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Les métamorphoses du MRAP
Michel Gurfinkiel
Article mis en ligne le 18 février 2004

Créé par les communistes en 1949 pour fidéliser les sympathisants juifs, le MRAP milite aujourd’hui pour le voile islamique. Tout change pour que rien ne change.

Le voile islamique revient. Avec une affaire « exemplaire », ficelée comme un téléfilm. Décor : Aubervilliers, dans la Seine-Saint-Denis, l’une des dernières municipalités communistes de la région parisienne. Mais aussi un bastion de l’immigration,où 75% des enfants scolarisés sont d’origine étrangère.Héroïnes : Lila,dix-huit ans,et Alma,seize ans,élèves au lycée Henri-Wallon(l’inspirateur communiste des réformes qui, depuis 1945, ont conduit à la mise en place du
« tronc commun » dans le secondaire). Deux soeurs. Deux petites frimousses. Et le sens de la répartie.

Lila et Alma se déclarent musulmanes et veulent porter un foulard pendant les heures de classe. Le proviseur Lucien Nédélec et le corps enseignant s’y opposent : c’est contraire au règlement intérieur de l’établissement. La sanction tombe le 23 septembre : exclusion immédiate, en attendant la décision du conseil de discipline.

Jusque là, tout est banal, convenu, prévisible. Mais soudain, le scénario bascule. Sur un détail insolite : Lila et Alma sont musulmanes,soit,mais elles s’appellent Lévy. Leur père, Laurent Lévy, est juif, ou plus exactement, selon sa propre définition, « juif sans Dieu ». Quant à la mère,c’est une "Kabyle non
pratiquante« . En d’autres termes, on sort du schéma »intégriste« qui sous-tendait les autres affaires de voile : familles immigrées de souche arabe, communautarisme, références coraniques omniprésentes. Lila et Alma, c’est le contraire : non-Arabes, à demi-Maghrébines seulement, élevées hors »communautés« , elles sont musulmanes pratiquantes par choix personnel et non par »manipulation« . Comme d’autres adolescentes du même âge »flippent" pour le catholicisme charismatique, le judaïsme hassidique, le bouddhisme, la techno, ou Star Academy.

Cette argumentation est celle, notamment, d’un journaliste du Monde, Xavier Ternisien : « Le cas de Lila et Alma ne correspond pas aux cas de figure classiques sur le foulard ».Le 24,il assiste à une manifestation « improvisée » d’élèves en faveur des deux soeurs, qui se déroule devant le lycée Henri-Wallon. Farida, une de leurs condisciples, lui confie : « Il y a des filles, dans le lycée, habillées en gothique. On ne leur dit rien. » D’ailleurs, Lila et Alma « disent être allées une fois ou deux à la mosquée » et « jurent qu’elles ne fréquentent pas d’associations islamistes ».

Les parents Lévy sont séparés. Curieusement, les filles vivent avec le père, qui se déclare « opposé au voile », mais soutient néanmoins leur démarche. « A travers cette affaire, je découvre surtout la folie hystérique de certains ayatollahs de la laïcité », affirme-t-il. « Je défend le droit de mes enfants d’aller à l’école ». Certains enseignants, selon lui, « pousseraient vers l’école coranique » les enfants d’origine musulmane.

Mais qui est donc Laurent Lévy ? Deuxième rebondissement, qui vaut bien le premier.C’est l’un des avocats du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Une organisation militante antiraciste qui a long-temps « cousiné » avec le parti communiste. A l’origine, le MRAP se tournait plutôt vers la communauté juive : le sigle renvoyait alors à l’appellation de « Mouvement contre l’antisémitisme et le racisme et pour la paix ». A partir des années soixante-dix, l’organisation s’est rapprochée des communautés musulmanes. C’est à cette occasion que la mention de l’antisémitisme a été biffée.

Raph Feigelson, ancien résistant, déporté à Auschwitz en 1944, a été l’un des fondateurs du MRAP « historique », en 1949. Il explique à Valeurs Actuelles :
« A cette époque, la principale organisation antiraciste, c’était la Ligue internationale contre l’antisémitisme (Lica). Elle était proche des socialistes. Cela gênait les communistes : la guerre froide avait commencé. »

Feigelson poursuit : « Une autre chose préoccupait le Bureau politique : les juifs ne s’intéressaient pas au Mouvement de la paix, la courroie de transmission chargée de lutter contre la mise en place de l’Otan. Un ’responsable aux masses’ est donc venu nous trouver à l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), l’organisation des juifs proches du parti, pour nous demander de mettre sur pied quelque chose qui assumerait les deux fonctions : lutte contre l’antisémitisme et action pour la paix. »

Le MRAP est officiellement constitué le 22 mai 1949, lors d’une réunion au Cirque d’Hiver. Sous la présidence de Marc Chagall. « Et en présence de toutes sortes de délégations », se rappelle Feigelson.

Le MRAP survit à l’affaire des « blouses blanches » de 1953, qui jette une lumière crue sur l’antisémitisme soviétique, ou au retournement anti-israélien de Moscou. « Le parti a longtemps mené ça de façon intelligente », observe Feigelson. « Il donnait à ses organisations de masse beaucoup de liberté par rapport à la ligne officielle ». Sous Georges Marchais, dans les années 1970, la comédie est finie. La plupart des juifs quittent le MRAP. Pour survivre, cette organisation trouve une nouvelle cause et de nouveaux sympathisants chez les immigrés musulmans.

Mais quelques juifs restent. Albert Lévy, inamovible dirigeant. Ou aujourd’hui Laurent Lévy. Ce milieu sociologiquement microscopique insiste sur sa « laïcité » ou son « agnosticisme ». Une façon comme une autre d’admettre l’absence de tout lien avec le judaïsme réel. Quand l’occasion se présente, on l’a vu, ce laïcisme s’accommode très bien de l’intégrisme musulman.

Au tournant des années 2000, le MRAP doit faire face à une situation inédite. Jamais la communauté musulmane de France n’a été plus intégrée. Au même moment, la communauté juive est l’objet de violences verbales puis physiques sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et la plupart de ces violences sont dues à des « jeunes » issus de l’immigration.

Première solution : l’organisation, que dirige désormais Mouloud Aounit, dépose une plainte après chaque acte antisémite tout en s’indignant de ce qu’elle appelle « l’amalgame qu’une partie de la communauté juive est en train faire entre (des) voyous et tous les jeunes qui sont révoltés par le sort fait aux Palestiniens ». Deuxième solution : le MRAP affirme que le racisme anti-arabe ou anti-musulman n’est pas moins virulent que le nouvel antisémitisme. Et que des juifs y prennent part.

Pour étayer cette thèse,le MRAP se tourne d’abord vers le « virtuel »-internet- - à l’aide d’un mystérieux groupe de « cyberjusticiers ». En 2002, il porte plainte contre un informaticien juif, Alexandre Attali. Pour antisémitisme.
Un forum dont ce dernier était le responsable technique avait non seulement publié la liste des signataires d’une pétition anti-israélienne, en l’assortissant de commentaires injurieux, mais mis en relief les personnalités d’origine juive. A l’été 2003, le MRAP renchérit en rendant publique une longue enquête sur les sites Internet anti-arabes. Avec une attention particulière sur deux ou trois sites qui prouveraient une connivence entre extrémistes juifs et non-juifs.

Dans l’affaire des fillettes d’Aubervilliers, le Mouvement semble aller plus loin encore:c’est l’application pure et simple de la laïcité qui est désormais présentée comme une attitude extrémiste, à la limite du racisme anti-arabe. Ces campagnes sont soigneusement préparées sur le plan de la communication et des médias. L’affaire d’Aubervilliers, par exemple, coïncide à la fois avec une déposition du MRAP à l’Assemblée nationale, devant la commission sur la laïcité, présidée par Bernard Stasi, et avec le procès d’Attali à la XVIIe Chambre correctionnelle de Paris (où Ternisien est témoin à charge).

Le MRAP d’aujourd’hui est-il aussi lié au PCF que celui de naguère ? En 1990, c’est un ancien ministre communiste, Jean-Claude Gayssot, qui fait voter, avec le soutien du gouvernement socialiste et sans contestation à droite, une loi antiraciste largement inspiré par cette organisation.

Treize ans plus tard, L’Humanité entretient toujours avec le MRAP des relations privilégiées. Mais le Nouvel Observateur ou Le Monde ne sont pas en reste. En fait, le Mouvement semble trouver des relais dans toutes les mouvances de gauche et d’ultra-gauche. Un peu comme José Bové.

© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2003



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