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Le Hezbollah forme ses martyrs au berceau - Réfugiés du sud du Liban, les enfants embrigadés par le Parti de Dieu sont prêts à se sacrifier.
Par Jean-Pierre Perrin - Beyrouth envoyé spécial de Libération
Article mis en ligne le 7 août 2006

Le ciel bleu n’existe pas. Il est noir comme celui de Beyrouth sous les bombes et, parfois, traversé d’avions israéliens. Sur la mer un bateau brûle : la frégate israélienne que les missiles du Hezbollah ont frappée, le 18 juillet. Dans leurs dessins, les gamins qu ont fui la banlieue sud de la capitale ont surtout retenu cet événement, célébré comme une grande victoire par le Parti de Dieu. Pas de soleil, pas de maison, pas de route qui serpente dans leurs croquis, affichés sur le pilier d’une école publique d’Achrafieh le quartier chrétien de Beyrouth, transformée en camp de réfugiés. Ils n’évoquent que la guerre et ses destructions. Un seu personnage, qui ressemble à un épouvantail et porte une étoile de David : Condoleezza Rice. Les crayons de couleur ont ét maniés avec une grande violence. Au-dessus de son dessin, un enfant a gribouillé : « Nous sommes à tes ordres, Nasrallah (le leader du Hezbollah, ndlr). »

Chansons haram . Ce ciel bleu colorié en noir, ce n’est sans doute pas seulement à cause des fumées des bombardements qui ont obscurci l’azur d’un bel été. Il y a au départ chez ces enfants venus du quartier de Dahiyeh, le fief par excellence du Hezbollah, une vision du monde hantée par l’idée du deuil, de la mouqawama (résistance) et du martyre. Le petit Walid en sait quelque chose : il fredonnait une chansonnette guimauve de Haifa Wehbe, une bimbo qui fait fantasmer tout Beyrouth, chiite qui plus est, quand Riba, 8 ans, et ses copains, à peu près du même âge, lui sont tombés dessus. T’as pas le droit de chanter ça, lui ont-ils dit, tu dois être puni. Et ils l’ont condamné à... trois jours de jeûne. Riba, justement, joue sous le préau de l’école où les familles de réfugiés trompent le temps, les femmes rassemblées autour des bébés, les hommes autour d’un café. C’est un beau gamin, vêtu de l’habituel tee-shirt que les chebab portent dans toutes les banlieues du monde arabe, malin et gentil, qui offre d’emblée au journaliste sa glace au chocolat. N’empêche qu’il a voulu affamer son copain pour un banal refrain. « Chanter, c’est haram (illicite, impur) », répond-il, sûr de son bon droit. Sa cousine Malak, 10 ans, qui veut devenir professeur, intervient : « Toutes les chansons sont haram . Sauf celles qui parlent de la guerre ou de la religion. » Même celles de la grande Fairouz, symbole d’un Liban à la fois éternel et meurtri ? « Oui. Il ne faut pas chanter l’amour. » Même discours dans les universités où les étudiants du Hezbollah sont majoritaires, ce qui leur a permis d’interdire la voix de Fairouz dans les cafétérias.

Malak porte trois hidjab l’un sur l’autre depuis l’âge de 8 ans et demi. Deux voiles serrés et, dessous, une coiffe en plastique qui les empêche de glisser. Pour rien au monde elle n’accepterait de les enlever : « C’est obligatoire. Dieu l’a voulu. Et ma famille m’oblige à les mettre pour ne pas que Dieu me punisse. » Sous le préau, quelques adolescentes tirant profit du fait que l’école se trouve dans un quartier chrétien se sont découvertes. « Elles, ce sont des débiles », tranche Malak du haut de ses 10 ans. Elle ne tend pas non plus la main aux hommes, sauf à ses oncles. Les garçons font pareil avec les filles. Et ne permettraient pas que leurs soeurs se dévoilent. Ça serait encore haram. En fait, c’est comme si une petite république islamique d’enfants s’était constituée sous le préau. Les garçons Riba, Abbas, 10 ans, Hussein, 13 ans, Ali, 14 ans, veulent tous devenir des résistants. Pourquoi ? « Pour devenir martyr », répondent-ils séparément. Ali nuance : « S’il y a la paix, je voudrais devenir footballeur. Mais s’il y a la guerre, ce serait un honneur pour moi de mourir au combat. Ma famille serait fière de moi. » Aurait-il du chagrin si l’un de ses frères tombait en martyr ? « Non. Pas trop. » La nuit dernière, les bombardements sur Beyrouth les ont réveillés et ils sont aujourd’hui très nerveux. Ont-ils eu peur ? Certainement. Mais aucun n’a le droit de le reconnaître. « Un petit peu », consent à dire Hussein. Bien sûr, Hassan Nasrallah est le héros absolu. « Il défend mon droit », dit Hussein. « Il protège la patrie », ajoute Abbas, qui ne veut pas que la guerre s’arrête « avant qu’Israël soit vaincu ».

Avant, les uns et les autres n’étaient jamais venus dans les quartiers chrétiens. Et s’ils ont voyagé, c’était pour accompagner leurs parents en Iran. « Je n’imaginais pas un tel embrigadement et un tel ancrage iranien », indique Rana Khoury, une chrétienne étudiante en sciences politiques, venue comme volontaire s’occuper des enfants. Ce centre d’accueil a été créé à l’initiative de la fondation Samir Kassir ­ un célèbre journaliste, assassiné en juin 2005 ­ et du petit parti de la Gauche démocratique. Quelque 350 personnes y ont trouvé refuge, dont 64 enfants et 20 préadolescents. Le Hezbollah voulait imposer des surveillants mais n’a pas été autorisé à le faire. « La culture de ces familles est vraiment différente de tout ce à quoi on était habitué au Liban en termes de communauté et de traditions populaires. Pourtant, mes parents appartiennent à la classe moyenne chiite, mais, à la maison, on ne faisait pas référence pour chaque acte de la vie quotidienne à un référent religieux comme Ali Khamenei (le Guide suprême iranien) ou Cheikh Fadlallah (l’ancien guide spirituel du Hezbollah) . Et, à présent, le Hezbollah décide de tout : quand il faut faire la fête ou être en deuil... », renchérit Mahmoud, un autre étudiant. Il explique : « Le gouvernement n’a jamais eu accès à ces gens. C’est le parti qui a subvenu à leurs besoins les plus élémentaires, nourriture, eau potable, éducation... Et qui, en chassant Israël du Liban-Sud (en 2000) , leur a donné une dignité. »

Sacrifice. Quelque vingt ans après la création au Liban du Parti de Dieu, à l’initiative de Téhéran, il y a désormais une génération Hezbollah, encadrée et éduquée du berceau à la tombe dans la culture du sacrifice. Il n’y a guère d’échappatoire, puisque le parti décide de tout. Même des programmes pour enfants à la télévision Al-Manar, dont le plus connu s’appelle le Petit Musulman. Pourtant, à la différence de ses copains qui ont tous représenté la guerre, Hussein a choisi de dessiner un soleil entre deux montagnes : « Il se lève sur le Liban. »



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