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Deuxième révolution islamique en Iran : lutte pour le pouvoir au sommet
Par : Ayelet Savyon - MEMRI
Article mis en ligne le 27 novembre 2005

Ainsi que l’a relevé MEMRI en juin 2005, la victoire de Mahmoud Ahmadinedjad aux élections présidentielles iraniennes a marqué le début de la « Deuxième révolution islamique » en Iran.

Celle-ci se manifeste par la fidélité d’Ahmadinedjad à l’idéal de « justice islamique », à la croyance en la venue messianique de l’Imam caché et par son engagement à appliquer les idées de la Révolution islamique de l’ayatollah Khomeiny. Le mandat d’Ahmadinedjad se caractérise en outre par une lutte intense pour les postes clé du régime. [1]

Dans sa dernière déclaration officielle (15 novembre 2005), Ahmadinedjad a dit: « Aux derniFères élections, le peuple a prouvé sa foi en la Révolution et sa volonté d’assister à un éveil des idéaux de la Révolution islamique (…) Cette révolution représente la continuation de mouvement des Prophètes. C’est pourquoi tous les efforts politiques, économiques et culturels du pays doivent avoir pour objectif la concrétisation des idéaux islamiques. » (…) « Les disciples de l’école divine de pensée islamique s’efforcent de leur mieux de préparer l’avènement imminent (de l’Imam caché). »

Ahmadinedjad a mis en garde contre le danger que représenterait la perte de son identité, de ses idéaux et des vertus de la Révolution islamique, affirmant qui la société se retrouverait privée d’objectifs et de sa noble destinée: « C’est notre devoir de ramener la population à ses grands idéaux et d’ouvrir la voie à la création d’une société islamique exemplaire, puissante et progressiste (…) L’Iran doit émerger comme le pays le plus puissant et le plus développé (…) » [2]

L’Iran aujourd’hui se trouve en proie à une lutte de pouvoir intense au sommet. Le camp réformateur a disparu de la scène politique iranienne pour faire place au groupe conservateur militariste fondamentaliste, dominée par des personnalités telles que l’ayatollah Mohammed Taqi Mesbah-e Yazdi et des membres de la sécurité, notamment des Gardiens de la Révolution, le Basij (mouvement de jeunesse semi-militaire) et les services de renseignement. Aujourd’hui, ce groupe contrôle le Majlis (Parlement) et le bureau présidentiel.

Réaction de Khamenei

A la veille des élections présidentielles, le guide suprême Ali Khamenei avait justifié sa politique par la nécessité de créer un équilibre entre les deux branches politiques du régime: « Nous croyons que l’existence de deux factions fidèles à la constitution est bénéfique au régime (ndlr: les conservateurs et les réformateurs). Elles sont comme deux ailes permettant de voler (…) dans une atmosphère d’émulation et de progrès (…) Nous ne permettrons pas à ceux qui ne croient pas à la constitution et au régime de diriger (…) La voie du milieu, l’approche adéquate sont celles du conservatisme réformateur. » [3]

Sur la base de cette conviction, Khamenei a réagi à la « Deuxième révolution » fondamentaliste conservatrice en cherchant à pallier à la disparition du camp des « réformateurs » et en rétablissant l’équilibre politique, perdu quand l’intégralité du pouvoir s’est trouvé entre les mains des conservateurs, dont certains plus radicaux que lui-même.

Dans cet objectif, début octobre 2005, Khamenei a étendu les pouvoirs d’Ali Akbar Rafsandjani, président du Conseil chargé de la sauvegarde des intérêts supérieurs du régime, qui avait été largement battu par Ahmadinedjad aux élections présidentielles ; le conseil supervise désormais la politique du régime et des quatre branches de l’activité du régime. [4]

Ce faisant, Khamenei a officiellement fait de Rafsandjani le numéro deux de la direction iranienne. Rafsandjani supervise les trois branches du régime iranien: sur le plan hiérarchique, il se trouve au-dessus du président Ahmadinedjad, du président du Majlis Gholam-Ali Hadad-Adel, et de l’ayatollah Mahmoud Hashemi Shahroudi, qui dirige le système judiciaire (le seul à se trouver au-dessus de Rafsandjani est, bien sûr, Khamenei lui-même, Guide suprême et chef de l’Etat). [5]

Ce geste de Khamenei a contribué à renforcer le camp relativement modéré représenté actuellement par Rafsandjani ? Contrairement au président Ahmadinedjad et à ses partisans, Rafsandjani est perçu comme étant un leader pragmatique ? Bien que n’ayant jamais appartenu au camp des réformateurs, ses récentes positions témoignent de son pragmatisme, notamment dans les domaines de l’économie et de la politique étrangère. Rafsandjani appartient à la génération des fondateurs de la Révolution islamique. De dignitaire religieux de petite envergure proche de l’ayatollah Khomeini, il a, depuis la Révolution, occupé des postes importants du régime. Faisant usage de sa forte influence dans les affaires de l’Etat, Rafsandjani a, aux yeux de Khamenei, contribué à contre-balancer l’extrémisme croissant d’Ahmadinedjad et de ses partisans. [6]

Il existe une autre opinion concernant le nouveau pouvoir de Rfsnadjani: selon des forums Internet iraniens, le nomination de Rafsandjani ne s’est pas faite sur l’initiative de Khamenei. Khamenei a été obligé d’agir de la sorte par les ayatollahs, notamment par le chef du système judiciare Shahroudi et par le chef di Conseil des experts Meshkini. Les ayatollahs ont demandé à Khamenei de renvoyer Ahmadinedjab, après que ce dernier eut exigé des rapports financiers et administratifs sur les activités des organisations et institutions dépendants d’eux. Les ayatollahs ont fait valoir qu’un président avait déjà été limogé quand l’Ayatollah Khomeini avait destitué le président Bani-Sadr en juin 1981.

Khamenei a repoussé cette demande. Toutefois, lorsque les ayatollahs ont menacé de destituer Khamenei en personne, ce dernier a consenti à placer Rafsandjani au-dessus d’Ahmadinedjad. [7]

L’éventuelle résurgence d’une lutte de pouvoir a fait l’objet d’une analyse de Mohsen Sazegara [8] , intellectuel iranien opposé au régime, aujourd’hui actif aux Etats-Unis. Sazegara a affirmé que suite aux élections présidentielles de juin 2005, le groupe des conservateurs fondamentalistes soutenu par Kamenei menaçait désormais son pouvoir absolu. [9]

Ironiquement, c’est précisément ce groupe - les Gardiens de la Révolution et le Basij - que Khamenei s’est efforcé de renforcer aux dépens des anciens conservateurs et dont il a permis l’activité politique - qui menace de renverser de renverser Khamenei. Les conservateurs fondamentalistes essaient de militariser le gouvernement iranien en conquerrant autant de postes politiques que possible.

Un autre domaine où Khamenei risque de se sentir menacé à l’avenir, selon Sazegara, est le Conseil des experts - le seul organe autorisé, par la constitution iranienne, à le destituer.

Khamenei a été nommé à son poste d’héritier du guide spirituel de l'ayatollah Ruhollah Khomeini par Khomeini lui-même - bien qu'il n'ait pas les qualifications énoncées par la loi de Velayat-e faqih mise au point par Khomeini en personne. Ali Khamenei se trouve au pouvoir grâce au soutien du Conseil des experts - constitué d'ayatollahs fidèles à la Révolution islamique. Jusque là, le Conseil a soutenu toutes les décisions de Khamenei. Toutefois, note Sazegara, si la composition du Conseil devait changer suite aux élections de l'année prochaine, si ses nouveaux membres devaient préférer la faction militariste fondamentaliste dirigée par l'ayatollah Taqi Mesbah-e Yazdi, le soutien automatique dont bénéficie Khamenei pourrait en être altéré.[10]

Lutte pour le pouvoir dans les échelons supérieurs du pouvoir

Ahmadinedjad et la faction militariste fondamentaliste représentent une menace croissante aux rangs des anciens du régime conservateur et au pouvoir économique qu'ils ont accumulé en 26 ans de révolution islamique.

A. Aspects religieux et idéologiques

Ces dernières semaines, les rapports faisant état de la politique fondamentaliste stricte exercée par Ahmadinedjad ont été nombreux, ce dernier s'étant déclaré désireux de parvenir à une "justice islamique conforme aux valeurs de la Révolution islamique". Déjà dans sa campagne électorale, Ahmadinedjad avait déclaré son engagement aux principes de la "justice islamique".

Les allocutions publiques d'Ahmadinedjad témoignent de cet engagmeent aux idées chiites messianiques, qui étaient aussi celles de l'ayatollah Khomeini: la réapparition de l'Imam caché et la croyance, profondément ancré, d'une lutte existentielle historique entre deux civilisations, l'islam et l'Occident - où l'islam ne pourra que triompher. Ces principes sont pour lui la ligne politique de l'Iran.[11]

Voici quelques exemples:

1. Engagement à respecter l'idéal de "justice islamique"

Depuis le début du mois de novembre, des rapports font état de l'intention d'Ahmadinedjad d'appliquer des réformes pour accorder des actions aux citoyens iraniens défavorisés dans les sociétés du gouvernement. On apprend en outre qu'Ahmadinedjad s'apprête à remplacer conseils de directeurs de sept banques gouvernementales. Ces nouvelles ont instantanément déclenché une chute de la bourse à Téhéran, qui pendant deux semaines est restée au plus bas.[12] Ahmadinedjad a en outre entrepris de combattre la corruption, courante au sein des ministères et chez les anciens responsables du régime? [13]

Ces derniers se sentent menacés par ces mesures, craignant qu'Ahmadinedjad ne révèle au grand jour leurs méthodes. Les échelons supérieurs du régime conservateur se sont, avec les années, embourbés dans la gestion des affaires quotidiennes et ont pris leurs distances vis-à-vis des idéaux messianiques et révolutionnaires. Ils se sont enfoncés dans des disputes et querelles de factions, tandis que des ayatollahs et de hauts responsables du régime ont été accusés de corruption. Ces dernières années, Rafsandjani lui-même a été accusé de corruption, notamment au sein du ministère du pétrole, ainsi que des membres de sa famille. Notons qu'à ce jour, les personnes désignées par Ahmadinedjad au ministère du pétrole n'ont pas été ratifiées par le Majlis.

2. Engagement à honorer l'idéal de Shehadat (martyre)

Déjà dans sa deuxième apparition télévisée en tant que président, Ahmadinedjad a loué "l'art du martyre" comme moyen légitime de réaliser des objectifs politiques: "Nous voulons un art offensif. L'art offensif élève et défend les nobles principes et attaque les principes corrompus, vulgaires, impies et inhumains. L'art atteint la perfection quand il dépeint la meilleure vie et la meilleure mort. Après tout, l'art nous apprend comment vivre. Telle est l'essence de l'art. Existe-t-il un art plus beau, plus divin et plus éternel que l'art du martyre ? Une nation qui connaît le martyre ignore la captivité. Ceux qui souhaitent ébranler ce principe ébranlent les fondations de notre indépendance et sécurité nationale. Ils ébranlent les fondations de notre éternité (…)" [14] Des extraits de ce discours peuvent être visionnés sur www.memritv.org, clip n° 782). En outre, IRIB, (Programmation de la République islamique d'Iran), a récemment diffusé plusieurs programme, y compris des dessins animés, faisant l'éloge du martyre (voir les clips 917, 908, 907, 906 et 736 sur www.memritv.org.

3. Engagement à la lutte historique existentielle entre l'islam et l'Occident

En prévision de la Journée de Qods (Jérusalem), fêté le dernier vendredi du Ramadan, Ahmadinedjad a participé à une conférence intitulée "Le monde sans le sionisme". Dans son discours, il a fait part de sa vision du monde, celle d'une lutte totale d'ordre existentiel, moral et culturel entre le monde islamique et l'Occident. Dans le contexte de cette vision du monde, Israël n'est qu'une front limité dans l'espace et le temps (pour consulter son discours, voir la dépêche spéciale n° 1013 sur www.memri.org ).

B. Aspects structuraux

Le commentateur iranien Arash Mahdavi a révélé l'identité du conseiller secret d'Ahmadinedjad: Mojtaba Hashemi Samareh. Mahdavi a affirmé que Samarah a des liens avec les Gardiens de la Révolution et les services de renseignements iraniens, et qu'il est le confident de l'ayatollah Taqi Mesbah-e Yazdi. Pendant le mandat de l'ancien ministre des affaires étrangères, Ali Akbar Velayati, Samareh, qui se trouvait à la tête du bureau de placement du ministère, a intimidé le personnel diplomatique en consultant ses lettres de créance et en s'assurant de la fidélité de ceux qui se présentaient pour des missions à l'étranger: il s'agissait de s'assurer qu'ils étaient suffisamment pieux en tant que musulmans et suffisamment fidèles au régime. [15] Mahdavi a aussi évoqué le règne de Samareh dans la ville de Téhéran à l'époque où Ahmadinedjad était maire.

Le cabinet d’Ahmadinedjad est essentiellement composé de jeunes officiers ayant grandi au sein des Gardiens de la Révolution et des services de renseignement iranien. Ils sont fidèles à l’interprétation fondamentaliste de la Révolution islamique et se considèrent comme les disciples de l’ayatollah Khomeini. Ahmadinedjad a accordé des postes clé du gouvernement, tels que les ministères des Affaires étrangères, des Renseignements, de l’Intérieur, de la Défense, de la Culture et de l’Orientation islamique à ses associés parmi les officiers des Gardiens de la Révolution, à ses amis du quotidien ultra conservateur Kayhan et de la municipalité de Téhéran, ainsi qu’à des proches de Mohammed Reza Bahonar, vice-président conservateur du Majlis et oncle de Samareh.

Toutes ces personnes suivent les enseignements d’un même dignitaire religieux, l’ayatollah Taqi Mesbah-e Yazdi, mentor religieux des services de renseignements des Gardiens de la Révolution.

Après avoir échoué, en août 2005, à faire approuver par la majorité la nomination de quatre de ses anciens associés, tous inconnus, [16] et après avoir essuyé les critiques de Rafsandjani et de la presse réformatrice pour ses faibles succès de président, Ahmadinedjad a menacé le Majlis, affirmant que si le celui-ci n’approuvait pas ses choix, il aurait à en subir les conséquences. Il a déclaré que le peuple aurait son mot à dire: « Le peuple doit soutenir le gouvernement contre le pouvoir et la richesse et la mafia qui réside au sein du Majlis. (…) Insulter le président équivaut à un crime. » [17]

L’une des premières initiatives prises par Rafsandjani, après que le Cosneil eût vu ses pouvoirs renforcés, fut de ramener le président sortant, Mohammed Khatami, proche des réformateurs, sur le devant de la scène politique en le nommant principal conseiller du Conseil. [18] En effet, Rafsandjani tout comme Khatami - en accord avec les déclarations du ministère iranien des Affaires étrangères -, ont cherché à adoucir les propos agressifs tenus par Ahmadinedjad concernant deux points essentiels de la politique étrangère iranienne: le dossier nucléaire iranien et l’attitude de l’Iran vis-à-vis d’Israël. [19]

C’est sur ces deux points que les différences entre les conservateurs fondamentalistes militaristes et les « conservateurs pragmatiques » apparaissent avec le plus de netteté:

  1. L’attitude vis-à-vis d’Israël

Si les dirigeants du régime s’accordent pour considérer comme illégitime l’existence d’Israël et s’entendent sur l’objectif ultime d’un Etat palestinien musulman qui prendra sa place, ils sont divisés sur la façon dont l’Iran doit présenter sa politique sur ce point: les membres de la faction fondamentaliste militariste, représentés par Ahmadinedjad, n’hésitent pas à présenter crûment la politique officielle vis-à-vis d’Israël ; ils exhortent publiquement l’islam à annihiler Israël, dans un contexte global de lutte existentielle, morale et culturelle entre le monde islamique et l’Occident. Dans le cadre d’un tel combat, Israël, ou la Palestine ne représente qu’une étape. [20]

Les « conservateurs pragmatiques », à l’instar des cercles réformateurs, dirigés par l’ancien président iranien Khatami, et des membres du ministère iranien des Affaires étrangères qui s’étaient efforcés d’appliquer la politique de Khatami, gagnant le soutien de Guide suprême Khamanei par leur attitude pragmatique, sont moins enthousiastes face à l’appel explicite de l’Iran à la destruction d’un Etat souverain, conscients que des déclarations aussi claires ne peuvent qu’être dommageables à l’Ian sur la scène internationale. [21]

Selon ces derniers, Israël disparaîtra d’une autre façon: par les Palestiniens et au moyen de la « démocratie » si chère à l’Occident. C’est pourquoi ils sont favorables à l’idée que seuls les habitants d’origine de la Palestine - musulmans, chrétiens et juifs ainsi, bien sûr, que les réfugiés palestiniens musulmans - bénéficient du droit de vote pour toute élection déterminant leur avenir. Selon cette proposition, les citoyens israéliens, juifs pour la plupart, n’auraient pas le droit de voter lors de telles élections, l’Etat d’Israël n’ayant aucune légitimité à leurs yeux. La plupart des votants seraient Palestiniens et musulmans, ce qui entraînerait la disparition d’Israël par des moyens démocratiques. Dernièrement, le guide suprême Khamenei, partisan de cette approche relativement modérée, a fait des déclarations en ce sens, définissant le cadre du combat contre Israël. [22]

  1. La question nucléaire

Le fossé qui existe entre la faction fondamentaliste militariste et les « conservateurs pragmatiques » est plus net encore sur la question nucléaire.

Tous, des réformateurs aux conservateurs les plus rigoristes, s’accordent pour défendre le programme nucléaire iranien. Depuis août 2005, date où l’Iran a rompu son engagement de geler toutes ses activités liées à l’enrichissement d’uranium, le pays a géré une crise contrôlée et planifiée avec l’Europe dans le but d’obliger progressivement l’Europe et le monde à céder et à accepter les conditions iraniennes lui permettant d’accéder au cycle de combustible nucléaire (lequel permet le développement et la production de l’arme atomique) - plaçant la communauté internationale devant le fait accompli.

Contrairement à ses prédécesseurs, Ahmadinedjad ne craint pas la confrontation avec la communauté internationale, même si cela doit beaucoup coûter à l’Iran.

Ahmadinedjad ne s’est pas montré disposé au compromis avec l’Europe. Ses déclarations, ainsi que celles d’autres responsables iraniens, ont clairement montré que l’Iran s’apprêtait à entrer en conflit avec l’Europe. Ils affirment que l’Iran est disposé à poursuivre les négociations avec l’Europe, interrompues avec la reprise des activités iraniennes de conversion d’uranium à Ispahan en août dernier, tout en déclarant que ce dernier point n’est pas sujet à négociations. Si l’Europe repousse les exigences iraniennes d’un cycle de combustible nucléaire, l’Iran se verra en droit de reprendre l’enrichissement d’uranium ainsi que la fabrication de centrifugeuses à Natanz, et considère donc que toute mesure punitive à son encontre causera plus de tort à l’Europe et aux Etats-Unis qu’à l’Iran lui-même. [23]

Ainsi, l’Iran a dernièrement rejeté la proposition européenne soutenue par les Etats-Unis de convertir de l'uranium sur son territoire à la condition de l'exporter vers la Russie pour les opérations ultérieures d'enrichissement,sous la supervision d’organisations internationales. [24]

La politique iranienne, consistant ces deux dernières années à éviter les questions épineuses et à prendre quelques risques dans l’intention d’intimider la partie adverse (politique propre à la faction la plus pragmatique du gouvernement et au ministre iranien des Affaires étrangères sous Khatami - a été vivement critiqué par les conservateurs fondamentalistes, notamment par le quotidien ultra-conservateur Kayhan. Les fondamentalistes ont insisté pour que l’Iran demeure fermement sur ses positions et évite tout compromis dans ses négociations avec l’Europe ; ils se sont interrogés sur la sagesse de la poursuite du dialogue avec l’Europe sur la question nucléaire, allant jusqu’à prôner des décisions unilatérales. [25]

Ayant aujourd’hui le pouvoir de façonner la politique nucléaire iranienne, Ahmadinedjad a limogé près de 40 ambassadeurs dans un geste qui a été perçu comme une purge des réformateurs au sein du ministère des Affaires étrangères. [26] Cette initiative a en outre été ressentie comme un défi au renforcement des pouvoirs de Rafsandjani et du Conseil pour les intérêts supérieurs du régime et donc comme une critique de la politique de Khamenei lui-même - l’ultime arbitre de la politique nucléaire de l’Iran. [27]

Un rapport du quotidien londonien Al-Hayat sur la réunion entre Ahmadinedjad et les ambassadeurs avant leur limogeage notait qu’Ahmadinedjad avait déclaré ne pas faire confiance aux Européens, ajoutant que l’Accord de Paris signé en novembre 2004 entre l’Iran et l’Europe était « de type impérialiste ». Il soutenait que les Européens devaient accepter la position iranienne et que s’ils refusaient de le faire, « nous serons comment nous occuper d’eux ».

Selon le rapport, les ambassadeurs auraient rétorqué: « L’Union européenne ne veut pas de problèmes avec l’Iran. Elle respecte son droit à l’acquisition de la technologie nucléaire, l’Accord de Paris ayant pour objectif d’établir progressivement la confiance. Ahmadinedjad a rejeté ces affirmations, disant que l’Europe essayait de donner à l’Iran une leçon basée sur les droits de l’Homme alors que les Européens eux-mêmes ne les respectaient pas. » [28]

Derniers développements

Khatami: « Les extrémistes voudraient imiter Ben Laden (…) et rivalisent avec les taliban »

Aux critiques politiques et économiques adressées à Ahmadinedjad s’ajoutent des critiques d’ordre idéologique., le plus virulent étant l’ancien président iranien Mohammed Khatami. Selon le quotidien londonien Al-Hayat, Khatami aurait dit que les extrémistes iraniens aspiraient à « imiter Ben Laden et « donnaient aux ennemis les meilleures raisons d’attaquer l’islam et l’Iran. » Il a ajouté que pour les extrémistes, « l’allégeance à la démocratie, à la liberté et au progrès » nuisaient « à la réputation du pays révolutionnaire dans le monde islamique », ajoutant: « Ils rivalisent avec les taliban dans leurs appels à la violence et l’exécution de crimes extrémistes contraires à la religion (…) » [29]

Le Guide iranien Khamenei essaie, pour sa part, d’empêcher les médias de révéler cette lutte. S’efforçant d’apaiser la situation, il a opté pour une position proche de celle d’ Ahmadinedjad, faisant l’éloge du président, appelant à cesser les critiques et à soutenir toutes les forces politiques du gouvernement. Khamenei a fait valoir que l’Iran se trouvait dans une passe difficile et a appelé à mettre de côté les rivalités politiques. Et en effet les commentaires de Khatami n’ont pas été rapportés dans la presse iranienne. [30]

Ces appels ne semblent toutefois pas suffisants pour mettre un terme à la lutte interne dans les échelons supérieurs du régime iranien: chaque jour de nouveaux rapports révèlent de nouvelles facettes de l’iceberg. Le journal réformateur Sharq a rapporté, le 15 novembre, que les membres du Majlis avaient démenti chercher à écarter Ahmadinedjad, alors que le site iranien Roowonline, de son côté, a rapporté, le 16 novembre, que « des sources proches d’ Ahmadinedjad évoquent l’existence d’un groupe secret qui s’apprête à renverser le président. » [31]


[1] Voir l’Enquête et analyse n° 229 de MEMRI: Fulfilled by Election of Conservative President," June 28, 2005: http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA22905.

[2] Sharq (Iran), le 15 novembre 2005 ; IRNA, le 15 novembre 2005.

[3] IRNA, le 5 octobre 2005. Voir l’Enquête et analyse n° 226 de MEMRI: "The Upcoming Presidential Elections in Iran (Part II)," 16 juin 2005: http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=countries&Area=iran&ID=IA22605.

[4] Cette idée a été soulevée il y a huit ans pendant le mandat du président Khatami, mais ce n’est que maintenant, juste après qu’Ahmadinejad eut nommé son cabinet, que le Guide iranien Khamenei a décidé de la concrétiser. Voir les critiques sur le moment choisi pour renforcer les pouvoirs du Conseil et les doutes soulevés quant à la qualification des membres du Conseil dans l’hebdomadaire conservateur iranien Parto-e Sokhan, le 2 novembre 2005.

[5] Dans cette affaire comme dans des affaires précédentes, il s’avère que Khamenei se comporte comme un shah, s'efforçant de manœuvrer entre les groupes politiques au pouvoir tout en bénéficiant d'un statut supérieur au leur. Bien que la Révolution islamique ait aboli une monarchie de 2500 ans dominée par le shah, Khamenei dirige le pays à la façon du shah.

[6] Pour en savoir plus sur la position de Rafsandjani, voir l'Enquête et analyse n° 226 de MEMRI "The Upcoming Presidential Elections in Iran (Part II), http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=countries&Area=iran&ID=IA22605.

[7] Rafsandjani a consenti à recevoir des pouvoirs supplémentaires à la condition que ceux-ci soient accordés au Conseil des experts, ce qui lui permet d'en user en sa capacité de président du Conseil. Selon une source de Téhéran, dont le rapport a été publié sur le forum Gulf 2000 sous le nom du directeur du forum, Gary Sick, le 14 novembre 2005.

[8] Voir la Dépêche spéciale n° 384 de MEMRI "Un dissident iranien à M. Khamenei: 'Vous êtes un dirigeant malveillant' "
http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP38402

[9] Voir l'article de Mehdi Halaji et Mohsen Sazegara, Washington Institute Policy Watch n° 1022, le 11 août 2005.

[10] Le conflit qui a récemment éclaté entre certains ayatollahs de Qom et Khamenei concernant la date du commencement de la fête de l'Id Al-Fitr - marqué par la position de la lune dans le ciel - témoigne peut-être de l'affaiblissement de l'autorité de Khamenei. Ce conflit a été attisé par le partisan de Khamenei, Hossein Shari'at-Madari, directeur du quotidien ultra-conservateur Kayhan. La majeure partie des ayatollahs de Qom, rejoints par Khamenei, a décrété que la fête devait commencer vendredi, tandis que trois ayatollahs - Behjat, Fazel Lancrani et Youssef Sanei, ont décidé qu'elle débuterait jeudi. Shari'at-Madari a publié un éditorial affirmant que Khamenei était habilité à décider dans ce cas, plutôt que les ayatollahs de Qom. Après des émeutes de membres du Hezbollah de Qom pour empêcher les ayatollahs de débuter l'Id Al-Fitr le jeudi, les organisateurs des émeutes ont été arrêtés et des milliers de pamphlets de Shari'at-Madari condamnant ces trois ayatollahs ont été trouvés chez eux. Shari'at-Madari a été contraint de publier une lettre d'excuses, suite aux protestations d'un certain nombre d'ayatollahs contre son ingérence dans leurs affaires. Voir Kayhan (Iran), le 5 novembre 2005 http://www.kayhannews.ir/840814/2.htm#other204 ; Kayhan, le 8 novembre 2005, http://www.kayhannews.ir/840817/2.htm ; et Jonhouri-e Eslami (Iran), le 9 novembre 2005, http://jomhourieslami.com/1384/13840818/index.html.

[11] Voir les déclarations d'Ahmadinejad selon qui "les gens veulent revenir aux valeurs de la Révolution." Sharq (Iran), le 15 novembre 2005.

[12] Sharq (Iran), le 1er novembre 2005 ; le 6 novembre 2005 ; le 9 novembre 2005 ; le 12 novembre 2005 ; le 13 novembre 2005 ; Kayhan (Iran), le 10 novembre 2005; http://www.bbc.co.uk/persian/business/story/2005/11/051113_ra-iran-banks.shtml

[13] Voir les déclarations publiées dans Kayhan (Iran), le 10 novembre 2005, le 11 novembre 2005 ; Jomhouri-ye Eslami (Iran), le 15 novembre 2005.

[14] Dépêche Spéciale n° 945 de MEMRI, "Iran's New President Glorifies Martyrdom," le 29 juillet 2005.
http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=countries&Area=iran&ID=SP94505.

[15] http://roozonline.com/11english/011447.shtml. Mahdavi a rapporté que Samareh aurait obtenu son poste au ministère des Affaires étrangères grâce à son oncle, Mohammed Reza Bahonar, vice-président conservateur du Majlis. En outre, Samareh a aussi instruit et entraîné le personnel diplomatique. L'un des séminaires qu'il donnait avait pour thème "La psychologie des infidèles". Selon Samareh, on identifie un musulman pieux à son pantalon, ses chaussures et son sourire: un pantalon parfaitement repassé révèle un faible pour la royauté et les privilèges et une faiblesse face aux agents étrangers ; il peut en outre indiquer que la personne ne s'adonne pas aux prières journalières. Des chaussures sans lacets sont le signe qu'elles ont été enlevées à la hâte à l'entrée de la mosquée, "alors qu'il est clair que celui qui porte des chaussures cirées, lacées et à la mode ne prend pas le peine de les ôter" et n'est donc pas un musulman pieux. En outre, sourire aux étrangers est une habitude occidentale et indique que la personne cherche à gagner le cœur de l'autre.

[16] Il s'agissait des ministres du Pétrole, de l'Education, des allocations sociales et des coopératives. Une fois président, Ahmadinejad a déclaré son intention de combattre la corruption au sein du Majlis et des ministères. Le Majlis a rejeté les candidats choisis par Ahmadinejad, faisant valoir leur peu d'expérience. Ces candidats ont par la suite été placés à d'autres postes clé par Ahmadinejad, postes qui ne requièrent pas l'approbation du Majlis. Sur la 2ème liste de candidats présentés par Ahmadinejad à l'approbation du Majlis, seuls trois candidats ont été approuvés. Le poste de ministre du Pétrole est encore vacant.

[17] Kayhan (Iran), le 10 novembre 2005 ; Sharq (Iran), le 10 novembre 2005. Voir aussi http://roozonline.com/11english/011549.shtml.

[18] Il a également rappelé Hassan Rohani, qui pendant la présidence de Khatami, était chargé du dossier nucléaire iranien.

[19] Rafsandjani a été obligé de dire, au cours de la prière du vendredi pendant le Ramadan, que l'Iran n'a rien contre les Juifs et n'en a que contre Israël. Jomhouri-ye Eslami (Iran), le 29 octobre 2005. Khatami, qui s'était querellé avec Ahmadinejad avant même que ce dernier ne devienne président, a déclaré que ce genre de déclarations n'aidaient pas l’Iran sur la scène internationale. Sharq (Iran), le 31 octobre 2005.

[20] Voir les propos tenus par Ahmadinejad lors de la conférence "Le monde sans le sionisme": "Dans son combat contre le monde de l'arrogance, notre bien-aimé imam [Khomeiny] a fait du régime occupant Qods [Jérusalem] la cible de son combat. Je suis certain que la nouvelle vague [d'attentats suicides] qui a débuté dans notre chère Palestine (…) s'est répandu dans tout le monde islamique. Très bientôt, cette tâche de honte [ndlr Israël] disparaîtra du centre du monde islamique ; ce but peut être atteint." Voir la Dépêche spéciale n° 1013 de MEMRI: « Le président iranien à la conférence de Téhéran: ‘Très bientôt, cette tâche de honte [ndlr Israël] disparaîtra du centre du monde islamique ; ce but peut être atteint’ » http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP101305
Voir aussi la déclaration d' Ahmadinejad selon laquelle "nul dans le monde islamique n'a le droit de reconnaître officiellement Israël". Sharq (Iran), le 31 octobre 2005

[21] Dans le cadre de la politique de détente du président sortant Khatami, incluant l'initiative du "dialogue des civilisations" et "la coalition pour la paix".

[22] Voir les déclarations de Khamenei, Kayhan (Iran) et Jomhouri-ye Eslami (Iran), le 5 novembre 2005. En outre, le ministre iranien des Affaires étrangères Mamuchehr Mottaki a déclaré que l'Iran soumettrait ce projet de Résolution aux Nations unies et s'efforcerait de le faire accepter.

[23] Voir le rapport de Sharq (Iran), le 12 novembre 2005.

[24] Sharq (Iran), le 14 novembre 2005. Les Etats-Unis ont démenti avoir accordé leur soutien à une telle proposition, et l'Iran comme la Russie ont, par la suite, nié l'existence d'une proposition de ce type.

[25] Voir l'Enquête et analyse n° 181 de MEMRI: "Le débat intérieur en Iran: Comment répondre à la pression exercée par l’Occident contre son programme nucléaire"
http://www.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=ia&ID=IA18104.

[26] Sur la série de coups de feu au ministère iranien des Affaires étrangères, voir Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 2 novembre 2005 ; Sharq (Iran), le 5 novembre 2005.

[27] Sur le thème des relations avec l'Egypte, Rafsandjani a déclaré, en contradiction avec Ahmadinejad, que les relations entre l'Iran et l'Egypte devaient être renforcées, Jomhouri-ye Eslami (Iran), le 2 novembre 2005. 'Ali Larijani, chargé du dossier nucléaire iranien, connu pour être un associé de Khamenei, a publié une déclaration particulièrement modérée favorable à une reprise immédiate des négociations avec Téhéran, sans conditions - ignorant les exigences d'Ahmadinejad.

[28] Al-Hayat (Londres), le 5 novembre 2005.

[29] Al-Hayat (Londres), le 15 novembre 2005.

[30] Kayhan (Iran), Sharq (Iran), le 15 novembre 2005.

[31] Sharq (Iran), le 15 novembre 2005; http://roozonline.com/11english/011770.shtml, le 16 novembre 2005.


 



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