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Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voix que celle de la raison (Primo Levi)
Le juif réac est arrivé
Jacques Tarnero © Primo Europe
Article mis en ligne le 29 avril 2006
dernière modification le 30 avril 2006

C’est le dernier filon médiatique, celui qui booste les bonnes feuilles, dope les ventes, fait causer dans les dîners : le juif réac est arrivé et c’est lui la menace majeure.

Entre Haaretz débusquant Finkielkraut le raciste, le Nouvel Observateur fichant tous les néo-réacs, Le Monde traquant les milices fascistes juives et Marianne dévoilant les séductions juives pour l’extrême droite, les rédactions ont compris le truc.

C’est bon ça, coco, le facho juif, le raciste juif, le juif nazi, ça dope les ventes.

Il est certain que tous ceux pour qui la chasse au réac est une garantie identitaire de gauche, pour tous les Vigilants patentés de l’Ecole des Hautes Etudes, trouver le « réac » permet une réassurance idéologique à peu de frais.

Là où le filon repoussoir Sharon montre des traces d’usure et paraît moins menaçant que les amis progressistes de Tariq Ramadan, voilà que le néo-réac, juif de surcroît, donne au débat politique une saveur qui faisait défaut au défunt Cépéheu.

C’est bien connu, en France on aime le débat d’idées. Le drame c’est que cet antifascisme là rend aussi idiot qu’aveugle.

Dans Marianne de cette semaine, on peut lire quelques extraits du livre de Cécilia Gabizon et de Johan Weisz analysant l’« OPA sur les juifs de France. Enquête sur un exode programmé ».

Tout y passe, de l’Agence juive officine sioniste super réac (c’est un pléonasme, ou avais je la tête ?) à William Goldnadel (carrément lepéniste), de Pierre André Taguieff à Jacques Tarnero (ex gauchos de shalom archav, virés sharono-gauchistes), nous voilà tous catalogués dans la catégorie « prophètes du pire » avec Philippe de Villiers pour mentor.

Quelle jolie presse nous avons la ! quelle analyse fine et subtile !

Il y a quelques années un hebdomadaire progressiste à 100% de pages progressistes, dénonçait sous la plume d’un historien 100% progressiste le « retour à l’ordre » et la lourde déviance de certains intellectuels qui avaient poussé jusqu’à la droite la critique du stalinisme.

Daniel Lindenberg dans Le Nouvel Observateur pointait déjà l’esprit versaillais chez ces intellectuels dévoyés par l’esprit abusivement critique.

Dénoncer la mécanique intellectuelle stalinienne en URSS, à Cuba au Cambodge, cela pouvait aller mais en dénoncer les reflets et les réflexes dans la pensée française, cela annonçait bien ce retour de balancier droitier si détestable. Le néo-réac s’était infiltré au détour et au retour de la nouvelle guerre d’Algérie en France.

Car c’est bien cette matrice là qui est encore et toujours à l’œuvre dans le paysage idéologique actuel.

Pourquoi la guerre d’Algérie et pas une autre ? Car elle est la fracture dont on n’arrête pas de solder les comptes fantasmatiques et les projections imaginaires.

A défaut

A défaut d’avoir été Résistants, à défaut d’avoir été porteurs de valises, à défaut d’avoir été barbudo dans la Sierra Maestra, les Vigilants des justes causes, les gardiens du temple progressiste avaient enfin trouvé leur dénominateur 100% de gauche.

La Propalestine (finement analysée par Luc Rosensweig) devenait l’ultime incarnation substitutive de la Prochine qui avait elle même succédé à la Provietnam ou à la ProFLN.

La Propalestine avait un avantage sur les autres, elle possédait cette synthèse concrète du prolétaire convoité et du guerillero tant recherché.

Ces fellagha palestinien de la Propalestine devenait l’étalon rédempteur en platine iridié déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres. Toute critique de la Propalestine ne pouvait qu’être frappée des foudres du progressisme vigilant et c’est autour de ces représentations que se sont construits les clivages actuels.

Le para Sharon (Charonne, c’est tout dire !) possédait son Jean Cau-Finkielkraut tandis que le progressiste défunt Arafat-Franz Fanon avait sa cohorte de soutien lucide et éclairée des Garaudy, Badiou, Balibar, Serge Thion et autres François Genoud.

Les errances nostalgiques, les souvenirs enfouis passaient par dessus les faits.

Au diable l’histoire puisque c’est le mythe qui fait rêver. Tal El Zaatar, Beyrouth, Sabara et Chatila seront autant de batailles d’Alger par procuration. Au diable le massacre de Damour ou celui de Mélouza, les causes justes ne peuvent supporter les dégats idéologiques collatéraux.

Massu-Barak contre Yacef Saadi-Georges Habbache. Qui est le bon ? qui est le méchant ? Au fil du temps, des contradictions secondaires pouvaient bien entacher la cause des causes et si cette dernière glissait progressivement de la lutte-laïque-et-démocratique vers la charia, ces aléas secondaires ne pouvaient occulter la menace majeure : celle du complot américano-sioniste et de ses agents stipendiés.

Les vertus progressistes et émancipatrices de cet anti-impérialisme pouvait bien crier « mort aux juifs » à Durban en août 2001 au cours de la conférence (progressiste, forcément progressiste) de l’ONU sur le racisme, ou chasser le sioniste dans les rues de Paris au cours d’une manifestation pacifiste en mars 2002, un an plus tard après le 11 septembre, la messe politique était dite à gauche :

si Israël n’était pas l’agresseur, si les juifs (sauf quelques uns plus à gauche que les autres) n’étaient pas solidaires de cet agresseur, si l’Amérique n’était pas l’Amérique et si au bout du compte les juifs n’existaient pas, hé bien, ces excès condamnables n’auraient jamais eu lieu.

De Jean Genet à Gilles Deleuze, d’Alain Badiou à Edgard Morin, de Daniele Sallenave à Daniel Bensaid, c’est la même pensée savante, précieuse et tordue qui a déroulé au fil du temps les cautions théoriques de la haine progressiste et sophistiquée des juifs.

Elle nommait la cause juste et dénonçait le mal et ses divers avatars. L’énigme de la millénaire résistance juive rétive à leur grille de lecture devait courber l’échine devant celle ci.

Incapable d’en saisir la dimension symbolique, ces grands esprits ont préféré rabattre l’histoire juive dans les catégories plus aisées des mécaniques de l’intrigue historique.

Ce système de pensée a servi de référent politico moral pour l’apothéose d’intelligence progressiste dont nous sommes aujourd’hui les témoins : à Londres, au dernier Forum Social Européen, le secrétaire du Social Worker Party (trotskyste) en a donné la résultante sommaire : qui est l’ennemi principal ? L’Amérique avec son épigone Israël.

Qui s’oppose à cet ennemi ? Les islamistes combattants ! Le Social Worker Party a choisi son camp. L’ennemi de son ennemi est son ami, fut-il le camarade Oussama, Ben Laden Grand Leader.

Pauvre, pauvre Léon Davidovitch...

Il n’ y a pas de passage à l’acte sans un air du temps qui lui donne sa légitimité.

Depuis des années les frustrés du Grand Soir nomment l’ennemi du peuple. Ils l’ont identifié. La métastase est passé du sioniste au juif « victime de la plus ignoble des barbaries, devenu barbare à son tour » comme dirait Edgard Morin.

Il n’en faut pas plus aux esprits simplets, aux égarés, pour trouver leur caution.

Dieudonné en a rêvé, Youssouf l’a fait.

C’est bien à la télé qu’on a vu des soldats sionistes tuer le petit Mohamad et même si on ne l’a pas vu, on a deviné.

Cet air du temps ne s’est pas nourri en un jour et à chaque jour suffit sa peine.

Mais il y a des jours comme ça où on se dit qu’il est peut être plus honorable de boire un coup avec un maquereau de Pigalle qu’avec un journaliste bien pensant.



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