Il y a vingt ans survint la chute du mur de Berlin. Si Humpty Dumpty* était assis dessus, aucun soldat soviétique, aucun espion de la Stasi n’aurait pu rassembler Humpty. Ce n’était pas la fin de l’histoire, comme certains aimaient à la qualifier, mais plutôt un instant de pause dans l’histoire qui montra au monde en un moment fort, qu’une part du mal que les hommes font peut être défait.
Par une coïncidence qui n’a pas échappé aux philosophes, le Mur tomba à la même date que la ‘Nuit de Cristal’ en 1938, quand la nazis – avec l’aide de nombreux « hommes de bien par ailleurs » - fracassèrent fenêtres et vitrines de foyers et de commerces juifs, mirent le feu aux synagogues, et pillèrent et dévalisèrent les propriétés juives, inscrivant la préface de l’Holocauste d’Adolf Hitler.
Les 9 et 10 novembre 1938, plus de 20.000 Juifs furent entassés dans des camions comme du bétail et transportés dans des camps de concentration comme Buchenwald et Dachau. Buchenwald se situait Allemagne orientale, et c’est par une ironie tragique que durant les années où l’Allemagne était un pays divisé, on enseignait aux Berlinois de l’Est que Buchenwald n’était pas un camp où des milliers de Juifs moururent, mais où les « bons » communistes comme Ernest Thalmann, président du Parti Communiste d’avant guerre étaient emprisonnés par les nazis. L’histoire, comme la politique, est d’abord locale.
La mort de 6 millions de Juifs a été instruite et documentée, et ils sont pleurés dans des mémorials et des musées. Les morts de ceux qui ont tenté individuellement de s’échapper par-dessus le mur sont en plus petit nombre et moins bien connues.
Le Mémorial du Mur de Berlin rassemble aujourd’hui des documents pour une exposition en plein air appelée “Fenêtres du Souvenir », qui ouvrira l’an prochain et inclura les photos et les portraits des 139 hommes et femmes qui moururent à la recherche de la liberté de l’autre côté du mur. Leurs noms ont été pour beaucoup d’entre eux perdus dans l’histoire, parce que le régime de l’Allemagne de l’Est les qualifiait de fugitifs et de criminels et tentait de cacher comment ils furent tués de manière brutale.
Pratiquement tous étaient sans armes. Certains furent fusillés dans le dos en courant vers le mur. D’autres moururent par balles en nageant à travers la Spree** ou en s’éclipsant à travers les voies ferrées dans des « stations fantômes » fermées à Berlin Est. Des officiels firent rapidement incinérer leurs corps, souvent avant que les familles ne connaissent leur mort pour les identifier.
J’ai lu quelques unes de leur histoires dans les dossiers de la Stasi aujourd’hui accessibles au public, et elles ne révèlent pas seulement un régime cruel coupant brutalement les familles, les amis et les voisins, mais racontent aussi des histoires poignantes sur les infortunes du parcours affectant personnellement des gens dans leur cœur et leur esprit.
« L’histoire se place fatalement au croisement du destin d’un individu », dit la sœur de Peter Fechter. Elle a poursuivi les gardes qui ont tiré et tué son frère, dont les cris d’appel au secours sont restés vains pendant près d’une heure alors qu’il était étendu mourant au pied du mur, dans un quartier autrefois le lieu d’un journal vivant de Berlin.
A son crédit, l’Allemagne a documenté les atrocités de l’Holocauste et identifie aujourd’hui chaque personne qui mourut en essayant de fuir la tyrannie de l’Est après a chute du Mur, y compris Ida Siekmann, qui sauta par sa fenêtre du troisième étage, juste devant le Mur, quand elle réalisa que le ciment et le fil de fer barbelé qui montaient devant l’immeuble de son appartement avaient pour but de lui interdire la liberté. Elle fut la première à mourir quand la frontière fut fermée.
Après la chute du Mur, beaucoup des gardes responsables de la mort d’innocents furent traduits en justice et condamnés pour homicide, mais parce qu’ils n’avaient que 19 ans et avaient commis des crimes légalisés par l’Etat, la plupart furent condamnés à un peu plus d’un ou deux an(s) [de prison] avec sursis.
Certains récitèrent le refrain familier qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres. D’autres dirent qu’ils faisaient ce qu’on les avait entraînés (endoctrinés) à faire.
Bien sûr, certains parvinrent à s’échapper de Berlin, et ne connaîtront probablement jamais le noms de ces gardes en poste qui refusèrent de tuer des innocents. (Beaucoup de gardes frontières trouvèrent aussi la possibilité de s’enfuir).
Le 20ème siècle a été le témoin d’immenses horreurs contre l’humanité, infligées par l’Etat collectivement et par des individus. Daniel Jonah Goldhagen, dans son nouveau livre « Worse Than War : Genocide, Eliminationism and the Ongoing Assault on Humanity”*** », observe succinctement ce qui vrai à la fois pour un génocide et un meurtre : « Les gens font des choix sur la manière d’agir, même s’ils ne choisissent pas le contexte dans lequel ils les font ».
En rappelant la ‘Nuit de Cristal’ et ce qui s’ensuivit pendant l’Holocauste, nous nous demandons comment de tels évènements sont survenus. Quand nous célèbrerons la chute du Mur et penserons à d’autres types de murs qui sont continuellement construits entre des peuples et des pays, nous rechercherons les voies pour les prévenir. Nous pouvons nous interroger, avec Goethe, le poète allemand, qui comprit l’importance d’une seconde chance accordée à l’homme après sa chute dans « Faust », son chef-d’œuvre, « Nous vieillissons tous – mais qui devient sage ? ».
Notes du traducteur :
- *Humpty Dumpty : comptine anglaise….
- *Spree : rivière qui arrose Berlin,
- **« Pire que la guerre : Génocide, élimination et agression continue contre l’humanité », non encore traduit en français.