Michel Barnier est donc de retour de sa tournée proche-orientale.
Lors de son compte-rendu, au cours du conseil extraordinaire des ministres qui se tenait dimanche à 15h30 à l’Hôtel Matignon, la voix de son maître a donné quelques éclaircissements sur sa mission : « expliquer ce qu’est la France ».
On comprend mieux maintenant pourquoi le ministre de la Culture et de la Communication était curieusement convoqué à cette séance « explicative ».
Le ministère de tutelle serait-il astreint à donner des consignes aux détenteurs de l’outil sur lequel repose l’information : les médias ? « Il y a en France une unité nationale autour de nos deux otages parce que nous avons tous conscience que c’est la liberté d’expression, la liberté de l’information qui est en cause », déclarait le ministre de la Culture et de la Communication. Nous voilà rassurés... !
Peu de doutes subsistent en effet quand on entend s’exprimer les directeurs de l’information de France-Télevisions (voir « La guerre des naïfs ») et après avoir vécu la performance affligeante du représentant du Quai d’Orsay sur la chaîne Al-Jazira :
« Regardez comment la France, votre amie, respecte les libertés religieuses de tous ceux qui y vivent, y compris les cinq millions de musulmans », avait insisté Michel Barnier dans son discours.
« Regardez ce que la France fait dans cette région et comment la France soutient le peuple arabe et combien elle est attachée à sa liberté et son indépendance. »
A ceux qui ont « une part de responsabilité » dans cet enlèvement, Michel Barnier demandait également d’écouter les appels « au respect de la vie humaine » lancés « au-delà des hommes politiques de cette région par les plus grandes consciences de l’Islam ».
Ainsi, un imam salafiste irakien, le cheikh Mehdi Saleh al-Soumaydaï, a lancé depuis la mosquée où il « exerce », un appel à Bagdad aux ravisseurs des deux journalistes, demandant leur libération sans délai.
« Nous avons émis une fatwa (décret religieux) disant que ces deux otages français doivent être libérés rapidement », a-t-il déclaré.
Les salafistes constituent la tendance la plus radicale du wahhabisme saoudien. Le cheikh al Soumaydaï, imam de la mosquée Ibn Taymia de Bagdad, en représente l’autorité suprême pour la publication des fatwas.
Après le soutien du Hamas, du Hezbollah, de la Ligue arabe, d’Arafat, la France a accepté de se fourvoyer avec le représentant de l’orientation islamiste la plus extrémiste, qui appelle habituellement sans équivoque à tuer les « infidèles ».
Même s’il s’agit de sauver des vies humaines, il est des compromis au delà desquels il est imprudent de s’aventurer. Au vu des événements, seules les négociations sur la monnaie d’échange des otages ralentiraient encore leur libération et peuvent donc faire douter des dangers réels que courraient les deux journalistes français et leur chauffeur syrien.
Cela semble d’autant plus évident que le président de la Fédération nationale des musulmans de France, Mohammed Bechari, a assuré qu’à l’origine, les ravisseurs des deux otages avaient été persuadés qu’ils étaient « des agents au service de certains pays engagés dans le conflit ». Ajoutant : « Nous avons évidemment démenti cette rumeur, d’autant plus facilement que ces deux journalistes sont très connus dans le monde arabe, et notamment en Palestine … ».
Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres contribuait en outre à entretenir une équivoque malsaine en déclarant : « ne pas rejeter la responsabilité du retard sur les opérations de l’armée américaine à Latifiya », à la chaîne France 2 ce matin.
Sans doute voulait-il minorer les effets des affirmations intempestives de l’allié objectif de la France dans cette affaire, le cheikh salafiste Mehdi al-Soumaydaï. Ce dernier en a profité pour critiquer le gouvernement irakien et les forces américaines, pour avoir lancé samedi une opération d’envergure dans la région sunnite de Latifiya (au sud de Bagdad), où les deux otages français ont été enlevés le 20 août, estimant que cela nuisait à leur libération.
Il laissait ainsi entendre que les Américains pouvaient être considérés comme l’unique entrave au déroulement rapide des tractations… Argument repris par l’association des « Amitiés Franco-irakiennes », accusant cette fois ouvertement les Etats-Unis de « mettre sciemment en danger la vie de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot » !
Quoi qu’il en soit, la France a désormais franchi la ligne rouge.
Pendant qu’à Beersheba les israéliens enterraient leurs morts, pendant qu’à Beslan la Russie décrétait deux jours de deuil en hommage aux victimes de l’effroyable carnage, pendant que les Népalais pleuraient ceux que des islamistes avaient impitoyablement abattus comme des bêtes, des enfants iraniens étaient appelés à chanter « mort à Israël » pour une parodie d’enterrement dans le cimetière Behesht-e zahra à Téhéran, devant un portrait géant de l’Ayatollah Khomeiny !
Cette « manifestation spontanée » de solidarité islamiste était organisée par les ultras du régime iranien, en l’honneur des deux palestiniens qui ont commis l’attentat suicide de Beersheba, faisant 16 morts et 100 blessés parmi des civils innocents.
Simultanément, la « cellule de crise du gouvernement français », elle, cherchait et obtenait le concours des représentants les plus méprisables de ces assassins de masse pour régler, de son côté, sa « crise des otages ».
Quand on dîne avec le diable, mieux vaut avoir une longue cuillère. Personnellement, la « cuisine française » me coupe l’appétit…