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Vaste tour d’horizon avec Michael Crelinsten, Directeur exécutif de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal
Hélène Keller-Lind
Article mis en ligne le 4 septembre 2012

Alors que se déroulent des élections au Québec, il a semblé opportun de faire un tour d’horizon avec Michael Crelinsten, Directeur exécutif de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal, un organisme exceptionnel. Poste qui est pour lui un moment important d’un parcours très diversifié, allant du Congrès Juif Canadien à la direction du Centre Communautaire Juif Ben Wider, situé juste en face de la bibliothèque, en passant par la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada. C’est donc en fin connaisseur de l’histoire des Juifs canadiens qu’il se livre ici à un vaste tour d’horizon.

Dans son dernier Rapport, pour 2011, Eva Raby, alors Directrice de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal évoquait les « repositionnements, les restructurations et la transition » effectués cette année-là. Sur fond de coûts allant crescendo, de statuts changeants, de ressources communautaires diminuant. Pourtant le bilan était positif, grâce aux bourses attribuées par des institutions prestigieuses et au travail de l’équipe en place, bénévoles y compris. Une situation qui perdure aujourd’hui.

Un établissement juif aux archives exceptionnelles ouvert à tous dans un quartier multi-ethnique

On imagine mal l’ampleur de la tâche nécessaire pour faire vivre cette Bibliothèque. Or, il s’agit d’un établissement particulièrement important non seulement à Montréal, mais aussi dans le monde, gardant son caractère juif mais également ouvert à tous publics. Rayonnement insoupçonné pour qui se contente de fréquenter cet endroit serein pour y lire une revue, emmener ses enfants y lire et jouer dans la salle qui leur est consacrée ou emprunter ouvrages ou vidéos. Michael Crelinsten, qui en est le Directeur depuis un an, souligne qu’il s’agit là « de la seule Bibliothèque Publique Juive en Amérique du Nord. Ses archives, contenant un grand nombre de documents couvrant deux cents ans d’histoire de la communauté montréalaise, sont un trésor pour la communauté, les chercheurs, juifs et non-juifs. Sa collection de livres de Judaïca est énorme, sa bibliothèque pour enfants l’une des meilleures, quelque 7.000 personnes y suivent des programmes très divers, au nombre de 75 l’année dernière, ou des conférences.Activités proposées en anglais, français, hébreu, yiddish et russe, pour répondre à la diversité montréalaise, avec souvent, des personnalités de premier plan ». Son Directeur cite, à titre d’exemple, la venue de l’écrivain Tatiana de Rosnay ou la grande exposition sur Saint-Exupéry.

Michael Crelinsten souligne aussi que c’est probablement la seule bibliothèque qui a la confiance des Juifs orthodoxes, mentionnant « l’énorme programme en hébreu, l’histoire du yiddish contenue dans ses archives. » Les heures de fermeture respectent d’ailleurs les horaires du Shabbat. Si le public qui fréquente la bibliothèque est « majoritairement un public juif », il s’agit aussi d’un établissement « ouvert à tous dans cette partie de Montréal qui est probablement la plus multi-éthnique de la ville ». On voit d’ailleurs parfois des enfants hassidiques côtoyer en bonne intelligence des enfants sri-lankais, par exemple, dans la salle réservée aux jeunes lecteurs qui peuvent aussi y jouer ou s’initier à l’ordinateur. Sous le regard blasé d’une tortue d’eau qui fait inlassablement la brasse dans son aquarium.
A propos de la diversité des visiteurs, Michael Crelinsten estime « qu’il importe que les gens se rencontrent, se comprennent et qu’on les y aide ».

Juge à la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada

Cet intérêt pour les cultures différentes, cette volonté de comprendre, de faciliter les rencontres, lui ont beaucoup servi lors qu’il a été Juge à la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada. Il devait alors statuer sur des demandes de réfugiés étrangers voulant bénéficier de ce statut et « méritaient d’être pleinement entendus par cette Commission ». Parmi les quatre cents demandes qu’il eut à traiter, « la moitié émanait de Pakistanais et de nombreuses étaient fondées sur le danger des « crimes d’honneur », demandes déposées par des femmes vivant au nord-ouest du pays dans des régions tribales et qui étaient menacées par leur famille, parfois après avoir été victimes des viols », se souvient-il. Une expérience qui l’a marqué car il ajoute : « personne ne peut accepter que des femmes ou quiconque d’autre subisse quelque forme de répression que ce soit, au nom de différences ».

Qualités de gestionnaire pour faire face à des coûts de fonctionnement élevés et des recettes moindres

Faire fonctionner cette Bibliothèque, qui propose une telle palette d’activités, a un coût élevé. Le travail du Directeur est donc aussi de récolter des fonds, ce qui est de plus en plus difficile. Il cite un moyen original mais fructueux : les petits dons qui rapportent quelque 200.000 dollars canadiens par an. Il sera demandé à une famille, par exemple, de parrainer un livre d’enfant à l’occasion de l’anniversaire de leur enfant. Son nom sera inscrit dans l’ouvrage ainsi offert à la bibliothèque. Ce qui motive plus encore l’enfant à aimer la lecture. Et est d’ailleurs déductible des impôts pour moitié. Ce type de don est possible, bien entendu, pour toutes sortes d’occasions.

La gestion d’un gros établissement, il l’a déjà pratiquée, entre autres dans le Centre Communautaire Juif Ben Wider situé en face de la Bibliothèque. Il y a travaillé pendant quatre ans, le quittant parce qu’il avait le sentiment d’avoir donné tout ce qu’il pouvait lui apporter, pour rejoindre le monde des livres. Une joie pour lui car il a à la maison sa propre bibliothèque contenant un millier d’ouvrages.Ce qui reste, dit-il un sujet d’étonnement pour son épouse...

De 1977 à 1985, il a géré le programme très éclectique, dit-il, du Service de la Jeunesse du gouvernement fédéral, avec une partie consacrée à l’apprentissage. En 35 ans d’activité professionnelle jusqu’ici il a passé 20 ans au service de la communauté juive. Dont un passage au Congrès juif canadien, organisme qui représente les organismes juifs du Canada et a vocation de protéger les droits de ses citoyens juifs. Une communauté qu’il connaît donc parfaitement, dont il connaît l’histoire, sur le plan québecois, mais aussi fédéral.

Un antisémitisme institutionnel aujourd’hui disparu

Lorsqu’on lui parle de l’antisémitisme qui a longtemps sévi au Québec il répond que « l’expérience juive est une image contrastée. La communauté juive a eu des occasions énormes et les a utilisées brillamment. En même temps il y a eu un degré élevé d’antisémitisme institutionnalisé ». Il cite, à cet égard, la réponse que fit un ministre canadien à qui on demandait combien de Juifs pouvaient entrer au Canada à la veille de la seconde guerre mondiale, alors que les Juifs étaient persécutés en Europe. Cette réponse fut cinglante : « un, c’est un de trop ».

Par ailleurs, « avant Vatican II, le Québec était dominé par l’Église catholique et la situation était très difficile pour les Juifs. Certains dirigeants québecois étaient violemment antisémites. Comme Lionel Groulx ».Celui-là même dont le nom a pourtant été donné à une station de métro particulièrement fréquentée de Montréal. Il y eut des situations aberrantes, avec des quotas pour l’admission des Juifs dans des universités comme McGill ou le cas de ces « étudiants en médecine juifs qui ne pouvaient intervenir dans les hôpitaux, ce qui amena à la création de l’Hôpital Général Juif de Montréal », qui est aujourd’hui l’un des meilleurs hôpitaux de la ville.

Toujours soucieux d’équilibre, Michael Crelinsten, rapporte aussi « l’autre face de la médaille, avec la législature québecoise qui fut la première du Commonwealth britannique à permettre à un Juif d’y siéger ».

« Mais », dit-il, « aujourd’hui l’antisémitisme institutionnel a disparu , il y a des Juifs dans le secteur privé comme dans le secteur public, au Canada, y compris au Québec. Beaucoup occupent des positions de premier plan. La communauté est riche et puissante. L’attitude générale a changé, même si, malheureusement, il y a des racistes dans chaque société, un aspect bien triste de la réalité ».

Les communautés ashkenaze et séfarade

Il y a d’évidentes différences entre la communauté ashkenaze, installée au Québec de longue date, anglophone et la communauté séfarade francophone, arrivée depuis quelque quarante-cinq ans d’Afrique du Nord, notamment du Maroc. A noter que les Ashkenazes sont anglophones pour des raisons historiques liées à l’antisémitisme. Les écoles catholiques francophones ayant autrefois refusé pendant des années les élèves juifs,ceux-ci fréquentèrent alors des écoles protestantes anglophones avant que des écoles juives soient ouvertes. Une partie de cette communauté askkenaze, les ultra-religieux, étant d’ailleurs yiddishophones.
« Cela a été cause de division », reconnaît Michael Crelinsten qui constate toutefois qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas, ces différences ayant laissé la place aujourd’hui à « des richesses culturelles partagées, avec des mariages entre les membres des deux communautés. Et les jeunes Séfarades qui parlent les deux langues.Une évolution naturelle ». Diversité et richesse d’une communauté juive québecoise qui compte quelque 85.000 personnes vivant surtout à Montréal.

Antisionisme

En ce qui concerne les manifestations d’antisionisme constatées parfois au Canada, campagne BDS qui n’y est pas illégale y compris, il explique que « la liberté d’expression protège des opinions avec lesquelles on n’est pas d’accord, ce qui est l’un des risques de la démocratie, mais il y a des limites, des lois contre une propagande de haine ».

Mais « si on peut être parfois critique d’Israël, ce qui est légitime, » il est totalement d’accord avec Irwin Cotler, - Montréalais, député fédéral libéral pour le quartier de Mont-Royal, Professeur de droit, ancien ministre de la Justice du Canada- lorsqu’il qualifie l’antisionisme de nouvel antisémitisme ». Pour sa part, Michael Crelinsten a, dit-il « une affinité profonde avec Israël », son épouse est d’ailleurs « israélienne, originaire de Haïfa ».

La situation en Europe, qu’il ne suit pas de près mais au travers des gros titres et de photos dans les médias l’inquiète. Quel contraste, en effet, avec la situation au Québec où les établissements juifs ne doivent pas être placés sous surveillance policière, où la sécurité est réduite, même si elle existe. Et l’on voit fleurir librement les drapeaux blancs et bleus dans les rues de la ville à l’occasion de la Journée de Jérusalem ou de Yom Hatsmaouth.

La scène politique québecoise et fédérale

Sur le plan politique local Michael Crelinsten explique que « le Parti Québecois, nationaliste, comprend et respecte l’agenda israélien ». Il a d’ailleurs emmené des dirigeants de ce Parti ainsi que du Parti Libéral en Israël. Mais, ajoute-t-il, « historiquement les communautés juives se méfient beaucoup des partis nationalistes. Et il y a parfois eu des déclarations mal venues de la part de dirigeants du Parti Québecois, notamment après qu’il a perdu des élections par le passé et rendu « des minorités ethniques » responsables de sa courte défaite. Les juifs se sont sentis visés...
Sur le plan fédéral, le Parti conservateur au pouvoir « est très amical vis-à-vis des Juifs et d’Israël, ce que l’on constate notamment à l’ONU ». Par ailleurs, ajoute-t-il « Irwin Cotler est membre du Parti Libéral et je ne pense pas qu’il y ait quiconque, où que ce soit, qui ait une position plus forte et plus claire à l’égard de la communauté juive et d’Israël ».

A propos du Québec, et de la question de son indépendance qui travaille toujours la vie politique, Michael Crelinsten s’y dit « clairement opposé », bien qu’il « comprenne absolument le désir de protéger et promouvoir une langue et une culture ». « Ce qui se passe au Canada », dit-il, « avec les deux nations fondatrices capables de coexister à l’intérieur des frontières d’un État, aussi difficile cela ait pu être, est un exemple ». Il regrette toutefois que, par exemple, des investisseurs anglophones ne soient pas encouragés à s’installer au Québec en raison des contraintes linguistiques, comme l’enseignement obligatoire du français à l’école. Il aimerait voir « le Québec plus ouvert au monde, avoir une plus grande flexibilité et adapter sa législation pour ce faire ».



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