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Le symbole de Jérusalem dans le Judaïsme *
Shmuel Trigano
Article mis en ligne le 5 juin 2016
dernière modification le 6 décembre 2017

Jérusalem constitue un symbole à plusieurs niveaux. J’entends par symbole une représentation qui structure la conscience collective. Ces représentations collectives ne sont pas des idées évanescentes mais constituent le roc sur lequel repose la socialité humaine. Elles ont une existence en soi, une cohérence, une rationalité qui n’a rien à voir avec la Raison ou le rationalisme. Le social constitue une réalité aussi épaisse que l’économique ou le politique. Je m’intéresserai ici avant tout à la socialité propre au peuple juif.

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Dans les destructurations successives que celui-ci a connu, au long d’une très longue histoire collective, Jérusalem est devenue le visage du sujet collectif juif, du sujet souverain ou espéré souverain : le symbole au moyen duquel le « Je » collectif s’affirme par delà la dispersion, la séparation, la division, la déréliction.

L’économie de la souveraineté davidique

Cette souveraineté est, à l’origine, une construction davidique. La monarchie - si décriée dans les livres prophétiques - l’avait alors emporté sur l’anarchie inhérente à la condition juive, une anarchie qui découle du fait, unique dans les annales, qu’il y ait deux récits de fondation du peuple d’Israël : une lignée d’individus, les Patriarches, dont la Genèse est le récit, précède en effet la lignée collective, celle des 12 tribus, des fils de Jacob, dont la sortie d’Egypte (le livre de l’Exode) est le récit. C’est ce qui explique pourquoi la résurgence du sujet souverain devînt à travers l’histoire de l’exil, la figure de proue des temps messianiques, et prît les traits du messie davidique, héritier de la monarchie unifiée à Jérusalem.

Il faut s’intéresser de près à l’économie interne de cette souveraineté pour en comprendre le sens. Elle s’affirme à Jérusalem bien que David soit couronné à Hébron. C’est un signe fédérateur car Hébron reste identifiée à Juda, tribu d’origine de David, ce qui aurait signifié, si Hébron était devenue sa capitale, que la Souveraineté fédératrice qu’il instaure appartenait à sa tribu d’origine, Juda, ce qui aurait créé un déséquilibre pour l’ensemble du peuple hébreu. Si le roi vient de Juda, sa capitale est construite ainsi dans le territoire des tribus de Joseph (en l’occurence le territoire de Benjamin). Ainsi, à Jérusalem, se trouve réuni tout Israël qui a, depuis ses origines, un double visage. C’est le sens d’un verset mystérieux des Psaumes définissant Jérusalem (122,3) comme la ville « qui a été liée ensemble » (« ville d’une harmonieuse unité » traduit la Bible du Rabbinat). Ce statut fédérateur, universalisant, structurant, qui caractérise ainsi le centre de la monarchie davidique, se voit renforcé quand on connaît comment la tradition juive a compris le statut de Jérusalem dans le partage de la Terre d’Israël entre les tribus.

La part non partagée

On sait que le cadastre de la terre pré-existe à l’entrée en Canaan et que les fiefs tribaux sont attribués aux tribus par loterie et tirage au sort, ce qui récuse dans le principe l’idée d’une identité de la collectivité avec la terre. A l’inverse de l’autochtonie d’Athènes qui fonde la citoyenneté à Athènes, Israël, selon l’auto-définition d’Abraham, est « un étranger/ger- résident/toshav », « un étranger/ger » en Canaan mais un « résident/toshav » en Eretz Israël. « Canaan » et « Eretz Israël » désignent deux niveaux de la Terre, deux approches et sagesses de l’existence différentes.

Or, nous dit Rachi, qui commente Nb 10.32, « ce bien dont YHVH nous a gratifiés », le territoire de Jérusalem, c’est à dire du Temple/ Beit hamikdash/maison de la « séparation », a fait l’objet d’une transaction particulière entre les « Enfants d’Israël » qui a vu une partie de la terre - le terrain du Temple - non partagée et comme mise en gage auprès d’un tuteur jusqu’à ce que le Temple soit construit. Il fallait en effet prévoir de dédommager la tribu qui allait donner de son tterritoire pour la construction du Temple et de la ville, en l’occurence la tribu de Benjamin. On retira ainsi la ville de Jéricho du partage total, pour qu’elle devienne objet de cet échange, Jérusalem « se tenant sous » Jéricho qui, entre-temps fut confiée au fils de Jethro,Yonadav fils de Rékhav.

Dans le partage de la terre, ainsi, une part du territoire, Jéricho, ne fut pas partagée, justement le territoire par lequel Israël était entré en Canaan, le reshit/le début de la Terre d’Israël, offert ainsi en prémisses au Temple, hors partage, en don. Dès l’entrée en Canaan est ainsi posé le principe du Temple et de Jérusalem.

Les descendants de Jethro, le beau père de Moïse qui s’adjoint au peuple hébreu, (Yitro, celui qui est dans le Yeter/l’en plus, le surcroît, et pas dans la pénurie) le détiendront temporairement pour le transmettre plus tard à Benjamin, frère de celui à qui « s’ajoutera » son cadet, Benjamin, sens du nom « Joseph », le « rajouté » à ses frères après la longue stérilité de Rahel, la femme aimée, Jospeh dont l’être même « rajoute » son frère, dans une démarche assurant donc abondance et bénédiction.

Jéricho conquise au son des trompettes souflées par sept prêtres fonde ainsi Jérusalem : la première conquête, œuvre de« l’ange des armées de YHVH »(Jos. 5,14) que Josué rencontre sur son chemin, est un don, hors partage, en rapport avec le Temple, c’est à dire l’autel de la compassion et du rachat. Celui qui en bénéficiera est celui dont le nom est caché dans le nom de son aîné, Joseph, selon les paroles mêmes de sa mère lors de la naissance de ce dernier : « Dieu m’ajoutera un fils ».

De ce point de vue, Jérusalem est le reshit de la Terre d’Israël, son principe. Conquérir Jéricho dans ce sens là, c’était conquérir toute la Terre d’Israël, une conquête en vue du Temple de Jérusalem. Et c’est ce Temple qu’investira la tribu qui ne prendra pas part au partage de la Terre, qui n’aura aucun fief et sera répandue parmi toutes les autres comme pour faire lien, la tribu lévitique, d’où sortiront la famille des prêtres. L’aire du Temple ne sera ainsi le lieu d’aucune tribu en particulier, si ce n’est la tribu qui « incarnera » Israël, qui en sera le reshit offert au Temple, parce qu’elle n’aura aucune racine en Canaan, à savoir la tribu de Lévi, d’où sera séparée la famille des prêtres.

La politique de Jérusalem

La souveraineté qui y sera fondée porte ainsi en elle-même ainsi une autre souveraineté, celle du Royaume des Cieux, dont le Temple est le siège au cœur du royaume d’Israël. La politique qui s’invente à Jérusalem est singulière. La poutre maîtresse de la Cité autour de laquelle elle s’organise est non pas l’agora où les guerriers d’Athènes s’ajustaient pour le combat et le pouvoir, mais le Saint des Saints/le Séparé des séparés, c’est à dire un lieu séparé par un rideau et où l’on n’entre pas, un lieu défini cependant comme demeure/mishkan, un lieu qui échappe à l’emprise et au pouvoir de la Cité politique et pourtant lieu paradoxal de la présence divine en tant qu’il est le dernier lieu d’où la présence s’est retirée dans l’acte de la création pour faire place à l’histoire de l’homme. Le Temple est défini ainsi comme « Maison de la séparation ».

C’est la demeure, l’intériorité dans laquelle la Divinité s’est retirée pour qu’y habite l’extériorité du monde, un lieu qui recouvre (le sens de Kappara) l’extériorité du monde. C’est en ce lieu que s’assemble Israël dont un des noms est « Knesset Israël », soit « l’entrée d’Israël ». Les fenêtres du Temple avaient ainsi la forme d’un soupirail inversé, dit le Midrach, comme si la plus grande lumière était au dedans et l’obscurité au dehors, afin que l’inclinaison inversée des soupiraux diffuse la lumière intérieure au dehors.

L’universel

Tout ceci fait de Jérusalem la plus haute colline où montre l’Israël souverain pour s’adresser à l’humanité, là où il rassemble ses forces pour dire, à l’instar d’Abraham, « Me voici ! ». Le Temple accueillait significativement pour la fête de Soukkot le rite du sacrifice pour les 70 nations de la terre, nombre calqué sur celui des enfants de Jacob-Israël « qui se trouvèrent réunis en Egypte » (Gn. 46,27)

C’est le chiffre de l’universel pour la conscience hébraïque, selon le Dt 32,8-9 : « Quand le Trés Haut posa les nations/Goyim, en séparant les Enfants d’Adam, il établit les frontières des peuples/amim selon le nombre des Enfants d’Israël car son peuple est la part de YHVH et Jacob la portion de sa propriété ». Israël est ainsi la part prélevée par le Créateur sur l’humanité, de la même façon que les Lévites le sont sur le peuple d’Israël, et les prêtres, les cohanim, sur la tribu lévitique et jusqu’au grand prêtre, part prélevée sur la famille des cohanim. Cette ligne de séparations/élections successives aboutit au Temple de jérusalem. C’est dire combien, aux yeux de l’esprit prophétique, l’Assemblée d’Israël (Knesset Israel) témoigne à Jérusalem de l’assemblée de l’humanité. Et cependant Israël n’est pas compté parmi les 70 nations : à l’instar de Joseph il est caché, il est dans l’Un. C’est ce que lui diront ses frères alors qu’il se dissimule dans les habits du ministre de l’Egypte : « ils lui dirent »nous sommes douze frères, tes serviteurs, fils d’un homme un au pays de Canaan et voici, le petit est avec son père et l’un n’est pas« (Gn 42,13), l’un désignant ici Joseph. Ce qui est retranché (Joseph/l’en plus), c’est l’unité de l’origine, pour être mise au secret, à l’instar de la famille de Jacob, qui compte 70 âmes plus une. Ce qui est dans l’apparence en moins est en fait dans le »plus". A l’instar de la présence divine.

C’est cette dimension d’origine qui conduit le prophète Zacharie à sa vision (14)
« En ce jour des eaux vives s’épancheront de Jérusalem, la moitié vers la mer orientale, l’autre vers la mer occidentale... YHVH sera roi sur toute la Terre. En ce jour YHVH sera un et unique sera son nom... Jerusalem retrouvera ses habitants et ne sera plus livrée à l’anathème. Oui Jérusalem sera désormais en sécurité ». Espérance d’une humanité une dans sa multiplicité.

Aujourd’hui

Qu’en est-il aujourd’hui ? Je ne ferai qu’une seule remarque. L’Israël actuel, tout en faisant revenir les enfants dans les rues de Jérusalem, Israël, dans sa globalité, n’est pas encore, sur le plan symbolique, à la hauteur de sa présence à Jérusalem. Dans l’imaginaire collectif, Jérusalem fait figure de ville de province retardataire et éloignée, à l’avantage de Tel Aviv. Les gauchistes disent même qu’il y a deux Etats en Israël : l’Etat de Tel Aviv et l’Etat de Jérusalem. Les statistiques disent que les jeunes générations la fuient. La scéurité comme on l’a vu en 2016n’est pas toujours assurée.

Il y a un déficit de la souveraineté d’Israël, de l’Israël éternel, à Jerusalem. Un acte symbolique lors de la conquête de la « vieille ville » en 1967 en témoigne et en a posé le cadre : Moshe Dayan remit les clefs du Mont du Temple au Wakf musulman, comme si il avait ressenti une incapacité à gérer cette situation symbolique. Les événements d’aujourd’hui montrent que ce n’était pas là une preuve de sagesse mais une erreur stratégique et je dirai une erreur symbolique et métapolitique. L’ennemi l’a bien saisi qui utilise aujourd’hui cette faille morale d’Israël, pour déraciner, croît-il, l’ensemble de l’existence de la souveraineté sur la Terre d’Israël.

Le mouvement islamiste israélien tout comme la « Liste Arabe Unifiée », qui ont des représentants à la Knesset, utilise cet embryon de souveraineté palestinienne, non politique pour l’instant mais symbolique, pour abattre, d’abord symboliquement puis politiquement, la souveraineté politique d’Israël, celle qui n’a pas voulu garder les clefs du Mont du Temple et y faire respecter la tolérance religieuse. Les Juifs y sont interdits. C’est bien le sens de ce que l’on a vu à l’UNESCO avec la résolution présentée en 2016 par l’Autorité palestienne et soutenue par la France et d’autres Etats européens déniant aux Juifs ( pas seulement à Israël ou aux Israéliens, mais aux Juifs et au judaïsme) tout lien ne serait-ce qu’historique avec le Mont du Temple et le Mur occidental. Le monde juif mesure là le point zéro de sa démission spirituelle et politique. Là où elle retentit sur son existence, sa survie même.

La résurgence de la souveraineté d’Israël à Jérusalem est un événement cataclysmique sur le plan symbolique. Il tient du réveil d’un volcan éteint depuis vingts siècles, un volcan sur les cendres duquel l’Occident chrétien comme l’Orient musulman avaient crû se fonder, tablant sur l’extinction existentielle et la déchéance spirituelle définitives du peuple d’Israël. Elle intime à Israël de puiser dans son âme les ressources d’une bravoure métaphysique et de l’esprit prophétique.

Pour aller plus loin : travaux de Shmuel Trigano
Philosophie de la Loi, l’origine de la politique dans la Tora, (Le Cerf, 1991) , Le judaïsme et l’esprit du Monde, Grasset, 2011, Politique du peuple juif, François Bourin, , Quinze ans de solitude, Berg International, 2015, Le nouvel Etat juif, Berg International, 2015.

*Communication au colloque international de Schibboleth- Actualité de Freud, « Si c’était Jérusalem... », le 18 avril 2016, à Jérusalem. Publication des actes par la maison d’édition In Press, sous la direction de Michel Gad Wolkowicz, à la rentrée 2016.



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