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Appel de détresse
par Pascale Zonszain
Article mis en ligne le 22 mai 2010

Il est difficile de ne pas entrer dans la polémique quand on veut répondre à l’initiative du nouveau mouvement J Call et à sa pétition lancée récemment sur le Net. Je ne souhaite pas relancer le débat sur la vision qu’ont ses auteurs et signataires du meilleur moyen de régler le conflit israélo-palestinien. Mais, vu d’Israël, je ressens d’abord cet appel comme un appel de détresse, non par ce qu’il exprime, mais plutôt par ce qu’il ne dit pas. Détresse de certains Juifs de diaspora, écartelés entre d’un côté leur statut social et l’autorité morale que leur confère leur rôle d’intellectuel dans leur propre pays et de l’autre leur insignifiance sur la scène publique israélienne.

Pourquoi ne parviennent-ils pas à briser le mur de verre qui les sépare de leurs frères israéliens ? Pourquoi cette incapacité physique absolue à comprendre comment se faire entendre, comment agir, influer sur le lieu précis où ils pensent que leur voix serait le plus utile ?

Israël, accélérateur de particules juives

C’est parce que leur initiative procède d’une erreur de perception essentielle des règles du jeu. Le schéma historique sur lequel a fonctionné la diaspora pendant près de deux mille ans, a été totalement bouleversé par la renaissance d’Israël comme Etat souverain. Un événement qui concerne la totalité du peuple juif, en ce qu’il doit réintégrer la dimension physique et politique dans son identité nationale. Plus largement, cela signifie qu’Israël retrouve les trois fondements qui le constituent : le peuple, la loi et la terre. Dix neuf siècles d’exil avaient fait de la terre une aspiration, tandis que le peuple devait trouver le moyen de protéger sa cohésion nationale et ses valeurs spirituelles.

Seulement au cours de ce long exil, les Juifs ont intégré des modèles culturels et sociaux supplémentaires, à la fois intrinsèques et extérieurs. Un des développements les plus importants de cette Histoire a été sans aucun doute l’Emancipation, qui a fait progressivement passer les Juifs d’Europe du statut de minorité tolérée à celui de citoyen à part entière de leur pays d’accueil. En devenant des sujets de droit, ils ont pu reconquérir une partie de leur liberté, celle de construire leur parcours propre et de choisir de jouer un rôle actif dans la cité qui les a reconnus comme des acteurs légitimes.

Quand l’Etat d’Israël a repris sa place parmi les nations, cela a provoqué un choc, que l’on pourrait assimiler dans la conscience juive, à celui de la collision d’atomes dans un accélérateur de particules, et que 62 ans n’ont pas toujours pas suffi à résorber. Pour beaucoup, ces particules identitaires continuent de se heurter les unes aux autres, et le phénomène s’exacerbe encore en temps de crise, jusqu’à s’exprimer dans un désarroi profond. On aurait pu croire qu’à l’image des enfants nés depuis l’invention de l’électricité, de l’ordinateur ou du téléphone portable, le fait de l’Etat d’Israël serait pour tous les Juifs nés depuis 1948, une évidence, une extension naturelle d’eux-mêmes. En réalité, les Juifs de diaspora n’ont toujours pas achevé cette recomposition identitaire dans l’ensemble de ses dimensions temporelle, intellectuelle, spirituelle et affective. De même les Juifs d’Israël ne sont pas encore parvenus à définir clairement leurs différences et leurs points communs avec leurs frères de diaspora, ni le rôle qui incombe aux uns et aux autres dans cette nouvelle configuration.

Pas de gouvernement en exil, ni de gouvernement de l’exil

Si le concept de diaspora perdure, il n’a plus le même sens. L’exil n’est plus la normalité, puisqu’il existe une autre voie. Chacun des membres de cette diaspora, tant qu’il choisit de se tenir en dehors d’Israël, doit admettre et comprendre qu’il ne peut en partager les décisions politiques, de même que l’Etat d’Israël ne peut intervenir dans les décisions politiques des Juifs de diaspora dans leur Etat de citoyenneté. On n’est pas dans une configuration où deux pouvoirs, deux autorités pourraient entrer en concurrence. Il ne doit et ne peut y avoir de gouvernement en exil, ni de gouvernement de l’exil. Bien sûr, on rétorquera que le peuple juif a bel et bien connu un gouvernement de l’exil, le fameux Exilarcat de Babylone, le Resh Galouta, institué après la destruction du premier Temple, et qui a perduré sous des formes et avec des fortunes diverses jusqu’au XIVe siècle. Mais il faut aussi rappeler que son rôle était de représenter la communauté juive auprès des dirigeants non juifs, notamment pour la levée de l’impôt et que son autorité n’a pas toujours été acceptée sans résistance. Cela a même donné lieu à des conflits très durs quand l’Exilarcat s’est heurté au retour de la souveraineté juive en Israël jusqu’à la destruction du IIe Temple. De surcroît, il a fonctionné en des temps où les Juifs n’avaient pas accès aux mêmes droits que les autres habitants de leurs pays d’accueil.

Donc, les institutions dont peut se doter la diaspora n’ont que des compétences limitées aux domaines de la vie des Juifs dans leur pays de citoyenneté - religion, culture, social – et ne peuvent s’inscrire en concurrence – même partielle - des institutions de l’Etat d’Israël. Leur rôle politique extérieur, si elles en ont un, ne peut être que veiller à ce que l’existence et la légitimité de l’Etat d’Israël ne soient pas remises en question, de même que leur rôle politique intérieur est de veiller au bien-être et au respect de leurs coreligionnaires, en tant qu’ils sont des sujets de droit.

De même que les Juifs qui vivent en diaspora, ne participent pas – sauf à avoir la double nationalité – au processus politique d’Israël, les institutions de diaspora ne sauraient être un acteur de ce processus. Pourtant, certains Juifs de diaspora estiment aujourd’hui qu’ils ont le droit et même le devoir d’influer sur les décisions politiques d’Israël, alors que c’est par essence antinomique. Pire que cela, ils sont prêts à faire intervenir des tiers, gouvernements et instances internationales, preuve qu’ils sont conscients que cela dépasse leurs prérogatives et que seul un Etat peut s’adresser à un autre Etat. Car leur seul moyen d’action en tant qu’individu, serait de devenir citoyen d’Israël. Mais c’est un pas qu’ils ne sont pas prêts à franchir.

Quelle réponse donner à cette détresse de certains Juifs de diaspora ? Que leur malaise s’est réveillé parce que les attaques de plus en plus virulentes contre Israël se révèlent comme le faux nez de la vieille haine antisémite, mais que ce n’est pas une raison suffisante pour laisser Israël devenir le bouc émissaire de notre temps. Qu’Israël n’est pas là pour entraîner l’ensemble du peuple juif dans la catastrophe et qu’adhérer à cette vision fait précisément le jeu de ceux qui se travestissent en défenseurs des droits de l’homme, pour mieux délégitimer l’Etat des Juifs. Que les Juifs qui ont choisi aujourd’hui d’assumer en Israël la difficile mission de reconstruire la dimension physique et temporelle de leur souveraineté, assument aussi le risque de commettre des erreurs.

Convalescence de résurrection

Il faut trouver le moyen de réunir les forces au lieu de les disperser, voire de les confronter. Au lieu de s’arc-bouter sur une analyse purement intellectuelle de la souveraineté israélienne, il faut à nouveau se percevoir comme nation et non plus seulement comme individus de confession juive. Cette conscience d’appartenance dépasse le seul cadre personnel, la perception que chaque juif peut avoir d’Israël. Certains l’ont fait. D’autres, les plus jaloux de leur individualité, qu’ils considèrent comme un droit suprême et inaliénable, n’y sont pas encore parvenus. Parce que cela heurte fondamentalement le modèle culturel dont ils sont imprégnés. Cette conscience nationale est pourtant cruciale, même si elle exige une forme de saut dans l’inconnu, de lâcher prise, qui se heurte au rationnel pur.

Ceux qui sont aujourd’hui les élites juives de la diaspora ont eux aussi une responsabilité morale à l’égard des communautés juives, qui voient en eux un guide, une garantie de suivre la bonne direction. Mais si Israël n’est pas infaillible, les intellectuels juifs de diaspora ne le sont pas non plus. Leur engagement dans telle ou telle cause n’est donc pas anodin. Si leur action se limite à intervenir dans la sphère du conflit israélo-arabe, elle est mal employée. Ce domaine relève de la seule souveraineté politique de l’Etat d’Israël et de ses citoyens. Quant à leur réflexion, elle a évidemment toute légitimité à proposer des solutions, à formuler des critiques. Mais cela ne remplace pas leur mission véritable vis-à-vis des leurs : aider les Juifs à se repenser en tant que nation.

Peut-être que la société israélienne a aussi un rôle à jouer vis-à-vis de la diaspora, pour l’aider à franchir ce cap. On pourrait par exemple inviter des intellectuels juifs dans une sorte de « Kibboutz ou Yeshiva Médicis » - comme on voudra - version israélienne de la fameuse Villa française de Rome, où ils pourraient venir pendant quelques mois découvrir la réalité d’Israël, son peuple, ses penseurs religieux et laïques, au-delà des simples colloques éphémères, auxquels ils participent le plus souvent pour présenter leur travail académique ou littéraire. Il est temps en tout cas de trouver des solutions plus créatives pour sortir le débat de sa stérilité et les intellectuels du cercle fermé où ils tournent en rond ad nauseam et si possible convaincre ceux qui doivent encore l’être, qu’il est toujours préférable de reformer l’unité du peuple par choix et non par nécessité.

Il reste encore de nombreuses dimensions inexplorées de la renaissance d’Israël. C’est en y réfléchissant ensemble que l’on pourra rendre sa plénitude au peuple d’Israël. Le Rav Léon Askénazi, Manitou, qui a consacré une large part de sa vie et de son enseignement à comprendre et transmettre ce que représente pour notre temps la renaissance de la souveraineté juive, disait que nous étions en convalescence de résurrection. Un processus long et parfois douloureux. Alors en attendant, il faut prendre garde aux rechutes.



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