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Trop loin ou pas assez
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Article mis en ligne le 27 janvier 2005
dernière modification le 23 mars 2007

Denis Jeambar et Daniel Leconte n’appartiennent certainement pas à la catégorie de chroniqueurs dont la manière de débattre renvoie à celle des maurassiens ou des anti-dreyfusards.

A l’entame de cet article, j’insiste sur la nécessité de trier les torchons et les serviettes dans le pressing douteux qu’est devenue la presse française. Ces confrères s’expriment dans une langue propre, libre de tout artifice tendant à diaboliser leurs contradicteurs, libre des insultes et des invectives personnelles dont nous ont habitués les dizaines de Delesalle et de Szafran dans le traitement de la controverse de Nétzarim. La chose est devenue suffisamment rare pour qu’il faille la mettre en exergue et associer cette qualité à la couverture mesurée de la dispute, dont ont fait également preuve l’AFP parisienne et le Nouvel Observateur. Savoir reconnaître ce type de nuances n’est pas seulement fair-play, cela sert également à clarifier le débat civilisé, ou, plus simplement encore, à lui permettre d’exister.

Là ne s’arrêtent pas les mérites de Jeambar et de Leconte dans l’article qu’ils consacraient, hier, à la Controverse, dans la tribune des libres opinions du Figaro (cliquez). Ils y énoncent, également et enfin, un certain nombre de vérités premières, qui n’avaient encore jamais été dites par des journalistes français institutionnels. Ils y dénoncent, même si c’est par l’extrémité de la fourchette, « l’état d’une certaine presse française ». Ils y témoignent aussi - ce qui n’est pas sans rappeler nombre d’éditoriaux à rebrousse-unanimisme de Jeambar dans l’Express - que l’affirmation fondamentale d’Enderlin, selon laquelle il détiendrait des images « insupportables » non diffusées de « l’agonie » de Mohamed A-Dura, est apocryphe. Face aux tentatives redondantes des medias bleu blanc rouge d’obtenir la béatification du correspondant de France 2 à Jérusalem, cette simple attestation prend immédiatement des allures de contre-tsunami téméraire. Dans un autre monde que dans le quotidien chiraquien, cette mise au point justifierait, à elle seule, la mise à pied immédiate du Jérusalémite indélicat ; l’« erreur » d’Enderlin étant assurément plus significative que celle relative à Juppé, ayant déclenché la grande purge que l’on sait dans la télévision publique.

Le rédacteur en chef de l’Express et son camarade grand reporter révèlent également que la directrice de l’information de France 2 ainsi que les autres journalistes présents lors de la fameuse rencontre du 22 octobre dernier ont explicitement admis que « rien effectivement ne permettait de dire que l’enfant a été touché par des tirs israéliens ». Sachons souligner l’importance considérable de cette conclusion dans la compréhension globale de l’affaire et sachons apprécier le fait qu’elle ait été induite par la perspicacité de nos deux camarades. Cette reconnaissance, de la part des journalistes de la chaîne publique, s’érige, en effet, en porte-à-faux absolu avec le commentaire d’Enderlin sur le reportage de l’« assassinat ». Enderlin y déclarait que les tirs infanticides « venaient de la position israélienne » et persiste, d’ailleurs, aujourd’hui encore, à revendiquer cette thèse. C’est sur la base de la conclusion de l’impossibilité logique d’accuser les soldats israéliens de la responsabilité de la mort de Mohamed que Leconte et Jeambar émettent un questionnement, lourd de signification, quant aux motivations du correspondant de Jérusalem, lui permettant de « privilégier cette interprétation ». Et c’est encore sur ce choix d’Enderlin et sur l’impossibilité de fonder l’accusation anti-israélienne, que la réflexion de nos deux confrères aboutit à la nécessité de « revisiter toute cette affaire de fond en comble pour trier le vrai du faux ». Réflexion qui laisse augurer d’un certain retard dans le processus de béatification dans les alcôves du Vatican...

Nous identifions un autre aspect positif de l’intervention de nos deux pairs, en ce qu’ils reconnaissent au reportage sur la sellette, sa portée symbolique et dévastatrice pour la paix. Pour la paix dans notre région et pour la paix intercommunautaire dans l’Hexagone. C’est en ces termes qu’ils expriment leur préoccupation : « Nous savons les ravages causés par cette image, la haine qu’elle a entretenue et développée sur place, chez nous, dans les banlieues dites sensibles, et partout ailleurs dans le monde, où elle a été présentée sur la base du commentaire fourni par Charles Enderlin comme un exemple de la barbarie israélienne. » Icelle rejoint notre propre lecture de l’événement, à savoir que les éléments constituant la controverse de Nétzarim n’appartiennent pas encore à l’histoire, qu’ils ne sont pas solubles dans l’ordinaire du différend israélo-arabe et qu’il importe de les tirer au clair.

Outre ses côtés instructifs, l’article de Jeambar et Leconte recèle également une face plus sombre, comme s’il avait effectivement été écrit par deux plumes aux encres divergentes. On dirait que les deux compères s’attèlent à ménager la chèvre et le chou, voire à ne pas indisposer leurs partenaires commerciaux, à moins que ce ne soit leurs propres collaborateurs, bref, à se replacer dans la masse bien-pensante. Là, dans cet exercice pro domo nettement moins étincelant, ils oublient de faire état de faits majuscules qu’ils connaissent pourtant, ils s’arrêtent en cours de réflexions, ils « approximent » ; soudain, ils deviennent péremptoires, faute d’être informateurs, faute de partager les sources de leurs nouvelles

Juste Enderlin

Je poursuis donc, suivant sans peine la recommandation que Jeambar et Leconte exposent sous la forme d’un devoir professionnel : « éviter les approximations et dire exactement ce que l’on sait. Ni plus ni moins ». Je débute mon devoir, en me penchant justement sur l’instrumentalisation qu’ils reprochent à la Ména d’avoir faite de leurs personnes :

Un guet-apens de la Ména, vraiment ?

Le 22 octobre dernier, lorsque Rosenzweig, Leconte et Jeambar se rendent dans les bureaux de France Télévisions afin d’y consulter les rushes de l’« assassinat » de Mohamed A-Dura, cela fait belle lurette (près de 14 mois) que nous avions exposé, avec le sens du détail et de la précision que l’on nous prête généralement, la thèse de la mise en scène du meurtre de l’enfant. Sauf le respect qui est effectivement dû au rédac-chef de l’Express et au lauréat du Prix Albert Londres, la Ména n’a pas attendu qu’ils commencent à s’intéresser à l’affaire pour tirer ses propres conclusions.

Dans l’article « L’affaire A-Dura : Conclusion dramatique » lire, que je signe deux jours après la rencontre et auquel ils font référence, je prends le plus grand soin de ne pas faire dire à Jeambar ni à Leconte - que je n’ai par ailleurs jamais rencontrés - qu’ils partagent les convictions de notre agence quant à la thèse de la mise en scène. Plus encore : tandis que Charles Enderlin, immédiatement informé par son acolyte Didier Epelbaum du déroulement de la rencontre, clame sa version des événements au tout Jérusalem, en promettant, à la limite de la congestion, qu’il va réagir, sans manquer de citer la liste des participants au visionnage, je prends l’initiative, quant à moi, sans que personne ne m’en ait prié, de ne pas dévoiler les noms de Jeambar et Leconte. Aux dizaines de confrères qui assaillent mon téléphone afin que je leur donne l’identité des deux éminents journalistes, que je mentionne anonymement dans mon papier, j’oppose un refus catégorique. Etrange façon de ma part de tirer profit de leur notoriété, de les manipuler, donc ! Ce n’est que par la suite, lorsque, à la seule initiative de nos adversaires, leur identité sera devenue un secret de Polichinelle, que j’autorise nos rédacteurs à en faire état. Le reproche que nos deux confrères nous font dans leur article, d’avoir voulu les instrumentaliser afin de les tromper et de tromper nos lecteurs ne repose ainsi sur aucun fait concret.

Cela m’amène à regretter que des camarades, dont je respecte ordinairement le travail, se livrent aujourd’hui à de tels clabaudages. En fait, les conclusions que Jeambar et Leconte se forment à l’occasion du visionnage des rushes ne m’intéressent que très modérément. Elles dépendent de la connaissance qu’ils ont du dossier et, conséquemment, de leur capacité à interpréter ce qu’ils voient. Le reste est juste affaire d’aptitude à la déduction, de leur indépendance professionnelle et de leur conscience, pas celle de la rédaction que je dirige. Je n’ai guère vocation à sonder les âmes.

Ce ne sont donc pas les opinions de Jeambar et Leconte, ni l’espoir qu’ils les calquent sur les résultats de notre enquête, qui m’intéressaient à l’occasion du visionnage des rushes, mais simplement leur présence au dit visionnage. Il était indispensable, dans le jeu de dupes auquel se livre France 2 depuis le début de cette affaire, que Luc Rosenzweig ne fût pas le seul à constater l’inexistence des documents filmiques confidentiels de France 2, auxquels Talal Abou Rahma et Charles Enderlin ne cessaient de se raccrocher afin de prétendre que le meurtre et l’agonie de Mohamed avaient été filmés. L’usage que nous pouvions faire de Leconte et Jeambar s’inscrivait ainsi uniquement dans un but conservatoire. Nous savions, en effet, que si ces deux camarades voyaient les images et qu’ils constataient qu’elles ne contenaient pas les éléments qu’Abou Rahma et Enderlin affirmaient qu’elles comportaient, la chaîne publique ne pourrait plus entretenir de contrevérités, au moins à ce sujet. Encore, notre forme de « manipulation » était-elle absolument passive et fortuite, puisqu’elle se présentait sous la forme d’un fait accompli bienvenu et que nous n’avions rien entrepris pour qu’il se réalisât, n’ayant à aucun moment été consultés pour sélectionner le panel des participants au visionnage ni, bien évidemment, pour sa mise sur pied.

L’intervention de nos deux confrères dans les pages du Figaro, bien que tardive à mon goût, satisfait notre attente à ce sujet. Elle a pour effet collatéral de dévoiler les limites de la crédibilité d’un Daniel Schneidermann, par exemple, qui, dans les pages consentantes de Libé du 26 novembre dernier, n’hésitait pas à mettre en doute les révélations de Luc Rosenzweig à propos du contenu des rushes et du fait qu’ils avaient rendu le secret de leur vacuité lors de la réunion à France Télévisions. Il le faisait alors en ces termes délicats : « D’ailleurs, j’ai un ami qui a un cousin qui a vu les rushes de la séquence » ! Hi han pour Schneidermann...

Les quatre conclusions

Si le compte-rendu que font les auteurs de l’article du Figaro quant à deux des conclusions qui s’imposent objectivement au visionnage des rushes est parfait - je parle de l’inexistence des images de l’agonie de l’enfant et du fait que la pellicule d’Abou Rahma est parsemée d’autres saynètes montées afin de mettre en évidence la soi-disant « barbarie » des soldats hébreux -, Leconte et Jeambar en oublient deux autres.

La première de ces omissions nous prive d’une révélation croustillante ; c’est le récit d’un événement qui n’amène rien d’utile au dévoilement de l’escroquerie de Nétzarim, mais qui, par contre, est tout à fait révélateur de l’état de « transparence » dans lequel l’équipe de Chabot entend « collaborer sincèrement et courageusement à la recherche de la vérité » :

Au cours de l’entretien, Luc Rosenzweig apprend que l’auteur des rushes se trouve par hasard à Paris pour y subir un suivi médical. Notre ami s’en ouvre à ses deux compagnons qui, pensant sans doute qu’il valait mieux s’adresser directement à Jésus plutôt qu’à ses apôtres, demandent à rencontrer Abou Rahma. Les représentants de la chaîne publique n’accèdent pas à la requête, prétextant que la discussion entre Abou Rahma et les journalistes serait impossible, du fait que « le Palestinien ne pratique pas le français et que son anglais est par trop rudimentaire pour que l’on s’entende avec lui ». Certes, sauf que des dizaines de millions de téléspectateurs ont eu l’occasion, à quelques jours d’intervalle, de suivre l’intervention d’Abou Rahma, durant de longues minutes et dans la langue de Shakespeare, en direct sur CNN, à l’occasion de l’élimination ciblée du docteur Rantissi...

Le second oubli est beaucoup plus gênant et significatif dans la recherche de la vérité. Après l’échange de cordialités, habituel en de telles circonstances, la séance de travail à proprement parler s’ouvre, le 22 octobre, par la phrase suivante, prononcée par notre correspondant Luc Rosenzweig : « nous sommes venus voir les 27 minutes de rushes montrant les soldats israéliens tirant sur l’enfant que cite Talal Abou-Rahma dans sa déposition assermentée ... »

C’est, plus encore que la fausse assertion d’Enderlin quant aux images de l’agonie de l’enfant, la pièce maîtresse de l’argumentation de France 2 que les trois journalistes sont venus consulter : les 27 minutes d’images, qui, selon la déposition, signée, authentifiée et scellée, que le cameraman Talal Abou Rahma a faite devant l’avocat palestinien, Maître Raji Surani, montrent les soldats de Tsahal, occupés à tirer et à assassiner l’enfant palestinien. Cette déclaration judiciarisée est d’autant plus cruciale, dans la démarche visant à connaître la vérité, qu’Abou Rahma est le seul témoin de l’« assassinat ». Tous les autres reporters, palestiniens, dont celui de Reuters, qui s’est longuement trouvé à moins de 30 centimètres de l’enfant et qui a posé sa camera sur le baril de béton, censé avoir constitué la cible principale des soldats, 45 minutes durant, ont tous affirmé ne rien avoir perçu de la scène. Ils n’ont pas vu les Israéliens tirer sur Jamal et l’enfant, ils n’ont pas vu le moment où ceux-ci auraient été touchés, ils n’ont pas vu les équipes paramédicales s’affairer dans le but de tenter de les sauver et ils n’ont pas vu les ambulances censées les emporter en direction de l’hôpital Shifa.

Lors de la projection du 22 octobre, les journalistes présents - y compris les responsables de France 2 - ont pu constater que Talal Abou Rahma s’était fait l’auteur d’un faux témoignage et que les 27 minutes de rushes ne contenaient - outre les 55 secondes du reportage contestable déjà diffusé par France 2 - aucune image de l’enfant, de Jamal A-Dura ou de militaires israéliens.

Face à la révélation du faux témoignage d’une telle essentialité dans la compréhension de la controverse de Nétzarim, dénonciatrice, pour le surplus, de ce que les images les plus graves de l’Intifada avaient été prises par un parjure sans scrupules, on se serait attendu à ce que Leconte et Jeambar en parlent dans leur article. D’autant que c’était la preuve de l’existence ou de l’inexistence de ces images qu’ils étaient spécifiquement venus constater dans les locaux de France Télévisions, d’entente avec Arlette Chabot et Luc Rosenzweig. A notre gré, ces confrères n’ont ainsi pas dit « ce qu’ils savaient » et c’est, de leur part et dans le contexte tendu du traitement de cette affaire, une attitude que nous considérons comme décevante.

Entre-temps, Charles Enderlin, l’autre menteur, se hâtait d’accuser Maître Surani d’avoir manipulé la déclaration d’Abou Rahma. Cela se passait voici peu, dans les pages de Télérama acquises à sa cause. Il n’a cependant pas indiqué, à l’instar de France 2, où étaient passées les images de l’assassinat-fantôme, ni celles montrant l’agonie de l’enfant. Pardi !

Note à l’intention des lecteurs : La lettre d’opinion de Jeambar et Leconte, sujet de cet article, ayant disparu des pages en accès libre du site du Figaro, nous vous proposons en remplacement le lien suivant (cliquez) afin de consulter l’objet de notre commentaire.

Un silence pour le moins contestable

Au soir du vendredi 22 octobre 2004, au sortir du visionnage, pour les trois journalistes qui y ont été conviés, il n’est pas question d’émettre des opinions, mais seulement de faire des constatations. Pour Jeambar et Leconte, il s’agit de remarquer que Luc Rosenzweig ne leur avait pas menti, et que la Ména, qui était à l’époque le seul media à décréter que les images de l’assassinat qu’annonçaient Enderlin et Rahma n’existaient pas, avait dit la vérité.

Un contrat moral existait ainsi avant la rencontre à France Télévisions ; nos deux confrères en parlent dans leur article du Figaro : « (...) nous ajoutons que nous sommes prêts à écarter les accusations de Rosenzweig sur la mort de l’enfant si le visionnage de l’ensemble des rushes tournés par Talal Abou Ra(h)ma confirme ce que Charles Enderlin a déclaré à deux reprises au moins, dont à Télérama : « J’ai coupé l’agonie de l’enfant. C’était insupportable... Cela n’aurait rien apporté de plus. » ».

Il s’agissait certes d’un engagement logique et honorable. Dans l’un de mes articles, d’ailleurs, préalable à la rencontre, je dépassais l’engagement pris par mes collègues, déclarant que si lesdites images existaient, je n’écrirais plus aucun article durant le temps qui me restait à vivre. Reste que ce genre de contrat moral renferme toujours une contrepartie et, dès lors que Leconte et Jeambar affirment que le visionnage des rushes leur a appris que « cette fameuse « agonie » qu’Enderlin affirme avoir coupée au montage, n’existe pas », il n’avaient pas à attendre trois mois pour le faire savoir ; et qui plus est, sous la forme d’une lettre d’opinion éphémère et contradictoire dans les pages d’un quotidien auquel ils ne collaborent pas. Ce n’est pas que j’entende donner des leçons de choses à mes camarades, auxquels je persiste à vouer du respect, mais c’est ce que dicte une analyse sereine de ces événements.

Les enjeux de la controverse de Nétzarim, autant que le devoir de rechercher la vérité, ne sont l’apanage ni de la Ména ni de l’Express. Certes, avant la rencontre, Leconte et Jeambar s’étaient réservé auprès de Rosenzweig « la possibilité de ne rien dire s’il n’y a rien à dire de plus que ce qu’on connaît déjà », mais je viens de démontrer, en les citant littéralement, que ce ne fut pas le cas, puisque le visionnage leur avait enseigné des éléments capitaux pour l’établissement de la vérité. Il est ainsi des moments, pour un journaliste, où il faut savoir sonner le tocsin ; si la profession était un long fleuve tranquille, cela ferait longtemps que nous serions tous gondoliers à Venise. Il est des moments où ne rien dire de ce que l’on sait, équivaut à permettre à une escroquerie de se produire et c’est exactement ce à quoi a servi le trop long silence de Leconte et Jeambar.

Ils étaient venus à France Télévisions chercher deux conclusions et en sont repartis avec quatre (voir le paragraphe à ce propos dans la deuxième partie de mon article, Nda). Nos deux amis avaient d’abord pu observer de leurs yeux, que le témoignage avalisé de l’un des auteurs du reportage, sur lequel repose entièrement la véracité de la thèse de l’assassinat, était un faux exemplaire, et que les affirmations faites à la presse française, par le coauteur, étaient également tout à fait mensongères. Mais de plus, les journalistes chevronnés Jeambar et Leconte auraient dû constater et rendre public l’énorme forfait commis par la plus grande chaîne du service public français de télévision. J’entends par là que des journalistes et des membres de la direction de France 2 avaient eu connaissance, quatre ans durant, en consultant les 27 minutes de rushes qui se trouvaient en leur possession, que les affirmations claironnées par Enderlin et Abou Rahma concernant ce film étaient controuvées. France 2 avait non seulement choisi de couvrir les faussaires par son silence, mais encore s’employa-t-elle avec un zèle tout particulier à obstruer les couloirs menant à l’éclatement de la vérité, en retardant, le plus longtemps possible, l’accès à ces documents filmiques.

Le 22 octobre dernier, Jeambar et Leconte jouirent du rare privilège de consulter ces pièces à conviction si soigneusement gardées, mais ils décidèrent aussitôt de se taire également.

Dans l’embarras, abstiens-toi

Les deux grands témoins de Luc Rosenzweig furent-ils surpris par la taille de l’imposture qu’ils avaient découverte dans le bureau d’Arlette Chabot ? N’avaient-ils pas envisagé que la Ména pouvait avoir raison ? Toujours est-il que, depuis qu’ils eurent pris la décision de ne pas révéler immédiatement ce qu’ils avaient vu chez France Télévisions (ou, plus précisément, tout ce qu’ils n’y avaient pas vu), le jugement de nos deux camarades s’embua. Comme s’ils avaient pris brusquement conscience que leur découverte les plaçait au centre d’un formidable champ de bataille de la guerre des images.

Ils semblent regretter leur sort, chercher à emprunter les voies qui les ramèneraient vers les masses bien pensantes, à rentrer au bercail de la presse parisienne, même s’il ne reluit pas. N’est pas Zola qui veut, il y aussi l’alimentaire... Peut-être Leconte réalisa-t-il que sa maison de production travaille surtout pour Arte, qu’Arte, c’est le pouvoir chiraquien dans sa quintessence et que le pouvoir chiraquien soutient, jusqu’à la déraison, le chantre officieux de sa politique proche orientale, en la personne de Charles Enderlin ? Quant à Denis Jeambar, il doit prendre en compte le harcèlement furieux des journalistes français, et les pressions provenant des services de persuasion positive de France Télévisions, tantôt conciliants, tantôt menaçants, comme ce fut le cas au Wall Street Journal, aux lendemains de la publication de mon article et de l’édito de Daniel Schwammenthal. C’est encore sans compter les messages plus ou moins discrets en provenance du Quai. A l’Express, il y a pire, s’agissant d’une fronde interne, emmenée par les potes d’Enderlin, Vincent Hugeux et Jacques Attali. Pas sûr qu’un conflit domestique, pour une affaire « qui ne nous touche pas directement », plaise au nouveau patron, le groupe Dassault. Il n’y a décidément que les gens de la Ména à s’être abstenus d’appeler le patron de l’Express pour lui susurrer ce qu’il devait penser. Et c’est affaire de philosophie.

La Ména, où pendant ce temps, les choses étaient claires. Nous n’avons, en effet, à aucun moment envisagé que le visionnage à France 2 fût destiné à accroître la culture générale de ses participants ou à nourrir leur curiosité personnelle. Le but de cette rencontre avait été défini autrement entre les journalistes : il s’agissait, sans le moindre doute, d’effectuer des constatations, capitales dans le dessein de rapprocher le public de la vérité de Nétzarim.

Mauvais camarades
Durant le moment qui se crée immédiatement après la séance de projection du 22 octobre, il y a lieu pour un journaliste d’affirmer, comme je le fis dans les pages de la Ména, qu’« à partir de ce soir, l’affaire A-Dura, en tant que péripétie factuelle de l’Intifada n’existe plus ».

Ce qui me porte à cette constatation, c’est qu’il vient d’être démontré que France 2 ne dispose pas du moindre élément qui pourrait établir, non pas qu’il y ait eu assassinat de Mohamed par l’armée israélienne, mais même qu’il se soit produit le moindre incident qui rappelât un tel événement. Evidemment, cette situation prévaut aujourd’hui encore : pas d’images de l’événement - des soldats qui tirent et tuent l’enfant -, pas de témoins oculaires, les personnes présentes sur les lieux affirment n’avoir rien vu, et les deux seuls champions de l’événement-qui-n’a-pas-eu-lieu, pris en flagrant délit de faux témoignage !

Ce qu’il reste à faire à Arlette Chabot (qui n’était pas en charge de l’information lors du non-événement, pas plus que durant les quatre années qui l’ont suivi et qui, jusqu’à ce moment de l’affaire, s’est effectivement comportée de façon correcte), c’est de prendre courageusement l’antenne, à 20 heures, et de présenter les excuses de la chaîne aux téléspectateurs, aux personnes lésées - les Israéliens et leur armée -, aux proches des victimes que le faux reportage a engendrées, et d’expliquer que France 2 a diffusé la mise en scène d’un acte de guerre et qu’elle savait, depuis sa retransmission, que celui qui avait réalisé cette fiction l’avait décrite dans un faux témoignage notarié. Que, pour des raisons qui restent à établir, la chaîne publique avait couvert l’imposture durant quatre longues années.

Il s’agissait d’une tâche pénible - du jamais vu dans le PAF ! - mais d’un acte qui était à la fois salutaire et incontournable, tout autre forme d’agissement plongeant FR2 dans une situation d’escroquerie intellectuelle largement plus dommageable.

Ce n’est pourtant pas le choix que fait la télé publique... Comme le gouvernement de l’époque de Dreyfus, qui, « par peur du danger de guerre », avait fait fabriquer un bordereau secret par Esterhazy, le coupable-même du crime contre la France, afin d’accabler un soldat juif innocent et de justifier la campagne antisémite qui ravageait la France, Arlette Chabot charge le faussaire (mais en quelle langue ?) et fauteur de guerre Abou Rahma de la même besogne.

C’est fait à la hâte : Rahma s’empresse d’aller filmer son acteur fétiche, Jamal A-Dura, afin de présenter les cicatrices de son corps, censées prouver qu’il a véritablement été blessé lors du non-événement de Nétzarim. Dans le même temps, le temps nécessaire au tournage du « bordereau », Jeambar et Leconte gardent stoïquement un silence inexplicable sur les rushes que France Télévisions leur a présentés. En l’espace de quelques jours, les nouvelles images sont prêtes, réalisées avec l’argent de la redevance dans le but premier, quoique très privé pour une chaîne de TV publique, de récupérer la conviction du rédac-chef de l’Express, à moins - on ne dispose pas du luxe d’éliminer cette hypothèse - de lui fournir un alibi pour ne pas dévoiler le pot aux roses.

Dès réception du « bordereau » à Paris, Chabot invite Jeambar et Leconte à venir voir cette pièce à conviction faite maison. Mais elle insiste afin que les deux collègues ne convient pas Rosenzweig à cette nouvelle projection. Ce dernier n’a pourtant pas commis le moindre impair, il n’a fait que rapporter la vérité que toutes les personnes présentes - y compris le personnel de France 2 - avaient vue et constatée lors du premier visionnage.

Fait troublant, les deux grands témoins se plient sans rechigner au dictat de Chabot. Ils sont fort mauvais camarades ; Rosenzweig, placé devant le même dilemme n’aurait jamais accepté ces conditions. C’est qu’en principe, lorsque qu’on montre un pan de vérité, on voudrait que tout le monde le voie, surtout ceux qui sont difficiles à convaincre. Que craignait alors la directrice de l’info de FR2 en excluant notre collaborateur de la première de ses séances d’« information » à huis clos ? Que Luc hurle ? Qu’il la morde ? Ou simplement qu’il amène aux personnes présentes les éléments contradictoires permettant d’évaluer sérieusement le poids du « bordereau », dans la recherche de la solution à l’énigme de Nétzarim ?

Sur la foi d’un nouveau film du même escroc

Où est soudain passé le sens critique, d’ordinaire affûté, du tandem Jeambar-Leconte, pour affirmer, sans cependant fournir aucun élément informatif : « France 2, entre-temps, d’ailleurs, nous a présenté des éléments sérieux qui réfutent la thèse de la mise en scène de la mort de l’enfant ».

Encore heureux qu’ils n’aient pas écrit : « (...) des éléments sérieux, présentés par un reporter sérieux et intègre (...) », car leur naïveté subite nous aurait arraché un sourire. Car enfin, ils parlent d’un élément fabriqué, a posteriori, par un reporter qu’ils viennent, quelques jours plus tôt, de saisir la main dans le sac, à inonder la planète d’un faux témoignage ayant alimenté la haine et la guerre au Proche-Orient ! Jeambar et Leconte, qui, avec Rosenzweig, Chabot et le personnel de la chaîne publique, viennent de constater que le film-preuve de 27 minutes fourni par Talal Abou Rahma, non seulement ne contenait pas les images de l’incident qu’il avait annoncées, mais contenait, à la place, d’autres mises en scènes d’« horreurs israéliennes » que Rahma avait très complaisamment filmées. Dans un raisonnement que nous qualifierons de « pour le moins approximatif et arrêté en pleine élaboration », les deux confrères ne sedemandentpas : « pourquoifaudrait-il considérer la saynète »Mohamed« authentique alors qu’elle est enceinte sur la pellicule, entre des fictions reconnues comme telles par les gens de FR2 eux-mêmes ? » Ils ne se demandent pas non plus - et tout aussi étrangement - : « comment peut-on accorder du crédit à une nouvelle pièce, filmée sur commande, par un cameraman sans scrupules, qui vient de flouer le monde et de mettre en scène des fictions de propagande guerrière ? »

Je connais des journalistes plus conséquents qui, sachant ce que savaient Leconte et Jeambar, auraient assurément refusé de se prêter à un nouveau visionnage tourné par un tel énergumène et dans les conditions d’exclusion de témoins et de chronologie frustrée dans la présentation des preuves, que traversait l’affaire.

Quant à l’explication au fond de l’affaire du « bordereau », je remets mes éminents confrères, devenus à la fois si prompts et si bonnes pâtes à s’être fait une nouvelle conviction - et de l’avoir, cette fois-ci, rendue publique...- aux bons soins de Jeune Afrique. Jacques Bertoin et Farid Alilat, dans un article très documenté sur l’affaire (L’horreur manipulée ?), leur y expliquent des choses très simples : Rahma a effectivement filmé des cicatrices authentiques sur le corps de Jamal. L’emplacement de ces cicatrices correspond effectivement au descriptif des blessures qu’avaient établi les docteurs Saka et Al-Tawil en 2000 (ceux-là mêmes qui témoignent que Mohamed A-Dura leur a été amené, mort, avant 13 heures le 30 septembre, alors que, selon Enderlin, sur le reportage de France 2, l’événement commence à 15 heures !). Ces cicatrices proviennent cependant de blessures vieilles de seize ans et non de quatre... S’ils n’avaient pas endossé l’exclusion de Rosenzweig, le Haut Savoyard aurait pu l’expliquer et si Jeambar-Leconte avaient honnêtement voulu s’approcher de la vérité, quitte à mettre à jour « l’état actuel de leur connaissance du dossier », ils ne se seraient certainement pas privés de l’opportunité qui leur était donnée de confronter le contenu du « bordereau » avec les preuves accablantes collectées par la Metula News Agency.

La Ména, contrairement à ce qu’ils affirment sur leur papier dans le Figaro, n’a rien « affirmé très vite » dans cette affaire. En réalité, ce n’est que le 17 septembre 2002, soit deux ans après les faits, que nous publions, très prudemment, le premier document résultant de notre enquête ; il s’agit de l’interview du chef de la commission d’enquête de l’armée israélienne sur l’affaire de Nétzarim, le physicien Nahum Shahaf. Ah ! quand l’approximation prend l’homme, elle le tient bien...

Incontestablement, de - très - mauvais camarades

Casser du sucre sur le dos d’Enderlin qui, on le sent bien, ne va pas terminer sa carrière à la télévision publique, reprocher à Rosenzweig et à la Ména des erreurs qu’ils n’ont pas commises, tout en célébrant les mérites de la directrice de France 2, on voit bien que Jeambar a cessé de prendre des risques éditoriaux inconsidérés dans cette controverse et qu’il cherche à retrouver sa place au Musée Grévin, fût-ce au prix de quelques compromis. Jeambar apprend à bien se tenir.

Encore que les deux compères auraient pu, sans grandes pertes pour leur renommée, épargner à leurs lecteurs les éloges quant à la sincérité et au courage d’Arlette Chabot dans la recherche de la vérité. Certains fidèles de l’Express risquent de mal s’accommoder de ce que sa première plume flagorne ainsi celle qui n’hésite pas à ressortir la sémantique « seconde guerre mondiale », pour qualifier en public de négationnistes les gens de la Ména. Et de révisionniste, la journaliste française Véronique Chemla, en la menaçant de poursuites judiciaires, pour avoir demandé à Chabot « comment elle expliquait qu’on vît à l’hôpital Shifa le »genou éclaté« de Jamal pisser le sang tant et plus, alors que sur les images de FR2, son blue-jeans n’est même pas froissé ? ».

Quant au choix par Leconte de la formule de « tintamarre orchestré par la Ména », elle m’a fait un instant songer à cette forme de journalisme hybride, du poing levé - par ankylose - et du ruban vert planté dans le cul, que l’on peut voir ces jours dans le Monde et qui l’entraîne vers les profondeurs desquelles on ne remonte pas. Que Daniel n’en prenne pas ombrage, cela n’a effectivement traversé mon esprit que l’espace d’un flash, sachant qu’il arrive à tout le monde d’écrire des bêtises. Pour autant, il ne faudrait pas qu’avec son compagnon, Leconte tentât de rendre admissible leur concert de silence face à la plus grande escroquerie médiatique de tous les temps, en reprochant aux journalistes de la Ména de bien faire son métier ! Tout le monde gagnerait au contraire du temps, si Jeambar et Leconte s’attachaient plutôt à citer, dans notre argumentaire sur la controverse de Nétzarim, les éléments qu’ils peuvent contester. J’assure nos lecteurs qu’il n’y aurait rien à lire dans un tel inventaire.

Et puis, et puis, lorsque, comme eux, on reconnaît l’essentialité symbolique qu’il y a à établir la vérité dans ce différend, que l’on affirme que la paix des banlieues peut en dépendre, la capacité des peuples du Proche-Orient à se réconcilier ; lorsque l’on déclare qu’un correspondant principal de la télévision d’Etat a menti, que ses mobiles suscitent des interrogations fondamentales ; lorsqu’on accorde à ces choses autant d’énergie et un article collectif expatrié dans le Figaro et que tout ce que Jeambar et Leconte savent, absolument tout ce qu’ils savent de cette affaire, ils l’ont lu dans la Ména, ce n’est pas en se déchargeant de leur impotence sur leur source de connaissances qu’ils la compensent correctement.

Des perce-brouillard ou des attire-brouillard ?

L’article du patron de l’Express et du grand reporter valait un commentaire détaillé, en cela qu’il nous a permis de faire une mise à jour appliquée de l’état de compréhension de la controverse par les medias français. Jeambar et Leconte sont, à cet effet, un excellent baromètre. Leur article lui-même confirme un certain nombre d’éléments que nous avions déjà donnés ; leur contribution restant cependant appréciable. Quant à savoir si elle fait avancer le dévoilement de la vérité, je me garderai de le conclure. Pour y contribuer efficacement, il eût fallu une enquête crâne et indépendante de dix pages dans l’Express. A rêver d’attitudes idéales, elle eût été encore plus opérante, si elle était parue au bon moment : avant le visionnage ou tout de suite après. Je ne puis dire si leur article a contribué à lever l’opacité sur cette affaire, dont ils se plaignent, ou s’il participe, au contraire, à la maintenir en place ? Ce que l’on peut cependant affirmer sans risque, c’est qu’au rythme où ils enquêtent, la controverse de Nétzarim pourrait encore avoir de longues années à polluer l’atmosphère. Sauf que la démonstration de la vérité a été faite par d’autres, en leur absence remarquée, et qu’elle les précède, loin devant, sur leur horizon.

La petite histoire retiendra de Jeambar et Leconte, que dans cette affaire, ils sont décidément allés trop loin. Ou pas assez ?



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