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Commémoration officielle à la mémoire des victimes des persécutions antisémites et racistes
Discours d’Éliane Klein / crif Région Centre
Article mis en ligne le 20 juillet 2014

En ce jour de commémoration officielle à la mémoire des victimes des persécutions antisémites et racistes - les Juifs et les Tziganes- commises par l’Etat français sous l’autorité du gouvernement de Vichy et en hommage aux Justes de France, je dédie mes paroles aux « Justes des Nations », ces hommes et ces femmes de toutes origines, souvent modestes, connus ou anonymes, qui ont sauvé des Juifs, en particulier des enfants, pendant l’occupation, malgré les risques encourus. Ils témoignent que les êtres humains peuvent avoir d’autres options que la soumission à un Régime criminel.

Je rends hommage aux Résistants, aux anciens déportés, aux derniers témoins et à tous ceux, anonymes, dont le courage et la détermination ont concouru à vaincre la menace totalitaire. Car, comme l’a dit Madame Simone Veil, « face à la folie exterminatrice, face à l’horreur du système nazi, il y a eu l’amitié et l’humanité qui ont su résister. Ce sont les 2 faces des êtres qui ont été mêlés à cette monstrueuse entreprise. »

Cependant , je m’interroge, plus que jamais, sur le sens de cette commémoration : la commémoration officielle peut avoir son revers, celui de figer la mémoire et de la banaliser si l’on s’en tient aux formules compassionnelles ou incantatoires, au sempiternel « plus jamais ça », qui n’engagent à rien, qui sont souvent source d’oubli et qui sont régulièrement trahis dans le monde depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.

"Que reste-t-il des cris des enfants juifs innocents arrachés à leur mère, dans une commémoration institutionnalisée ?( Georges Bensoussan).

Certains, en France, se plaignent d’un « trop plein » de commémorations, suscitant l’envie ou le rejet, en y voyant une marque de complaisance, un geste sans signification, ou même, un signe d’ethnocentrisme des Juifs de France.

Face à ce questionnement et à ces critiques, j’affirme la nécessité de ces moments de remémoration collective en ce lieu de mémoire privilégié (Place de la République), qui s’inscrivent dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir et de transmettre, et dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.

Ce geste s’inscrit dans notre fidélité et le sentiment d’une dette envers un monde anéanti.

Il ne s’agit pas« d’un culte idolâtre, mais la volonté de savoir, dans son détail et son système, ce qui a eu lieu.. de découvrir la politique de la barbarie »(Alain Finkielkraut).

Il s’agit de réfléchir à ce crime contre l’Humanité, la Shoah, perpétré sur le sol européen crime de masse advenu dans le silence des nations.

Réfléchir aux terribles évènements qui se sont produits si près d’ici, dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande, après la Rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942:13.000 Juifs, dont plus de 4.00 enfants, y furent internés avant d’être envoyés directement, ou via Drancy dans le camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, pour y être assassinés. Leur « crime », pour les nazis et leurs complices : Etre nés (juifs).

A la source de notre réflexion, il y a l’impératif de la connaissance rigoureuse des faits, de leur chronologie, du cheminement idéologique qui a entrainé la séparation, l’exclusion, puis la mise à mort d’une grande partie du Peuple juif. Faits accomplis avec la complicité active du Régime de Vichy.

Ce qui s’est passé là est l’un des épisodes les plus tragiques de notre histoire : la collaboration du gouvernement de Pétain à un crime sans précédent, la Shoah, une « césure » dans l’Histoire, l’anéantissement programmé de tout un Peuple.

Face à un tel évènement, il nous incombe, non de tourner la page, mais de mettre en lumière le « comment » et le « pourquoi » de ce désastre inouï.

C’est un travail difficile car nous sommes entrés dans le temps des mémoires courtes, de l’accélération de l’Histoire mondialisée, médiatisée, où chaque évènement, chaque image, chasse l’autre et souvent l’efface.

Et puis, il y a la tentation de l’oubli, « le présent qui nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l’oubli des choses révolues »( Vladimir Jankélévitch), d’autant que l’histoire de la Shoah est « insupportable au premier sens du terme. » ( Georges Bensoussan, extrait du discours à la réception de son prix "Mémoire de la Shoah).

Enfin, la lassitude, le déni ou, pire , la banalisation, l’emportent chez certains.

Face à cela, je cite de nouveau le philosophe Vladimir Jankélévitch :« les morts dépendent entièrement de notre fidélité. Ces offensés nous incombent... »Alain Finkielkraut ( Une voix vient de l’autre rive) écrit :« il y a les plaisirs et les soucis de la vie et il y a la prière que nous adressent les morts...il faut leur répondre ».

Aussi le geste que nous accomplissons ici s’inscrit dans notre volonté de regarder la vérité en face, de connaître et de transmettre le plus fidèlement et le plus rigoureusement possibles l’histoire de ces vies brisées, l’histoire de ceux dont on a voulu effacer jusqu’à la trace de leur mort, l’histoire d’hommes, de femmes, d’enfants vivants et non des abstractions historiques.

Dans cette démarche, il nous faut écouter les survivants, de plus en plus rares au fil du temps, même s’il y a une distance infranchissable entre l’expérience que nous n’avons pas vécue et le récit qui nous parvient.

L’édification de notre mémoire requiert l’Histoire , la rigueur de ses méthodes.

A cet instant je rappellerai quelques faits, rigoureusement établis par les travaux de nombreux historiens, français ou étrangers, mettent en lumière le rôle du régime de Vichy comme auxiliaire de la politique génocidaire des nazis.

La Rafle du Vel d’Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en oeuvre par le gouvernement de Pétain dès le 3 octobre 1940, par les décrets dits « Statuts des Juifs », lois de ségrégation, d’exclusion, de spoliation et d’internement , préfigurant la tragédie de l’année 1942.

Statuts iniques qui faisaient de mes parents des étrangers dans le pays qui les avaient accueillis et naturalisés.

Dès le 8 octobre 1940, l’abrogation du Décret Crémieux faisait des citoyens juifs français d’Algérie des parias (près de 500 professeurs ou instituteurs sont renvoyés, près de 20.000 élèves sont exclus des écoles publiques, les médecins n’ont plus le droit d’exercer, etc...Toutes ces mesures, signant la faillite de la Démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations, comme l’a souligné l’historien Michel Winock.

« Pire, ajoute-t-il, dans l’Université, dans la Faculté de médecine, dans la magistrature, etc...les postes »libérés« par les collègues juifs sont occupés, sans état d’âme, par les enseignants, médecins, juges non juifs ! » On ne peut évacuer le rôle de la bureaucratie, de la presse « officielle », bref de tous ceux qui, par indifférence ou haine antisémite, se sont rendus coupables de petites ou grandes lâchetés.

« Combien furent précieux, alors, les cris de quelques protestataires dans le désert de la soumission »...

Il convient de s’interroger sur le rôle joué par une grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques sans états d’âme.

Ces interrogations s’inscrivent dans le travail d’Histoire et Mémoire qui nous incombe, travail exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que les génocides et crimes contre l’Humanité des 20ème et 21ème siècles posent à la conscience humaine.

Comment en est-on arrivé là ? Quel cheminement idéologique a pu mener à« l’abolition totale du lien humain dans les manufactures de la mort, » Comment des Etats démocratiques ont-ils pu consentir au pire ? Rappelons que ce crime de masse a été commis dans le silence assourdissant des nations.

La SHOAH a dévoilé la fragilité de l’humanité, là où la barbarie est comme la face cachée de la civilisation moderne, technique et industrielle..

L’Histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l’espace républicain" (Georges Bensoussan).

Ce travail d’Histoire et de Mémoire fait de nous des « avertisseurs d’incendie », à l’heure où des discours populistes de tous bords gagne une partie de l’Europe , à l’heure où certains tentent de relativiser les valeurs humanistes universelles au nom du multiculturalisme et du relativisme historique.

A l’heure où nous assistons au développement d’une violence sauvage, relayée par internet, sur une grande partie de notre planète, tortures, massacres, haine antisémite , homophobe, raciste , atteintes aux libertés fondamentales et à la dignité des êtres humains, en particulier des femmes....

Et, comme l’a écrit Charles Péguy, "il faut voir ce que l’on voit’, en particulier en France.

On assiste à une certaine dissolution des règles du « vivre ensemble » : repli communautariste, atteintes à la laïcité.

Jamais, depuis 20 ans, le racisme et surtout l’antisémitisme n’ont autant progressé- ’l’antisémitisme, cette perversion qui tue" ( Jacques Chirac).

Non seulement on constate une hausse significative des insultes, des agressions et violences physiques , des actes antisémites -souvent sous couvert d’antisionisme- mais ce nouvel antisémitisme a conduit au meurtre : faut-il rappeler l’assassinat d’Ilan Halimi ? Celui des 3 militaires français à Montauban et des 5 Français juifs- dont 3 jeunes enfants- à Toulouse ?

Ce qui a inspiré les tueurs : la haine des Juifs, la haine de la France et de ses institutions démocratiques.

Cette haine des Juifs qui a armé le bras du tueur français au Musée juif de Bruxelles.

A Toulouse, lors de la manifestation contre l’antisémitisme et l’homophobie, les représentants du crif ont été chassés par des militants d’extrême gauche aux cris de « sionistes, fascistes, barrez-vous » qui renvoyaient comme un sinistre écho les « juif, casse-toi, la France n’est pas à toi » scandés par les catholiques intégristes, les fachos, les islamistes, les nombreux admirateurs du « sinistre pitre » ( Christiane Taubira) Dieudonné. dans les rues de Paris lors de la manifestation « jour de colère » en janvier dernier( Jacques Tarnéro).

Dimanche 13 juillet 2014, la veille du 14 juillet- fête de la LIBERTE-une manifestation pro-Hamas à Paris a réuni plus de 7000 personnes qui ont hurlé à maintes reprises « Mort aux Juifs », ont assiégé la Synagogue de la rue de la Roquette et ont tenté de s’y introduire armés de barres de fer, prenant en otages les personnes à l’intérieur, hommes, femmes, enfants.

Très peu de médias ont rendu compte de cette tentative de pogrome !

Je souhaite terminer en évoquant les « dommages infligés à la société française par Dieudonné qui a réussi à embrigader une partie non négligeable de la jeunesse française »( Michaël Prazan) cherchant dans des « boucs émissaires » fantasmés la solution à leur frustration sociale et leur mal-être.

J’en veux pour exemple ce que dénonce le sociologue Michel Wieviorka dans son article « Le terrorisme mythifié » (Libération-11/02/2014) :

« Quand le Maire de Bagnolet décide d’accorder la citoyenneté d’honneur au terroriste Georges Ibrahim Abdallah et refuse de recevoir une délégation de l’Association française des victimes du terrorisme, il n’exprime pas autre choses que son adhésion au discours mythique du terrorisme et, dès lors, au terrorisme lui-même...il l’érige au rang d’un »résistant communiste« , d’un »héros arabe"...

Il nous parait irresponsable de favoriser chez une partie de la jeunesse française des modes d’identification qui relèvent du pur fantasme...

Les conséquences sont douloureuses : certaines familles voient leurs enfants quitter la France pour s-’immiscer dans la guerre civile en Syrie...La falsification de l’histoire et la fabrication de héros imaginaires aux mains souillées comme Abdallah ne peuvent que favoriser la radicalisation.... C’est contribuer à la fabrication d’une bombe à retardement pour la société civile".

J’emprunte ma conclusion à un extrait d’un texte de Christiane Taubira,« Ebranler les hommes »( suite à l’affaire Dieudonné, mais que l’on peut appliquer à toutes les dérives décrites plus haut) :

"Ces provocations putrides testent la société, sa santé mentale, sa solidité éthique, sa vigilance.

Il nous faut y répondre, car la Démocratie ne peut se découvrir impuissante face à des périls qui la menacent intrinsèquement. Il faut donc descendre dans l’arène, disputer pied à pied... l’espace de vie commune, faire reculer cette barbarie ricanante, la refouler, occuper le terrain par l’exigence et la convivialité.



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