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A propos de boycott
par David Ruzié, professeur émérite des universités, spécialiste de droit international
Article mis en ligne le 14 avril 2008
dernière modification le 16 avril 2008

On parle beaucoup, ces jours-ci, dans les médias, de boycott sinon des jeux olympiques, du moins de la cérémonie officielle d’ouverture de cette grande manifestation sportive mondiale. Et, il nous paraît intéressant d’évoquer, ici, le boycott d’Israël, qui apparemment, est un phénomène, souvent, mal connu, comme en témoigne, par exemple, une table ronde tenue sur les ondes de France Culture le 10 avril dernier.

Mais, un arrêt récent de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française du 18 décembre 2007, qui vient d’être publié dans la revue juridique Dalloz (n°13, 27 mars 2008, p. 893 avec une note de S. Detraz) nous rappelle que l’action du Bureau central du boycott d’Israël, mis en place en 1954, par la Ligue arabe, n’est pas caduque.

La Haute juridiction française a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui avait débouté la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), de sa plainte contre une P.M.E. de la Haute-Vienne qui, pour obtenir, aux Emirats arabes unis, un marché relatif à la livraison de machines de décoration de vaisselle, avait fourni un certificat, exigé par le cocontractant arabe, certificat qui avait été visé par la Chambre de commerce et d’industrie de Limoges.

Aux termes de ce document, la livraison de la marchandise n’interviendrait pas par le canal d’un transporteur israélien, ni ne transiterait par Israël.

La Haute juridiction française a considéré que ce document tombait sous le coup des dispositions de l’article 225-2-2° du nouveau code pénal, qui sanctionne toute entrave à l’exercice d’une activité économique quelconque.

En effet, l’exigence de ce certificat constituait une discrimination à raison de l’appartenance à une nation (en l’espèce Israël), discrimination visée par cet article et les magistrats ont estimé qu’une discrimination en matière économique ne pouvait pas être justifiée par l’existence d’un « boycott irrégulier », relevé par la Cour d’appel, que précisément le code pénal a pour but de sanctionner.

Le commentateur de cette décision, peu au fait de la question, a cru pouvoir la critiquer, en relevant, d’ailleurs, que « les cas de boycott discriminatoires ne se rencontrent pas fréquemment en jurisprudence ». Il reste à espérer que la cour de renvoi, en l’occurrence la cour d’appel de Bordeaux, se rangera à l’analyse juridique de la Cour de cassation.

Cette décision constitue, d’ores et déjà, en quelque sorte, un hommage rendu à l’opiniâtreté des juristes de la LICRA, mais aussi à l’action héroïque entreprise, il y a plus de 32 ans par Jean-Louis Bismuth, agrégé des Facultés de droit et avocat, qui nous a, malheureusement, quittés, dans la fleur de l’âge, voici 15 ans, presque jour pour jour.

En effet, le signataire de ces lignes se souvient d’avoir, avec son collègue, créé le Mouvement pour la Liberté du Commerce (M.L.C.), qui regroupa des personnalités politiques venant de tous les milieux, sauf les deux extrêmes, et d’avoir réussi, non sans mal, en raison des réticences du gouvernement, à faire voter l’article 32 de la loi du 7 juin 1977, permettant de sanctionner pénalement le boycott d’Israël.

La loi pénale étant d’interprétation restrictive, il nous était, en effet, apparu que la loi antiraciste du 1er juillet 1972, rendue nécessaire pour mettre le droit français en conformité avec la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1966, risquait fort de ne pas permettre de lutter contre le boycott.

Il fallait un texte plus précis, visant expressément, comme l’indiqua le nouvel article 416-1 du code pénal « quiconque aura par son action ou son omission et sauf motif légitime, contribué à rendre plus difficile l’exercice d’une quelconque activité économique dans des conditions normales » (c’est ce que, sous une forme sensiblement, plus concise sanctionne, nous l’avons dit l’article 225-2-2° du nouveau code pénal).

Précisément, s’agissant d’un « motif légitime », le gouvernement avait fait introduire un §3 dans cet article 32 de la loi, qui envisageait le cas où les faits visés seraient « conformes à des directives du gouvernement prises dans le cadre de sa politique économique et commerciale ou en application de ses engagements internationaux ».

Cette restriction nous paraissait tout à fait normale car, le texte n’étant pas limité aux relations économiques avec Israël, on pouvait, parfaitement, imaginer, sous réserve de respecter les dispositions du droit international concernant la liberté des échanges internationaux (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce - GATT - repris par l’O.M.C.. ou l’article 7 du traité de Rome - ne s’appliquant qu’aux Etats membres - interdisant toute discrimination exercée selon la nationalité) que le gouvernement décide de ne pas autoriser, pour certaines raisons, des relations économiques avec tel ou tel Etat. Il fallait également prévoir l’hypothèse où le Conseil de sécurité des Nations unies déciderait des sanctions économiques contre un Etat, que les membres de l’Organisation devait mettre en œuvre.

Mais, le gouvernement de Raymond Barre, qui n’avait pas pu s’opposer au vote de la loi, ne s’avoua pas vaincu et tenta, immédiatement, de la vider de sa substance, en utilisant ce §3.

Et c’est ainsi que dès le 24 juillet 1977, un « avis » (mais de fait une décision ayant caractère obligatoire) déclarait, que dans le souci de la recherche de nouveaux débouchés, notamment, au Moyen-Orient, la loi du 7 juin 1977 serait inapplicable au regard des opérations commerciales effectuées dans cette région.

Immédiatement, le MLC déposait un recours devant le Conseil d’Etat et dans sa remarquable étude, publiée, au printemps 1980, son secrétaire général, Jean-Louis Bismuth, démontrait l’illégalité de cet « avis » (« Le boycottage dans les échanges économiques internationaux au regard du droit », éd. Economica, 92 p.).

Le Conseil d’Etat nous donnait effectivement raison en annulant l’ « avis Barre » le 18 avril 1980.

Mais Raymond Barre dont on a connu l’opiniâtreté dans l’erreur, en d’autres circonstances (comme nous l’avons relevé, ici même, peur de temps avant sa mort en 2007) revint à la charge et, modifiant quelque peu la rédaction de la formule, édicta, le 9 mai 1980, une « directive » ayant la même finalité, à savoir permettre le boycott d’Israël.

Jean-Louis Bismuth ne s’avoua pas battu, malgré les difficultés financières rencontrées par le MLC, qui dut mettre ses activités en sommeil, et il déposa un nouveau recours devant le Conseil d’Etat. Celui-ci n’eut pas à statuer, car, au lendemain même de son élection, François Mitterrand, qui en avait pris l’engagement, durant la campagne électorale, chargea son Premier ministre Pierre Mauroy d’édicter, le 17 juillet 1981, une « circulaire » annulant la « directive Barre ».

Force restait donc à la loi, mais, en réalité, rares furent les poursuites pénales qui aboutirent.

En effet, comme le prouva une action entreprise, en septembre 2002, contre une association (CAJPO), qui, sous couvert de « coordonner des appels pour une paix juste au Proche-Orient », avait appelé au boycott de produits israéliens, les contrainte de la procédure, rendaient difficiles de telles actions. De même, la Cour d’appel d’Orléans avait, quelques années auparavant, couvert, en quelque sorte, les initiatives de certaines Chambres de commerce et d’industrie, qui cautionnaient, notamment, la signature de « certificats, du genre de celui, qui vient d’être condamné par la Cour de cassation.

La récente décision de la Cour de cassation - qui doit, encore être suivie d’effet devant la Cour d’appel de renvoi - traduit un infléchissement de la jurisprudence française, déjà marqué, comme nous l’avions relevé, ici même (v. notre point de vue du 6 octobre 2004), par un arrêt du 29 septembre 2004, rejetant le pourvoi formé par le maire communiste d’une localité du nord de la France, qui avait appelé au boycott des produits importés d’Israël, dans les achats de la cantine scolaire de la commune.

Il se trouve que la France est le seul pays de l’Union européenne à s’être dotée, comme l’ont fait, de leur côté, les Etats-Unis d’une législation anti-boycott.

Et malgré, les démarches que nous avions entreprises, dès la fin des années 70, avec Jean-Louis Bismuth auprès des institutions communautaires, aucune tentative d’harmonisation des législations, pourtant prévue par l’article 100 du traité de Rome, n’est intervenue, dans ce domaine. Il n’est, d’ailleurs, pas exclu que les autorités françaises soient à l’origine de cette « frilosité » à l’échelle de l’Union européenne.

Pourtant, sans même s’être dotés d’une législation « à la française », les Pays-Bas et l’Allemagne ont toujours su résister, sans pour autant être pénalisés, aux tentatives d’intimidation de la part des Etats arabes, cherchant à déplacer, en Europe le champ de leur combat contre Israël. Les statistiques de leurs échanges avec le Moyen-Orient en témoignent

La preuve en est que plus que le droit, c’est la volonté des entrepreneurs qui est déterminante.



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