l’Occident, qui défend bien mollement son identité. L’affaire Redeker n’a pas mobilisé les foules, et vous rappelez que la défense de Salman Rushdie ne fut guère plus enthousiaste.
Je me rappelle avoir entendu Jacques Chirac traiter Salman Rushdie de « fumiste ». Je n’en croyais pas mes oreilles. S’il était un fumiste, la fatwa était peut-être un tantinet exagérée, mais on pouvait comprendre Khomeyni…
Il faut comprendre et aider les terroristes : c’est exactement ce qu’a déclaré récemment Yasmina Khadra en invoquant l’humiliation des pères.
Dans cette logique, les juifs auraient dû être un peuple de terroristes. Dès lors que nos pères ont été humiliés, persécutés, gazés, l’Allemagne, la Pologne auraient dû être à feu et à sang. Et on peut dire la même chose des Arméniens, des Africains et de tant d’autres encore.
Vous parlez des religions meurtrières parce qu’elles l’ont toutes été - et vous citez un moine bouddhiste zen d’une violence inouïe. Mais notre problème aujourd’hui n’est pas le bouddhisme…
Notre problème est l’islam fondamentaliste révolutionnaire, je tiens beaucoup à ce terme…
Que vous distinguez du fondamentalisme conservateur qu’est le wahhabisme. C’est la différence entre Al-Qaeda et l’Arabie saoudite, dites-vous. Le problème est que l’un naît de l’autre.
Oui, c’est la même lecture rigoriste de l’islam, mais avec des moyens d’action différents. Tout mouvement d’idées connaît des expressions multiples. C’est la différence entre le gauchisme révolutionnaire et la pensée de gauche, entre la bande à Baader et le marxisme. Ce qui nous intéresse n’est pas tant ce qu’ils font chez eux que la violence qu’ils exportent chez nous.
Peut-on combattre l’un en ménageant l’autre ? Tous les adeptes de cet islam fondamentaliste ne deviennent pas terroristes, mais la plupart des terroristes sont passés par le wahhabisme ou quelque chose d’approchant. De plus, dans un monde médiatisé, comment justifier le soutien au régime saoudien et la guerre contre Al-Qaeda ?
C’est une autre question, qui relève de la politique internationale. Bien sûr, on peut reprocher à l’Occident, Amérique en tête, de soutenir des régimes dictatoriaux qui nourrissent l’islamisme révolutionnaire tout en prétendant oeuvrer à la modernisation du monde arabo-musulman. Mais que faire ? Nous n’allons pas conquérir tous les pays dont le régime nous déplaît…
Aussi votre distinction entre ce qu’ils font chez eux et ce qu’ils font chez nous est-elle pertinente politiquement, mais peu satisfaisante intellectuellement. Faut-il, au nom de l’universalité de nos valeurs, imposer la minijupe à tous ?

Quand je parle de nos valeurs, je ne pense pas spécialement à la minijupe, si importante soit-elle. En réalité, les valeurs qui méritent que l’on se batte pour elles sont très peu nombreuses, et elles se ramènent toutes à la liberté, telle qu’elle s’exprime par les libertés. La liberté, c’est notre Coran. Mais nous n’avons pas les moyens de l’imposer à tout le monde.
Bref, ni choc des civilisations ni dialogue entre civilisations ?
Le dialogue des civilisations est une fausse bonne idée. Les civilisations ne sont pas des blocs susceptibles d’être représentés par un leader. Je suis plus proche d’un musulman éclairé que d’un Américain qui lutte contre l’avortement. Par ailleurs, c’est politiquement absurde. Avec Khatami, je veux bien parler politique, pas discuter civilisation. Il n’a rien à m’apprendre.
Vous êtes très optimiste concernant l’Amérique. Dès lors qu’une très large proportion de la population prend la Bible au pied de la lettre, n’y a-t-il pas un danger de régression fondamentaliste ?
Si on s’interroge sur ce que pensent les gens, sur la tonalité générale de notre civilisation, il y a de quoi s’inquiéter. Dans une optique de guerre de religions, on peut être tranquille du côté de l’Amérique. Le fondamentalisme chrétien ne prétend pas revenir sur la laïcité dans le sens classique de ce terme - la séparation par la loi du spirituel et du temporel. Cette « division du travail » a gagné, on ne reviendra pas là-dessus. De même, pour les juifs, la question est réglée. L’Etat a permis l’éclosion de mouvements violents qui n’avaient jamais existé avant, mais c’est aussi l’Etat qui y a mis bon ordre.
Alors que, dans le cas du terrorisme islamiste, les Etats islamiques n’ont nullement empêché son développement.
Là réside sans doute la singularité de la situation. L’Occident a réussi la fusion entre l’Etat et la nation, même si ce modèle est aujourd’hui partiellement dépassé. Mais dans le monde arabo-musulman, et dans le tiers-monde en général, il n’a jamais fonctionné. L’Etat, imposé de l’extérieur, y est resté une coquille vide. Il y a bien des appareils administratifs, des armées, des forces de police, tout sauf la légitimité. Les gens n’ont pas le sentiment que l’Etat est leur Etat. Dès lors que l’Etat a failli, l’identification à une communauté nationale est largement inopérante. Du coup, l’islam est devenu le principal marqueur identitaire, le seul facteur de cohésion.
D’où votre proposition de placer les Etats faillis sous tutelle internationale - ce qui n’est guère à l’ordre du jour.
C’est une utopie et pourtant seuls des protectorats onusiens permettraient de sortir les peuples de la misère, de l’ignorance et de la guerre. Il n’y a pas de démocratie qui tienne la route sans classes moyennes raisonnablement aisées et éduquées, et je ne vois pas d’autre moyen de favoriser leur émergence.
Les expériences en cours permettent d’en douter. Passons. Vous récusez cependant l’idée selon laquelle les religions ne seraient que le paravent d’ambitions politiques classiques ou la réponse à des frustrations.
C’est une très vieille illusion intellectuelle. Dans une authentique guerre de religion, la religion est une cause, un véritable ciment idéologique, pas un prétexte ou un marqueur identitaire, comme en Irlande du Nord ou en Yougoslavie.
Encore que votre citation d’Izetbegovic, le président bosniaque dont nous avons fait un symbole du combat pour la tolérance, est édifiante : « Il n’y a pas de paix ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales et politiques non islamiques. »
Je parle d’un comportement majoritaire. Dans les deux cas, seule une minorité avait la passion de Dieu qui coulait dans ses veines. Il existe un moyen simple de repérer un authentique conflit religieux, c’est la soif du martyre. Certains se joignent au combat pour des raisons d’intérêt ou avec des visées politiques. D’autres s’y opposent, et c’est comme cela qu’est né le parti des Politiques dans la France du XVIe siècle, qui a fini par l’emporter.
Seulement, dès qu’il s’agit de religion, nous ne comprenons plus rien…
C’est incontestable. Nous étions capables de comprendre les groupes anarchistes ou les communistes révolutionnaires parce qu’il s’agissait d’enfants de l’Occident. Nous pouvions même comprendre Pol Pot. Mais nous n’avons plus les capacités affective et intellectuelle de comprendre les fanatismes religieux. Du coup, nous essayons de ramener le problème à ce que nous connaissons : réglons le problème du chômage et de la misère et tout changera par enchantement. C’est faux !
Ce qui nous amène à la question cruciale et angoissante : que faire ? Si on vous suit, le combat se joue essentiellement chez nous.

Oui, l’Europe est le front principal. Ce qui complique l’affaire, c’est que l’attaque est menée simultanément sur les terrains politique et religieux. La mouvance islamiste révolutionnaire a un plan conscient de conquête, d’islamisation de l’Europe par les mosquées, les sites Internet…
Or l’Occident fatigué ne sait que dire à ceux qui se prévalent des droits de l’homme pour justifier la burqa.
Il faut leur dire que les droits de l’homme ne sont pas une abstraction et qu’ils n’autorisent pas à se couper du reste de la société. Ce qui est en jeu, c’est notre conception de l’espace public et des relations entre êtres humains. Je veux voir le visage de la personne à qui je parle. Je veux être chez moi dans nos villes. C’est une affaire de civilité. J’ai récemment entendu un député libéral anglais affirmer qu’une femme devait, au nom des droits de l’homme, être autorisée à enseigner entièrement voilée : quelle misère ! Et si on ne m’entend pas, moi, démocrate humaniste, ce sont les fascistes qu’on entendra. Il y a un vrai risque de dérive à la hollandaise dans toute l’Europe : le peuple le plus tolérant d’Europe est devenu le plus intolérant. Que cela plaise ou non, la question du seuil de tolérance se pose. Quelques femmes en burqa chez Harrods ou aux Galeries Lafayette peuvent être considérées comme un phénomène folklorique. S’il y en a partout, les gens vont devenir fous. Je ne veux pas avoir à choisir entre fascistes islamistes et fascistes tout court.
En effet, l’alternative n’est guère engageante. Reste qu’on ne voit pas poindre le réarmement politique et moral que vous appelez de vos voeux. Pour parler poliment, nous sommes dans le pétrin…
L’islamisme gagne du terrain, mais il n’a pas, tant s’en faut, gagné la partie. Il faut s’appuyer sur la masse des musulmans qui refusent cette radicalisation. Avec les autres, nous ne devons accepter aucun compromis et recourir, s’il le faut, à la coercition. Il ne s’agit pas de traquer le voile dans la rue, mais de tenir un langage de club. Nous appartenons à un club ouvert à tous, mais il a ses règles : on y joue aux échecs. Si vous voulez jouer aux dames, allez jouer ailleurs.
Aimez-la ou quittez-la ?
Dans un monde où on peut circuler librement, il n’y a aucun scandale à dire cela. Si une femme refuse que son accouchement soit confié à un médecin de sexe masculin, qu’elle aille accoucher ailleurs. Cela fait partie des règles du jeu, comme la prohibition du voile à l’école. Il faut qu’il y ait un prix à payer quand on les transgresse et quelque chose à gagner quand on les respecte. Emigrer, c’est forcément renoncer à quelque chose ; c’est pour cette raison que le multiculturalisme est un leurre qui ne conduit qu’à créer des ghettos.
Encore faut-il que l’on gagne quelque chose. Or nos élites ne croient plus que « la France est un cadeau », pour reprendre l’expression d’Alain Finkielkraut. C’est peut-être l’origine du problème…
Le problème, ce sont les élites, la pensée molle, le conformisme médiatique, l’unanimisme idiot, la perte des repères moraux qui est aussi catastrophique pour les sociétés d’accueil que pour ceux qu’on dit vouloir intégrer. Quand il faudrait marteler nos valeurs à l’école, dans les médias, on va toujours plus loin dans la sacralisation de l’individu. Depuis la Révolution française, l’Europe est confrontée à ce défi : construire une société cohérente autour de l’individu. Sur ce point, je rejoins Régis Debray : on n’y arrivera pas sans une forme ou une autre de religion civique



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