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Le reportage de FR2 sur A Dura à la base des émeutes d’octobre 2000
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Article mis en ligne le 17 septembre 2003

Le 26 août, une cour militaire a condamné un policier palestinien, Raed Sheikh, pour le meurtre intentionnel de deux réservistes de l’armée israélienne. Les deux hommes, feu Vadim Norzhich et Yossef Avrahami avaient été appréhendés par la police palestinienne le 12 octobre 2000, alors qu’ils avaient pénétré à Ramallah par erreur.

Le lynchage, qui débuta dans les locaux mêmes du commissariat et de la main de Sheikh, renforcée en la circonstance d’une barre de métal de quarante centimètres, est de notoriété publique. Il n’est pas dans mon propos de ce jour d’accentuer l’effet dramatique du récit de ces événements, dont la bestialité filmée a abondamment choqué les esprits.

Sheikh apparaissait devant trois juges. Deux d’entre eux, dans leur verdict, ont décidé de l’application de la peine capitale, le troisième, se contentant de la prison à vie. L’exécution de la peine capitale nécessitant, en Israël, une décision unanime des magistrats, Raed Sheikh a eu la vie sauve. Il aurait été la première personne à être exécutée dans l’Etat hébreu depuis le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann en 1962.

Ce qui a retenu spécifiquement mon attention, autour de cette tragédie, c’est le grand nombre de fois où l’affaire Mohamed A Dura a été évoquée ou invoquée. Depuis la populace en rage, qui déchiquetait les membres des deux malheureux dans la rue aux cris de « vengeons le sang de Mohamed ! », jusqu’aux observateurs, qui s’accordent à reconnaître que les images de l’assassinat de l’Enfant de Netzarim étaient dans toutes les mémoires des lyncheurs.

Les images avaient rendu la foule enragée et il y a fort à parier, que sans la diffusion (gratuite) du reportage de France 2, les suppliciés auraient eu une chance de s’en tirer, que la haine délirante et populaire n’aurait pas gagné l’adhésion globale de la foule.

Il s’agit de ma perception des choses, me rétorqueront certains. Elle part d’une observation synthétique raisonnable et probable des événements mais elle reste ma déduction personnelle et privée. C’est indiscutable ! C’est pourquoi mon observation devrait interpeller mes collègues de la presse filmée au plan moral. Elle impliquera, chez les professionnels responsables, une réflexion au sujet de la puissance d’une caméra et de sa capacité à déborder de son rôle de collecteur d’images, pour devenir témoin-référence à charge de causes parfois violentes. Référence involontaire. Mais référence principale tout de même.

En lisant les conclusions de la Commission d’enquête gouvernementale « Or », qui font grand bruit, ces jours en Israël et sur lesquelles nous devrons certainement revenir pour d’autres analyses délicates, on accède, pour la même causalité des images de l’assassinat de Mohamed A Dura, à des implications d’un tout autre ordre. Rappelons que cette commission a été réunie afin d’extraire les responsabilités personnelles et systémiques ayant mené aux émeutes de la population arabe-israélienne du premier octobre 2000. Emeutes au cours desquelles treize citoyens israéliens ont perdu la vie sous les balles de la police israélienne.

Lesdites conclusions n’épargnent personne, pas plus Ehud Barak, alors premier ministre, que Shlomo Ben-Ami, en ces temps, ministre de l’intérieur. La Commission Or, érigée au rang de tribunal d’exception par la loi sur les commissions d’enquêtes gouvernementales, a émis des avis très précis, réclamant notamment la mise à pieds de certains officiers supérieurs de la police. Le gouvernement a d’ores et déjà déclaré, qu’en principe, les conclusions de la commission seraient implémentées dans leur intégralité.

Bien entendu, les juges commentent également le comportement de la rue arabe-israélienne et de ses leaders politiques. La Commission jette un regard très dur sur les émeutiers et sur les graves perturbations de l’ordre civil desquelles ils se sont rendus coupables.

La Commision Or relève aussi, outre les mal fonctionnements du système policier lors de cette révolte, les causes objectives ayant amené la population arabe à obstruer des routes, à tabasser des concitoyens juifs et à s’en prendre à leurs biens. Dans la liste des causalités directes ayant amené les arabes-israéliens à descendre dans la rue et à attaquer les forces de l’ordre, enchaînement lors duquel les treize personnes ont été tuées, je lis la conclusion 172 de la Commission qui, me semble-t-il, va déterminer un tournant principal dans le traitement de l’affaire A Dura :

Le même jour (le 30 septembre, les émeutes ont éclaté le lendemain ! Ndlr.) aux alentours de 17 :00, s’est déroulée une très dure bataille dans la région de Netzarim entre des soldats de Tsahal et des policiers palestiniens. Dans le cours des échanges de feu à cet endroit, un jeune palestinien d’une dizaine d’années, du nom de Mohamed Al-Dura a été tué, alors qu’il s’est retrouvé à cet endroit de même que son père. La mort de l’enfant fut enregistrée par les caméras de la télévision et ont été diffusées à de nombreuses reprises dans le courant du même jour par diverses chaînes de télévision (qui diffusaient toutes le reportage gracieusement distribué par Fr2 Ndlr.). Les images de l’enfant atteint auprès de son père ont également été diffusées de façon appuyée le lendemain, 1.10.00, par la presse de langue hébraïque et arabe. La mort de Mohamed Al-Dura, telle qu’elle est reflétée par les images de la télévision (FR2 seulement, Ndlr.) a eu une influence marquante sur l’état d’esprit de la rue arabe, en ce jour (le 30 septembre Ndlr) et en son lendemain. Ce fait a été mis en exergue par de nombreux leaders de la minorité arabe, ayant comparu devant la commission. L’opinion partagée par la plupart d’entre eux fut que les images de Mohamed A Dura, qui furent diffusées par les médias, constituèrent l’un des éléments qui conduisirent des gens du secteur arabe à descendre dans la rue le 1.10.00 (et pour certains à y mourir ! Ndlr.) De même, des sources policières et d’autres sources de sécurité considérèrent que la présentation des images ont pesé d’un poids conséquent, en tant que facteur de l’éclatement des événements.

A notre tour d’être simples et clairs. Ca n’est plus ici une interrogation d’ordre moral ou déontologique qui prévaut mais une question judiciaire - étant bien posé que TOUTES les images dont fait état la Commission Or ont été prises, montées, commentées et diffusées par le personnel de la chaîne de service public France 2 - . Si Mohamed A-Dura a été exécuté par « des tirs provenant de la position israélienne », il faut regretter sincèrement la relation tragique - mais compréhensible - de cause à effet qu’a eu la mort filmée de l’enfant sur la formation des émeutes meurtrières. Par contre si, et comme nous nous efforçons de le démontrer par des preuves indiscutables, c’est une fiction, diffusée gratuitement par FR2, qui a participé à causer la mort de 13 Israéliens, la chaîne française porte une responsabilité juridique écrasante dans cette tragédie.

Avant de revenir sur les implications que génère notre constatation, remarquons déjà qu’il n’est plus envisageable, après les conclusions de la Commission Or, de considérer comme Jean Hatzfeld de Libération, que de toute façon, l’histoire du petit Mohamed n’est « pas très intéressante ». et « qu’il est normal que dans toutes les professions il y ait des dérapages. On assume et c’est comme ça. C’est pas très important ».

Il y a eu mort d’hommes et dès lors qu’il y a eu mort d’homme et que ces décès ont été induits - d’un poids conséquent - par le comportement malhonnête de certaines personnes, lesdites, si elles sont confondues, doivent répondre de leurs actes. C’est l’idée même de la justice qui est en cause.

Même remarque au sujet de ceux qui considéraient jusqu’à maintenant notre détermination à faire éclater la vérité comme un combat d’arrière-garde. Je pense que la conclusion établie par la Commission Or à propos de l’impact qu’a eu le Reportage A Dura sur les émeutes et les assassinats en Israël aussi bien que dans les territoires palestiniens aide le lecteur à saisir le rôle symbolique fantastique qu’a eu ce film sur la propagation et l’extrémisation de l’Intifada. Ce reportage a coupé tous les ponts qui s’étaient péniblement construits sur le cours du processus d’Oslo. Dans une réalité où les soldats (tout un poste de soldats !) d’une armée régulière tirent durant quarante cinq minute afin d’abattre un enfant - comme le soutient le caméraman palestinien de FR2 Talal Abou Rahma dans une déclaration notariée - la discussion n’est plus de mise. On ne respecte plus rien. On tue d’abord pour ne pas être tué !

C’est ce sentiment que m’a confirmé mon ami le Dr. Sabikh qui vit dans un village de Haute Galilée et qui travaille à Kiriat Shmona : « Tu comprends, Stéph, lorsqu’on a vu ces images (de Mohamed A Dura), nous nous sommes dits qu’il y avait chez les juifs un changement de considération radical envers nous. On n’avait jamais vu ou imaginé de soldat israélien tirant sur un enfant pour le tuer et ce pendant 45 minutes. Dans les villages et les villes, à Sakhnin, à Nazareth, à Raméh, nous avons pensé que si vous n’avez pas pitié des enfants arabes, vous allez tous nous massacrer ! Il devenait alors urgent de descendre dans la rue et de vous montrer que nous ne nous laisserions pas faire et qu’il vous en coûterait. »

Voilà un témoignage représentatif parmi d’autres que j’ai recueillis. Il est désormais inconcevable que la justice israélienne, après avoir conclu sur rôle déterminant rempli par le reportage de FR2 dans les émeutes d’octobre 2000 et connaissant l’existence de notre contre-expertise, n’ordonne pas l’ouverture d’une enquête visant Charles Enderlin et France 2. La justice israélienne dispose des moyens juridiques de recevoir de la chaîne française les 27 minutes de rushes qu’elle nous a refusés sur l’assassinat de Mohamed, que Abou Rahma prétend avoir filmés, ainsi que les images « insoutenables » de l’agonie du petit garçon. Désormais aussi, en notre qualité d’analystes stratégiques, nous allons mettre notre justice en demeure d’être conséquente et de mener son investigation jusqu’au bout. Maintenant que la responsabilité causale du reportage de FR2 sur les émeutes et la violence est juridiquement établie, la justice va devoir s’assurer qu’elle est fortuite ou se persuader qu’elle est malhonnête et instrumentale du chaos et de la mort.

Caméra témoin ou caméra actrice et instigatrice de guerre, on va au moins s’assurer que la justice israélienne n’oublie pas de se poser la question.



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