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L’antisémitisme nouveau est arrivé
Sophie Jama - La voix sépharade de Montréal
Article mis en ligne le 31 juillet 2004

La Conférence internationale sur les dimensions mondiales de l’antisémitisme contemporain s’est déroulée à Montréal du 14 au 16 mars 2004. Elle a rassemblé des spécialistes du monde entier - en majorité, juifs - pour discuter du retour de cette calamité.

La bête immonde refait surface. C’est non seulement l’essentiel du monde arabo-musulman qui est touché, mais l’Europe, l’Amérique du Nord et d’autres lieux encore, car l’antisémitisme est aujourd’hui un problème planétaire. Les conférences furent brillantes, le partage d’informations surprenant, y compris pour un public averti, la conclusion unanime : il est urgent de réagir, intelligemment et en étant unis.

Quoi de neuf dans ce nouvel antisémitisme ? Tout et rien à la fois. L’antisémitisme est toujours une nouvelle - une très mauvaise nouvelle - pour ceux qui en sont les cibles et qui souhaiteraient le reléguer dans la catégorie des vieilles histoires, dont on ne reparle que pour rendre hommage à ses victimes du passé. Mais il n’en est rien, hélas. L’antisémitisme est loin d’être dépassé. Il est vivant, bien trop vivant. Et il est même en pleine croissance.

Exception faite de sa portée mondiale avec sa polarisation sur l’Etat d’Israël, le nouvel antisémitisme propose peu de nouveautés dans le répertoire des stéréotypes qui l’animent.

Ceux-ci sont même étonnamment monotones. Dans le monde arabo-musulman, où il est quasi généralisé et d’une incroyable virulence, les Juifs sont les agents de la subversion, des comploteurs cupides et assassins. Ils tuent les enfants par plaisir ou pour satisfaire leurs rituels car ils se nourrissent de leur sang. Ils usent de moyens illicites, comme le plutonium enrichi, pour tuer les Palestiniens, et ils empoisonnent leur eau.

Même s’ils ne sont plus des usuraires, ils manipulent l’argent et sont derrière tous les pouvoirs et tous les malheurs du monde, de la destruction des tours de New York à la guerre en Irak en passant par la crise économique…

Le Protocole des sages de Sion, un faux poussiéreux ressorti des caves de l’antisémitisme du XIXe siècle, redevient à la mode, à lire ou à regarder sous forme de feuilleton télévisé. Ainsi la théorie du complot et l’accusation faite aux Juifs d’avoir assassiné le Prophète : les Juifs, ces menteurs, seulement capables de falsifier la parole divine dont le Coran est la dernière et, désormais, unique expression !

Les figures de rhétoriques de ce nouvel antisémitisme sont si familières que l’on peut s’étonner de leur succès. Mais là où l’on est stupéfait, c’est lorsque ces théories délirantes contaminent des personnes que l’on croyait lucides, appartenant au monde occidental démocratique, occupant souvent des postes de responsabilité politique ou médiatique, et même, pour certaines d’entre-elles, se désignant comme Juifs de naissance afin de donner plus de poids à leur attaque contre le groupe auquel elles disent pourtant appartenir. Le système, on le voit, est d’une très grande perversité.

Comment une monstruosité pareille est-elle de nouveau possible ? C’est que l’antisémitisme actuel a trouvé sa cause et son public. La plus terrible violence provient toujours de ceux qui sont coupés de leur pouvoir de sensibilité.

L’impuissance à s’indigner fut ce qu’Anna Arendt dénonça en son temps.

Mais si, actuellement, personne n’oublie sa sensibilité, certains choisissent très mal leur objet d’indignation.

Alors que dans le monde occidental, l’antisémitisme était devenu tabou depuis la fin de la seconde guerre mondiale - et qu’il relève encore du domaine public en pouvant être sanctionné - ce n’est plus exactement le Juif que l’on incrimine, c’est l’Etat d’Israël que l’on attaque, que l’on délégitime et qu’on accuse d’être la menace la plus grande quant à la paix mondiale. Israël est déshumanisé.

La calomnie veut qu’il s’adonne à l’apartheid. Israël est traité d’Etat raciste et impérialiste, d’Etat voyou et de paria. A croire qu’il est le mal absolu, pire que toutes les ignominies passées, présentes et à venir !

On impute à Ariel Sharon, son Premier ministre démocratiquement élu, de tirer les ficelles du gouvernement de l’Etat le plus puissant de la planète. Washington serait désormais une nième colonie de Jérusalem ! Un plan diabolique envisagerait, pour les deux, la domination impérialiste et généralisée…

Tout un délire qui laisse pantois et qui est déclamé, sans rire, par de plus en plus d’individus. Israël et les Etats-Unis sont ainsi attaqués de concert.

Dénoncer les pseudo-crimes d’Israël consiste, dans la conscience de certains, à une juste lutte contre le nazisme, le fascisme, le colonialisme, la mondialisation galopante, et que sais-je encore. Jamais l’invraisemblance d’une accusation n’a pu réduire son efficacité !

En Europe, particulièrement, une nouvelle gauche se dévoue désormais à la cause du Palestinien, symbole du nouveau juste, souffrant et opprimé par un Etat puissant et amoral dans son essence. On parle de conflit israélo-palestinien là où c’est, depuis plus de cinquante ans, une guerre unilatérale de nombreux Etats arabes occupant plus de 5 millions de km2 contre un seul Etat d’Israël d’une vingtaine de milliers de km2. L’amnésie va jusqu’à oublier qu’Israël est l’unique démocratie de la région.

Plutôt qu’essayer de comprendre une histoire juive, riche et complexe, on verse dans celle des Palestiniens qui apparaît comme simple et facile à saisir.

L’ignorance est en cause, mais pas seulement puisque les pseudo raisonnements de certains intellectuels convergent, eux-aussi, dans cette même direction. Pour unifier les populations, en les opposant à un ennemi extérieur bien ciblé, rien de tel que des argumentations creuses, des raccourcis et des simplifications simplistes, avec réminiscences rassurantes de vieux thèmes du passé.

L’homme moyen ne sait plus se positionner et accepte mollement l’idée que, par un retournement de l’histoire, les descendants des survivants de la Shoah, les Juifs qui soutiennent cet Etat prétendument satanique, sont devenus coupables. On calme sa bonne conscience en exaltant le Juif mort, et l’on se sent plus libre de maudire le vivant. Les nazis planifièrent de supprimer tous les Juifs. Aujourd’hui, c’est Israël qui devient le seul Etat au monde dont ces nouveaux antisémites rêvent de la disparition ! Et certains, d’aller jusqu’à envisager l’accueil, au sein de l’Europe, des Israéliens comme nouveaux réfugiés…

Par la résurgence de la rhétorique de l’antisémitisme, qui se porte donc maintenant sur Israël, il est possible, en parfaite bonne conscience, de revenir aux bons vieux mensonges pour désigner le Juif comme origine de tous les maux. « Juif » et « sioniste » sont devenus des termes interchangeables. Par la déshumanisation d’Israël, le Juif, ancienne victime, se transforme en bourreau, un être tourmenté, brutal, cruel ; un être sauvage et inhumain.

Que les accusations soient mensongères, ridicules, grotesques, sans fondement aucun, ne change rien ! Les démentis aux fausses déclarations, diffamations, calomnies, utilisations malveillantes des faits se retournent pour, toujours, apporter le discrédit à celui que l’on désigne comme le seul et unique « coupable » : l’Etat d’Israël et ceux qui soutiennent son simple droit à exister.

On est sorti du registre de la raison pour passer dans celui des affects. Rétablir la vérité, si c’est une nécessité morale indiscutable, semble bien dérisoire devant l’abomination qui se déclare un peu partout. Car face à cette vieille-nouvelle perversion du monde, les voix qui s’élèvent semblent bien timides comparées aux grondements entendus dans le monde arabo-musulman, mais aussi dans les rues, les Universités et les médias des Etats démocratiques, également dans les instances internationales.

Si l’antisémitisme nouveau n’est pas tellement nouveau, l’inquiétude vient du fait que son endoctrinement devient opérationnel et qu’il progresse très vite par les moyens modernes de communication. Les discours, les intimidations et les intentions se transforment en violences. Dans des écoles de la République française, des enfants sont battus parce que juifs.

En Europe et en Amérique, des synagogues sont incendiées. Un peu partout dans le monde, et pas seulement en Israël, des porteurs de bombes se « sacrifient » au nom d’Allah. Les nouveaux médias et Internet, surtout, diffusent à grande vitesse une propagande qui n’est pas loin de gagner tous les esprits. Son efficacité est remarquable. Ni les Nazis ni les Staliniens n’auraient rêvé de moyens de diffusion si puissants !

Alors que faire ? Voilà un point qui, selon moi, ne fut pas suffisamment abordé par les participants du symposium. Le phénomène du nouvel antisémitisme est maintenant compris, bien repéré, clairement analysé. Mais comment y remédier ? Les conditions d’un phénomène n’ont jamais rien dit de sa résolution. Faut-il descendre dans la rue, répondre aux mensonges par la vérité, retourner le doigt accusateur contre celui qui le tend, comme cela fut proposé ? Sans doute ! Mais ces moyens n’ont-ils pas déjà été employés, avec de piètres résultats, par les Juifs du passé ? Il nous faut partir aussi à la recherche - et il y en a - des musulmans modérés, de tous les hommes de bonne volonté qui sauront que, si ce nouveau déferlement de haine nuit tout d’abord aux Juifs, nul ne sera épargné, en fin de compte.

Mais des tueries des Croisés à la monstruosité de la Shoah, en passant par les émeutes espagnoles contre les Juifs, l’Inquisition, les innombrables expulsions, humiliations et pogromes, quelles leçons retirons-nous ?

Face à la vérité qui est unique, les fantasmes et les mensonges sont en nombre infini. Une victime du passé constitue forcément une bonne cible. La tradition de l’antisémitisme accroît donc le phénomène. Le combat est déloyal, le processus difficile à enrayer et, seule, une grande naïveté autoriserait à penser que le triomphe reviendra finalement à la vertu et à la raison. Morale et justice ne doivent jamais être écartées.

Mais organisons d’autres symposiums, et cherchons à innover, afin de ne pas voir se reproduire, sous une forme ancienne et nouvelle à la fois, un drame qui risque de nous désoler par sa déprimante répétition.



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